Appuyez sur “Entrée” pour passer au contenu

Rencontres de la photographie à Arles

RETOURS DE VACANCES Les Rencontres de la Photographie à Arles sont l’un des festivals de photographie les plus prestigieux et les plus anciens au monde. Elles attirent des photographes, des artistes, des critiques et des amateurs de photographie du monde entier. Elles ont au moins attiré un chatenaysien qui est revenu enchanté de son séjour (trop bref dit-il) d’un lieu unique pour la découverte de la photographie contemporaine. Les accrochages sont répartis dans le centre historique d’une ville qui ne manque pas de recoins magiques. Notes prises pendant notre discussion dans le parc du Souvenir français, devant la mairie et complétées ensuite.

Récits d’angoisse

Mary-Ellen Mark est une photographe américaine (décédée en 2015) qui donne à voir une certaine misère du monde, un dénuement, une dèche ordinaire. Le noir et blanc donne du relief et accentue l’empathie qu’elle a pour ses modèles. Cela transparaît mieux encore quand elle regarde des gens du cirque et fixe leurs contorsions émouvantes.

Une crypte très sombre, enfouie sous l’Hôtel de Ville, expose Sophie Calle qui parle d’elle et des coupures de journaux, des objets ou des photos (« des choses de ma vie qui ne servent plus à rien »). En face, des portraits d’aveugles. J’ai appris qu’une inondation a endommagé une partie de ses photos. C’est dommage. On rate certaines de ses manies. Mais c’est cohérent avec son intention de jouer sur la disparition. Il paraît que la question de la fin obsède Sophie Calle. Elle multiplie les concessions funéraires.[1] Mais la question de la soif se pose au visiteur. « Un seul regret, dit mon témoin, dans cet endroit bien frais et large : avec une buvette, j’aurais pu me relâcher complètement. »

Chez Ishiuchi Miyako, ce sont des vêtements ayant appartenu à sa mère, décédée, ou à des victimes d’Hiroshima, ou encore ceux de Frida Kahlo qui s’apparentent à des prothèses. « Ce n’est pas gai, mais c’est très fort. » Elle travaille plutôt les traces de catastrophes et sa méditation sur la mémoire collective prend forme de cicatrices. Les photos sont simples dans leur composition, remarquablement réalisées, de grand format, elles sont poignantes.

Renda Mirza montre la guerre du Liban et sa mise en scène médiatique. La guerre est consommée comme un spectacle dans des salons (les pièces à vivre) occidentaux. Des montages montrent des personnages cools incrustés dans des paysages en guerre et des quartiers démolis. De grands formats encore.

Des cœurs plus légers

Sponsorisé par BMW, probablement enclin à soutenir des jeux de lumière pour sa R&D de phares de voitures, Mustapha Azeroual recherche le rayon vert, le phénomène optique qui se produit lorsque le soleil est juste au-dessus ou en dessous de l’horizon. Pendant un bref instant, une bande de lumière verte peut apparaître au-dessus du soleil couchant ou levant. « Personnellement, je ne l’ai pas rencontré. » Les tirages, très abstraits de fait, sont des dégradés de couleurs dont on comprend qu’elles proviennent de quelque part.

Bruce Eesly est un Allemand dont l’expo raconte une histoire. La série est intrigante, ironique, achronique. Elle défie le temps. Il est né en 1980 et ses photos, ses personnages sortent des années 50 ou 60. Son « récit » photographique présente des chercheurs qui découvrent un engrais superperformant, puis des gens à côté de fenouils, des concombres, de carottes, de citrouilles énormes. Bruce Essly a utilisé des outils d’intelligence artificielle et le résultat est assez drôle… mais inquiétant aussi. On se dit que des monstruosités pareilles sont du domaine du possible.

Rajesh Vora est indien. Il a pris des vues sur des immeubles incroyables. Pas les immeubles eux-mêmes, mais les statues construites au-dessus, sur les toits. Un footballeur, une voiture, un tank, un animal, un avion. C’est géant ! Les photos ont été prises dans des districts du Pendjab. Le catalogue des Rencontres dit qu’elles symbolisent « les aspirations de leurs propriétaires [et que] ces icônes sont souvent liées à leurs histoires personnelles. »

La diagonale d’Arles à Sceaux

Le directeur du prestigieux festival est depuis 2020 Christoph Wiesner qui est entouré d’une vingtaine de commissaires en charge des expositions. Citons le maire, Patrick de Carolis, bien connu des amateurs des Racines et des ailes sur France 3 (et peut-être de Philippe Laurent dans le cadre de l’association des maires de France). Claire de Causans est l’adjointe à la Culture. Ces deux noms à particule ne signifient pas que la ville vit dans une aisance aristocratique. Elle se défend avec ses armes, avec son passé romain et puis le Rhône qui la traverse dont Van Gogh a immortalisé les contours dans La Nuit étoilée sur le Rhône peinte en 1888. Il y fait chaud l’été et l’ombre y est d’autant meilleure.

Les félibréens de Sceaux (ville, dont on connaît l’attachement rare à la tradition provençale) retrouveront en Arles une panoplie de textes, témoignages, biographies et photographies des hérauts félibres. La ville les célèbre avec éclat dans le musée Arlaten. Là même où se tient une exceptionnelle exposition qui touchera tous les armateurs du noble art version sphérique, mixte et intergénérationnelle : les boules.

La distance d’Hans Silvester, photographe allemand, apporte à ses portraits de boulistes concentrés humour et sympathie pour des sportifs plus qu’ordinaires et, pour cette raison, saisissants et troublants. « C’est superbe. Cerise sur le gâteau, on apprend les différences entre la pétanque et la boule provençale. Faut pas confondre ! Ça n’a rien à voir ! Il y a aussi une vidéo sur la fabrication des boules. Y a du bouleau… ». Rien à voir ? Il exagère… il faut quand même s’approcher du cochonnet. Mais on a compris qu’à travers ses photographies, Silvester offre une vision intime et poétique de ce sport (de cette attitude ? de cet art de vivre ?) traditionnel. Le noir et blanc donne aux images une belle qualité intemporelle.

« Je suis loin d’avoir tout vu. Très loin même. J’ai vu trop de choses pour que je mémorise tout. » Ce n’est même pas un résumé ni une entrée en matière, ce sont de simples flashs. Ce ne sera pas mal si cela donne envie. Pour le (très copieux) contenu, sachez que les Rencontres se poursuivent jusqu’à la fin du mois de septembre.


[1] Le Point. Edition spéciale Rencontres d’Arles 2024, p.10

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *