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Auberge à la ferme dans une savane arborée

Tout près de Yamoussoukro, à trois heures de route au nord d’Abidjan, une ferme porte le nom de Terres Douces. À sa tête, un couple : Marie, Alsacienne, Mamadou, Ivoirien, qui se sont connus au Mali, à Bamako. Ils sont agriculteurs. À côté de cela, ou plutôt pour faire connaître cela, ils ont créé une auberge à la ferme. Le séjour y est riche. L’accueil est limpide et chaleureux. La gastronomie des produits de la ferme impose son style. Mamadou aime inviter à faire le tour du propriétaire. Leur œuvre. Quand ils s’y sont installés, c’était des friches.

Le manioc d’abord

C’est un domaine peuplé d’oiseaux. Ils sont si nombreux que Mamadou lui-même ne les connaît pas tous. Ni ceux-là, juste à côté, qui rient comme des mouettes. Les feuilles de tek forment sur le sol un tapis qui craque sous les pas. Le tek est cultivé, puisqu’on en fait les meubles. Rien n’est inutile dans la nature.

« Le manioc, ce n’est pas comme les patates, dit-il amusé. » Il a dû croiser des Européens qui s’en faisaient une représentation particulièrement vague. Le manioc donne au-dessus une large tige ou un étroit arbuste. On peut s’attendre à voir un arbre très jeune. Rien à voir. Sur les 36 hectares du domaine, 15 lui sont consacrés.

Récolte de manioc. Terres douces

Il déterre un tubercule qu’il ouvre en deux d’un coup sec de machette. C’est blanc. C’est plus gros que ladite patate. En repiquant une branche, un nouveau tubercule va pousser. « C’est tout simple dit-il comme émerveillé, il faut juste du travail ! » Quand il dit « juste », on comprend « beaucoup ». Le manioc ne se ramasse pas tout seul. Et, le croirez-vous, en Côte d’Ivoire comme partout, la terre est basse. En plus, le climat est rude.

Le manioc est transformé en placali, une poudre déshydratée. Avec un peu d’eau, elle reconstituera la célèbre semoule à la base de l’alimentation nationale, voire internationale. L’expédition passe par Bouaké, un peu au nord.

Tout a sa place dans la nature

Les cacaoyers poussent à l’abri de bananiers qui retiennent l’eau pour eux. Ils sont assez bas. Ils se sont lancés dans cette culture récemment. Mamadou montre des cabosses. Quand elles sont mûres, elles sont jaunes. Dedans, les graines, unies dans un ensemble gluant, peuvent être sucées comme un bonbon. C’est assez doux. Il faut recracher la graine crue. L’arbre n’est pas traité. « Vous voyez les pucerons blancs ; ce sont des ravageurs. Mais les fourmis s’en chargent. » A regarder le geste de sa main, elles n’en font qu’une bouchée. La nature, ici, fait le traitement.

Une sorte de crevasse traverse le chemin. Des fourmis défilent en file indienne dense. « Elles cherchent la nourriture avant la pluie. Elles font des réserves qu’elles portent dans leur tanière. » Attention, elles piquent très fort ! Ce sont des fourmis magnan. « Les serpents les craignent. Ils ne s’approchent pas. Ces fourmis-là sont l’arme fatale contre les serpents. Elles sont capables de les dévorer tout entier. »

« Tout a sa place dans la nature ! aime à répéter Mamadou. »

Des rôniers maintenant, le domaine semble immense. Ce sont des sortes de palmiers qui donnent de de gros fruits (jaunes). « Ils mettent entre 10 et 20 ans avant de donner des fruits. A maturité, posés dans le coin d’une pièce, ils embaument délicatement. Mais ils sont aussi comestibles et servent à faire un jus parfumé d’une couleur orangée. Son vin de palme, quant à lui, est extrait de son tronc, une fois abattu. »  Après une petite marche, il poursuit : « Le rônier se reproduit par dispersion des noyaux de ses fruits…Il est un marqueur fort des zones de savanes, d’où son surnom de « sentinelle de la savane »! Il est aussi l’emblème de notre projet… » Il se développe et se multiplie de manière totalement autonome et sauvage.

Autosuffisance

Ah, ces belles rangées d’ananas ! Dire qu’ils n’ont rien à voir avec ceux qu’on trouve en France est un euphémisme. Ce n’est carrément pas le même fruit. Son intérieur est blanc ; il est sucré. Son goût subtil est à cent lieues des ananas cueillis trop tôt.

Marie a préparé un bissap, un cocktail de fruits à base d’hibiscus, d’ananas, de gingembre et d’autres choses qu’elle tient secrètes. Une vraie tuerie.

Pomme de cajou

On trouve de tout chez les Coulibaly. Il y a des rangées de salades, « des patates douces et plusieurs sortes d’igname, dont le ComTer qui ressemble à de la pomme de terre », des presque concombres assez courts, pépineux qui se cuisinent en salade (bien sûr) ou en dessert avec un peu de sucre.

Ils cultivent des bananes, des bananes plantains, des papayes, des pommes de cajou. Ces pommes sont des fruits de l’anacardier. Accrochées à elles sont les fameuses noix de cajou. Comme des noyaux extérieurs. Etrange.

