L’actualité récente au sujet des rodéos urbains ne cesse d’occuper les gros titres des médias. Pendant la période de confinement et depuis le 11 mai 2020, les interventions des forces de l’ordre pour les rodéos urbains ont augmenté de façon conséquente et les incidents liés à cette pratique illégale se sont multipliés. Qu’en disent les organisations syndicales de police ? Que fait exactement le ministre de l’Intérieur sur cette question ?
Rodéo sans cheval, sinon vapeur
Passible de prison depuis la loi du 3 août 2018, le rodéo urbain (ou rodéo motorisé ou rodéo sauvage ou encore « cross bitume ») est un « jeu » dangereux qui consiste à adopter, au moyen d’un véhicule terrestre à moteur à deux roues ou plus, comme une moto-cross, un scooter, un quad ou une mini-moto, « une conduite répétant de façon intentionnelle des manœuvres constituant des violations d’obligations particulières de sécurité ou de prudence […] dans des conditions qui compromettent la sécurité des usagers de la route ou qui troublent la tranquillité publique. » Ce comportement illégal s’exprime sur la voie publique, au mépris des règles de prudence et du Code de la route. Il compromet la sécurité des usagers et des riverains. C’est un délit qui consiste donc à conduire dangereusement son véhicule en faisant des “acrobaties” type roue arrière sur la route. La nuisance peut notamment se manifester par le bruit ou, pire, générer des riverains blessés ou tués. Dans les faits, cette pratique a fait de nombreuses victimes en France.
Importé des États-Unis et « popularisé par certains films d’action », comme le décrivait Natalia Pouzyreff dans un rapport parlementaire de 2018, ce phénomène inquiétant représente un danger tant pour les acrobates en herbe que pour les autres usagers de la route et engendre des nuisances, notamment sonores, pour les riverains.
Pour comprendre les enjeux, commençons par recenser les positions des syndicats de police et le message ministériel de cet été. Tout en sachant qu’il existe par ailleurs d’autres positions.
Tour d’horizon syndical
Les principaux syndicats de police sont, par ordre de représentativité :
- Le Syndicat Alliance, classé à droite sur l’échiquier syndical, il sera largement majoritaire après le rapprochement en cours avec l’UNSA
- UNSA Police, qui rejoint le précédent, dans le but de constituer le pôle syndical majoritaire de la Police
- Unité SGP Police, syndicat FO de gradés de la Police
- Alternative, syndicat CFDT
- Impact Police CFTC
Je n’ai pas lu ou entendu de position spécifique officielle de la CGT à ce propos. J’ai en revanche noté que cette organisation syndicale entend redonner plus de place à la démocratie locale en organisant des votations locales pour prendre le pouls de nos concitoyens sur les mesures à prendre contre les rodéos urbains (Nemours, Mitry-Mory…).
Unanimité syndicale
Toutes les organisations précitées réclament peu ou prou les mêmes mesures :
- Institution de la pratique anglaise du tamponnage ou contact tactique qui autorise les véhicules de police à percuter les motos pratiquant du rodéo pour les contraindre à cesser et pouvoir les appréhender
- Confiscation et destruction systématique des véhicules utilisés pour un rodéo
- Condamnation réelle aux peines encourues
Alternative Police ajoute à ces mesures :
- Développer la vidéo surveillance et son utilisation pour identifier les auteurs de rodéos
- Sanctionner fermement toute diffusion sur les réseaux sociaux qui alimente la surenchère
Le message ministériel : « Intensifier » la lutte en intensifiant les contrôles
Une instruction en ce sens a été transmise début août aux préfets pour définir et cibler ces contrôles.
Gérald Darmanin a annoncé, lundi 8 août, une intensification des contrôles dans toute la France. Cette décision suit un accident survenu le week-end précédent : une fillette de 7 ans et un garçon de 11 ans ont été grièvement blessés alors qu’ils jouaient à chat sur l’esplanade de leur quartier, après avoir été renversés le vendredi soir par une moto lors d’un rodéo urbain à Pontoise (Val-d’Oise). Un jeune homme de 18 ans, qui a reconnu avoir renversé et grièvement blessé les deux enfants, a par ailleurs été mis en examen et écroué dès le lundi.
