RETOURS DE VACANCES Quel plaisir de gagner une petite notoriété. Il y a quelques jours, dans les faubourgs de Fontenay, je croise un homme qui me reconnaît. J’avais écrit, jadis, un article sur lui tandis qu’il astiquait sa voiture. Son geste sûr et énergique, sa bagnole devenue nickel, m’avaient impressionné. Pas au point de me souvenir de Jérôme, tandis que lui, il se souvenait de moi. « Hey Bob ! » hèle-t-il avec une sorte d’accent espagnol. « Que tal ? » On marche, on se demande de nos nouvelles, on arrive au café de la Gare, juste en face du RER Fontenay. On se croirait à la campagne. Il fait beau ces temps-ci, nous sommes sur la terrasse. Il m’offre un verre modéré et d’autres suivent avec modération. Il sort son phone, tout heureux de montrer ses photos du musée de l’automobile de Malaga.
Avec son accent, ça donne un musical « Museo Automovilístico de Málaga ». Une bonne centaine de voitures dans un ancien entrepôt de tabac rénové.
Coches de lujo
J’ai du mal à croire qu’il a passé une partie de son été en Andalousie. Les cagnards sont d’enfer. Eh bien si ! Ce brave ne craint ni les pointes de vitesse ni les pointes de chaleur. Sans relever ma remarque sur la température, il a déjà sorti son smartphone, fonction Galerie. Voilà une Jaguar Saloon 3,5 litres de 1946. Elle est géniale ! s’exclame-t-il encore émerveillé. On sent qu’il a vécu un moment inoubliable face à la voiture à Malaga. « Que guapa ! » Vue de loin, on dirait une Rolls ou une Bentley. Rien à voir avec la « mythique » Type E des années 60 avec son interminable capot avant recouvrant un moteur 6 cylindres. C’est Jaguar avant Jaguar, avec sa mascotte sur le capot qui représentait un jaguar en train de sauter.
Celle de 1954 est un roadster, il dit « une voiture de course ». On reconnaît la calandre qui fait les jag de maintenant. « Elle fit un carton pas possible. Il paraît que seuls Clark Gable et Humphrey Bogart réussirent à en obtenir une sans attendre. » C’est important de le savoir.
L’époque des grands carrossiers (avant l’industrialisation massive) est joliment mise en valeur. La Panhard-Levasseur de 1938, nommée le Démon de midi est une deux portes aux ailes bien rondes qui recouvrent la moitié des roues. Son nom vient probablement du fait que la place du conducteur est au milieu, laissant un siège à gauche et un siège à droite. Quels viveurs !
Ça donne soif. Modérément. La Tatra, modèle 87, de 1947 est une voiture tchécoslovaque dont la forme n’évoque rien d’autre qu’elle-même. Inimitable et inimitée. Autant dire une perle de collectionneur. La berline 4 portes était visiblement conçue pour être aérodynamique, elle l’était peut-être à l’époque. Elle est longue, son arrière a quelque chose de poissonneux à cause du becquet perpendiculaire au sens habituel. Elle a trois phares à l’avant.
La Bugatti Type 57, dite Galibier, l’emblématique joyau de l’automobile, y est. Seulement quatre exemplaires ont été produits, ce qui en fait l’une des voitures les plus rares et les plus recherchées au monde. « Un moteur huit cylindres en ligne suralimenté, du 200 chevaux, une carrosserie en aluminium rivetée à la main ! T’es sûr de toi, Jérôme ? (On se tutoie maintenant.) « Claro que si ! »
Il montre une Mercedes-Benz 300 SL « Papillon » des années 1950. Elle a deux portes qui s’ouvrent vers le haut, rappelant les élytres des coléoptères. Elle a été la première voiture de série au monde à être équipée d’un moteur à injection directe d’essence. Et paf, un coup de coude, pour dire que c’est vraiment une « icône ».
Du grand pas ordinaire
On passe rapidement sur les Rolls Silver Ghost (antique) ou Phantom II Continental des années 1930. Les Rolls, à force, on a l’impression de les connaître par cœur. Tout à coup, surprise ! Et voilà la Daliiiii ! L’immense peintre et fou qualifié du chocolat Lanvin a inspiré une voiture qui est un des musts du musée. C’est une Renault des années 1930, la Nervastella, dont une version a été dessinée avec Salvador Dali. Jérôme agrandit la photo en écartant pouce et index. On trouve des trucs assez loufs. Des phares en forme de cornes de taureau, un pare-brise en deux morceaux qui rappellent des yeux d’un animal sorti des studios Walt Disney, la carrosserie beurre frais. « C’est vraiment trop, Bob. » Les mots lui manquent. Il a épuisé les quelques expressions espagnoles qu’il a apprises à Malaga.
De l’ordinaire
Comme Jérôme se fout de l’art contemporain, il propose de marcher un peu, en d’autres termes modérément. L’allure est peu soutenue et bon an mal an on arrive au café du Marché, Place du général de Gaulle. Tout en passant commande avec modération, il ressort son smarphone et cherche des voitures plus simples. « Et voilà ! », la Ford modèle T de 1915, la célèbre « Tin Lizzie », une grande voiture populaire, et peut-être la première. C’était le début de la production en série sur des chaînes de montage. On pense à Charlot dans les Temps modernes. Le musée de la voiture à Malaga présente un modèle bien conservé de cette voiture historique. C’est écrit dans le carton d’explication qu’il a photographié.
Dans le genre, il y a aussi la Fiat 500 version années 1930, dite Topolino. Elle eut du succès non seulement en Italie, mais aussi au Royaume-Uni et en France.
Pas seulement des voitures, de la mode
En fait, le Musée Automobile de Malaga est aussi un musée de la Mode. Des associations sont faites entre robes, chapeaux et costumes et les voitures du moment. Les voitures de luxe, pas les tacots. Cela fait des rapprochements sympas. Mais on ne peut pas dire que Jérôme soit un fan des belles toilettes. Il les montre parce qu’elles sont sur la photo à côté des voitures. Il n’en dit rien. C’est son souci de la vérité qui le pousse à ne pas zapper trop vite et à laisser le temps de les regarder. Merci à lui.
Une grande collection de robes et costumes des années 1920 illustre le style des Années folles avec leurs lignes épurées et leurs matières légères. Des robes emblématiques des années 1950, comme la New Look de Christian Dior avec sa taille marquée et sa jupe ample. Une salle est consacrée au style psychédélique et anticonformiste des années 1960-70 avec des robes colorées, des motifs psychédéliques et des tenues hippies. Le glamour des années 1980 se remarque par des matières brillantes influencées par le style disco.
Entre l’évolution des styles vestimentaires et automobiles, le lien s’il existe est souterrain. On sent qu’il y a un rapport mais il reste inexplicable. En tout cas pour moi. Quant à Jérôme, il ne se pose pas la question ou alors très modérément.
Il vient de reprendre le travail.