Ils font du miel. Deux ruches sur le chemin. « Elles dégoulinent ! Il faut récolter vite. » Puis Mamadou pousse un cri de joie en découvrant qu’une troisième « ruche a pris » un peu plus loin. Ce qui prouve qu’une ruche ne naît pas d’un claquement de doigts.

Poulets bicyclettes

Une ferme sans animaux ne serait pas tout à fait une ferme. Ça tombe bien, ils en ont. L’aîné des trois fils s’occupe des lapins. Les moutons ont l’air maigres, on dirait des chiens. Mamadou rit : « C’est la race sahélienne qui veut ça ! » Les chevaux, les chèvres dans les rues d’Abidjan avaient toujours l’air racho, limite famélique. Une aptitude aux longs parcours des nomades du désert ?

Autrement plus costauds : les poulets. Ils courent partout, d’où leur nom de scène : poulets bicyclettes. Pas d’élevage en batterie, c’est du plein air, du vrai ! Ce sont des accros de la course. Les 35°C ne les gênent pas. Les plumes les protègent. Elles forment une sorte de maillot isolant. Et quand ils arrivent dans l’assiette (que les âmes sensibles se retirent), rôtis dans la cocotte de Marie, accompagnés de purée de patates douces et d’une sauce tomate gingembre, on se réjouit d’être omnivores. Le vrai poulet existe, nous l’avons rencontré. Nous le connaissions déjà de France. Mais pas à deux cents kilomètres au nord de la côte atlantique, dans une savane arborée très près de la grande ville.

L’auberge à la ferme pour partager des idées

Ils vivent de leurs produits et veulent les faire connaître. Ce besoin s’est associé chez eux au désir de sensibiliser à l’agriculture sans chimie. Les feuilles d’arbres peuvent être attaquées par les pucerons, pas de traitement chimique. Les pucerons sont combattus à la loyale. En garde ! Avec des graines de neem. « On les décortique et dedans il y a le noyau qui repousse les moustiques et les pucerons, explique Mamadou en joignant le geste à la parole. »

Sensibiliser à l’autonomie. Une cuve de 10.000 litres d’eau puise dans une nappe à 75m de profondeur. C’est un sourcier qui l’a repérée. Il ne s’est pas trompé. Les maisons et bâtiments sont alimentés à l’énergie solaire. Panneaux photovoltaïques sur tous les toits. Les déchets sont triés, mis en compost.

Ils sont à 70% autosuffisants, se nourrissent de leurs produits, chauffent l’eau avec le solaire et boivent celle qui remonte du forage. À la ville, ils achètent le sec, l’huile, le savon, le lait, les produits laitiers. À la ville aussi, une clientèle fidèle de Yassoumoukro est friande de leurs productions. Elles sont saines, modestes et variées ; elles partent en un clin d’œil.

Un projet collectif

Cabosse de cacao

Un choix de vie. Marie, fille de viticulteurs alsaciens élevée dans les vignes d’Orschwiller. Mamadou, fils de paysans ivoiriens qui s’est formé en France et ailleurs, qui sait ce que gérer des individus et du matériel veut dire.

Ce choix, ils veulent le partager. Faire connaître leur travail d’agriculteurs et celui de ces dizaines d’ouvriers locaux sans lesquels le projet ne pourrait pas vivre. Une confiance s’est installée avec les habitants. Le domaine leur donne du travail ; ils en prennent soin.

L’auberge à la ferme est née de la volonté d’expliquer et de promouvoir. Elle est au croisement du besoin d’échange et de la fierté. Les trois bungalows sont conçus en accord avec l’esprit du lieu. Ce qui n’empêche pas un confort certain : une large salle à manger, jouxtant une piscine. Se mettre dans l’eau n’est pas du luxe. C’est souvent un soulagement.

Une table d’hôte. Petit déjeuner. Marie fait des confitures d’autant meilleures qu’elles sont intransportables. Il faut les consommer sur place. Comme le reste de leurs produits, comme le domaine à découvrir, à discuter et à comprendre, comme cette nature luxuriante et difficile à la fois, comme la passion de ce couple qui ne reviendrait à la ville pour rien au monde.


Pour en savoir plus : https://www.facebook.com/2EEspaceVert/?locale=fr_FR

  1. Gander Gander 6 février 2023

    Très bel article, en le lisant on peut s’imaginer avoir voyagé jusque chez Marie qui est ma nièce. Tout est vrai, dépaysement total garanti. J’y étais avant qu’elle ne construise la piscine, nous avons quand même apprécié notre séjour. Je conseille vivement pour des vacances hors circuit et hors tourisme de masse!

    • Lea Tabarin Lea Tabarin 6 février 2023

      Je ne connais pas Marie, mais j’ai ressenti comme vous. L’article est dépaysant et il donne vraiment envie d’y aller.

  2. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 2 février 2023

    Belles scènes de vie. J’ai entendu dire que certains font un peu la même chose par chez nous. Les bonnes idées voyagent vite et loin. Bravo. Merci Maurice.

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