Le ministre de l’Intérieur a indiqué à plusieurs reprises durant le mois d’août que, depuis janvier 2022, 1.800 scooters et motos ont été saisis au cours de 16.000 opérations de police contre des rodéos urbains, au niveau national. En 2021, il y avait eu 9.800 contrôles, 1.345 interpellations et 1.200 engins motorisés saisis, a-t-il ajouté. « Ce n’est pas une politique du chiffre, c’est l’activité des services de police et de gendarmerie », a affirmé Gérald Darmanin. Et « en même temps que l’on fait la lutte contre les rodéos, on fait la lutte contre les stups et on fait la lutte contre les voitures et motos volées », a-t-il indiqué.
Depuis le début de la mobilisation ministérielle aoûtienne, plus de 150 scooters et motos ont été saisis au cours de près de 3.000 opérations de police et de gendarmerie, avait mis en avant le ministre sur Twitter. Il avait alors annoncé « au moins trois opérations anti-rodéos par jour pour chaque commissariat.»
Un décret en juillet
Le 24 juillet est paru le décret d’application des mesures en matière de sécurité routière prévues par la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 et relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure. Les unes sont dirigées vers la lutte contre les rodéos motorisés (conformément à l’article 32 de la loi précitée). Il s’agit en particulier de faciliter le traçage des véhicules, le constat ayant été fait de la difficulté à identifier les propriétaires de véhicules dès lors qu’ils ne sont pas homologués.
Le décret prévoit que le vendeur d’un cyclomoteur, d’une motocyclette, d’un tricycle à moteur ou d’un quadricycle à moteur neuf non soumis à réception devra le déclarer à l’occasion de sa vente. De manière analogue, tout acquéreur de ce type de véhicule vendu d’occasion sera tenu de le déclarer dans les quarante-huit heures suivant la date de son acquisition. Dans les mêmes délais, il devra, le cas échéant, déclarer tout changement d’état civil ou d’adresse, toute cession ou vente, ainsi que la destruction du véhicule.
Le texte renforce les sanctions encourues en cas d’usage d’un d’un équipement non homologué en punissant ces infractions de l’amende applicable aux contraventions de troisième classe, soit 450 euros (contre 38 euros en l’état du droit en vigueur).
Le texte rend également possible l’immobilisation et la mise en fourrière d’un véhicule n’ayant pas fait l’objet d’une réception. Le délai accordé au propriétaire d’un véhicule ayant servi à des rodéos pour retirer son véhicule à la fourrière après mise en demeure est abaissé de 15 à 7 jours avant d’être livré à la destruction.
La réaction syndicale : des moyens et un cadre légal plus adapté
« Les politiques s’intéressent au phénomène, c’est une bonne chose, Gérald Darmanin communique beaucoup, réagit peu après Julien Le Cam, secrétaire départemental du syndicat Alliance dans les Yvelines. Les rodéos urbains, c’est un fléau dans la région de Trappes. Mais en fin de compte, au-delà des annonces, il faut donner des moyens aux policiers pour endiguer le phénomène. Sans ça, accentuer les contrôles routiers n’aura aucune efficacité. On veut surtout des modifications du cadre légal.»
« Il faut modifier les différentes doctrines et mettre en place de nouveaux gestes d’intervention pour permettre aux policiers de venir percuter et déséquilibrer les auteurs de rodéos urbains. C’est difficile d’interpeller les individus en motocross. En cas de refus d’obtempérer, les auteurs partent avec des engins puissants dans des terrains favorables, à travers des immeubles ou des champs par exemple, et vous ne pouvez pas les suivre. Et il y a le risque d’un drame, ajoute Julien Le Cam.»
Acceptabilité sociale des contrôles
Sur les rodéos urbains, la question donc n’est plus seulement d’accroître les contrôles, mais bien de maintenir cet accroissement dans la durée et de se poser collectivement la question de l’introduction du tamponnage, de la confiscation et de la destruction systématique : le corps social est-il prêt à aller aussi loin ? Y a-t-il moyen de faire autrement ou peut-on en rester au réglage actuel ? Tout dépendra sans doute du suivi de l’évolution du volume des rodéos et de celui de leurs victimes physiques ou psychologiques par les nuisances sonores….
Si le phénomène ne tend pas à baisser, malgré les contrôles accrus, et s’enkyste dans les banlieues, il faudra sans aucun doute finir par en passer par ces solutions jusqu’au-boutistes avant que les rodéos urbains ne deviennent une des nouvelles modalités « officiellement homologuées » d’une vie en société plus difficile et plus dangereuse malgré 21 siècles de travail des philosophes, des juristes, des scientifiques et des humanistes…
La question de la multiplication des refus d’obtempérer sera évoquée dans un prochain article. Celui-ci traitera à nouveau des positions syndicales et la politique actuelle du gouvernement.