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Densité, mobilité, promiscuité

La densité urbaine fait l’objet de critiques régulières. Certains de ses détracteurs y voient comme une gifle à dame nature et un sévère déni de vert qu’ils voudraient voir couvrir les villes ; d’autres ont en tête le modèle « résidentiel » comme symbole d’indépendance, le bon vieux pavillon de banlieue, lieu crucial des films noirs des années 60. En soi, il n’y a rien à redire au fait de préférer des espaces individuels équilibrés par des jardins. Mais pour ne pas laisser cette forme urbaine sans discussion, allons voir du côté de Carlos Moreno, auteur de Droit de cité : de la « ville monde » à la ville du « quart d’heure »[1] Il défend clairement la densité, lui attribue même des vertus. Voyons en quoi ou, plus exactement, par rapport à quoi.

Services viables

Quand la densité est honnie, on lui réserve plus fréquemment le terme de densification qui flétrit plus clairement. Mais elle n’est honnie de tous. Au contraire. Le prix du mètre carré parisien parle de lui-même. Les candidats ne manquent pas. Et si, par impossible, la surface habitable pouvait doubler, nul doute qu’elle serait occupée en un clin d’oeil. Ce n’est pas une situation seulement parisienne ; on la retrouve dans tous les centres des grandes villes.

Il ne faut pas chercher bien loin la raison principale de cet engouement et de l’acceptation du différentiel de prix. Entre les centres et les périphéries, la proximité des services change de tout au tout. On y trouvera soit de nombreux soit de rares commerces, divertissements, établissements de santé, écoles, etc. Si le désavantage du centre est la moindre surface, il est estimé jusqu’à un certain point de moindre poids que la présence des services. Il n’est pas surprenant que, selon des études d’opinion, les jeunes gens plébiscitent plutôt les centres, puis avec l’arrivée des enfants s’en éloignent. Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’y resteraient pas s’ils avaient les moyens de se loger dans plus grand.

La proximité des services est au cœur de la réflexion de Moreno. Il la relie à la densité qui rend possible la présence des services. Si la qualité de vie est perçue comme se dégradant, il en voit une cause probante dans le « transport subi ». C’est l’obligation à se déplacer, à passer des heures dans le RER, le métro ou la voiture qui est ressentie comme dépréciative. Bien plus d’un million de personnes prennent le RER A chaque jour de la semaine.

Le « métro, boulot, dodo » qui moquait, autrefois, un mode de vie supposé morne et déprimant, s’est déplacé avec la prise de conscience des risques climatiques. Le côté débilitant cède la place à l’angoisse des lendemains qui chauffent. La mobilité a pris la lumière, selon l’expression cinématographique. Au déplacement long et contraint succède le déplacement polluant.

Cela dit, le second s’oppose d’autant moins au premier qu’ils sont des symptômes d’une même réalité : la ségrégation des espaces urbains. Les spécialisations qui implantent ici les immeubles de bureau, les commerces des kilomètres plus loin et les logements encore ailleurs sont à la source de déplacements forcés et seule la densité saurait en être un antidote. Car pour rendre les services viables, il faut assez d’usagers dans les alentours.

Mobilité forcée contre mobilité choisie

La capacité à satisfaire les besoins principaux dans un périmètre assez compact (la ville du quart d’heure dans les zones denses) est pour Moreno totalement liée à la densité du lieu. Il distingue opportunément densité et promiscuité.

La densité, celle qu’il défend, suppose des bâtiments aux matériaux nobles, des lumières naturelles, des fonctions sociales diversifiées. La promiscuité, ce sont des immeubles mal faits, qui se dégradent, des manques d’isolation sonore, des rues sans âme. Aucune raison de confondre l’une et l’autre au motif qu’elles rassemblent de nombreux habitants.

La bonne taille du « rassemblement » est un sujet complexe et son approche dépend du lieu précis. Chez Moreno, il ne s’agit pas de monter des tours de cinquante étages, mais de rechercher des compacités qui offrent aux quartiers une autonomie suffisante.

« On n’aura pas partout le Louvre ou le grand hôpital américain, mais le problème n’est pas là, dit-il en substance. Ce sont des mobilités occasionnelles. »[2] Le problème est dans le récurrent. C’est lui qui fonde l’esprit du lieu. Si on doit le quitter constamment pour accomplir ses tâches quotidiennes, on ne s’y attache pas (on ne parle ici de Neuilly ou du Vésinet). Un quartier, il faut vouloir en prendre soin. On ne résoudra pas les questions de propreté, d’abandon des déchets sur les voies publiques, si les habitants n’ont pas envie de veiller à leur quartier, s’ils n’en sont pas un peu fiers. Il faut aimer les lieux.

Nouveaux usages

Une question évidemment s’impose. Comment doter les lieux de fonctions sociales dont ils ne disposent pas aujourd’hui ? C’est tout le problème et la réponse, les réponses ne peuvent que varier avec la ville dont on parle. Pas de recette miracle, unique et applicable mécaniquement. Mais des principes quand même à considérer dans la durée. Les villes ne se transforment pas d’un claquement de doigts (en temps de paix, bien sûr). Deux exemples.

Pour rapprocher l’emploi de l’habitat, Moreno fonde des espoirs dans le numérique avec l’extension sans précédent du télétravail. Ses modalités peuvent se décliner sous plusieurs formes : à la maison, dans des lieux proches avec des capacités d’accueil comme les espaces de coworking, dans des lieux distribués à l’initiative d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises. Autant d’occasions de réduire les besoins en déplacement. Cela ne suffit évidemment à résoudre le problème, mais cela peut y contribuer.

La mixité des bâtiments. L’idée est la suivante. Elle repose sur un constat : l’utilisation des bâtiments professionnels est réduite à ce pour quoi ils ont été conçus. Une statistique de l’APUR indique qu’ils sont utilisés environ 40% du temps, du fait des fermetures quotidiennes hors les heures ouvrables et de celles liées aux congés. On aurait 60% d’inutilisation. Tout n’a pas vocation à être utilisé par n’importe quoi. Mais il y a selon lui un gisement d’initiatives pour faire vivre dans la journée des lieux ouverts le soir et inversement.

A suivre. Avec des exemples réussis à trouver, mais en dehors des très grandes villes qui disposent de moyens trop spécifiques. Moreno aime à citer Paris ou Milan. C’est intéressant, mais pas simple à transcrire sur notre territoire. L’usage diversifié des lieux reste cependant une piste intéressante. Et puis, elle chatouille l’imagination. Pourquoi pas une discothèque, les vendredis et samedis soir, au deuxième sous-sol d’un parking ? Ou un club de gamers insomniaques à la Rotonde ? On forme déjà, en dehors des heures d’ouverture, les adultes au vélo dans des cours d’école. C’est dire.

La boîte à idées est ouverte.


[1] Editions de l’Observatoire, 2020
[2] France Culture, dans l’émission La vie, mode d’emploi, 2 octobre 2021

  1. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 20 janvier 2022

    Un quartier, il faut vouloir en prendre soin. On ne résoudra pas les questions de propreté, d’abandon des déchets sur les voies publiques, si les habitants n’ont pas envie de veiller à leur quartier, s’ils n’en sont pas un peu fiers. Il faut aimer les lieux.

    Lisant cette déclaration je n’ai pu m’empêcher de penser au quartier dans lequel je vis : Les Blagis, et de me poser la question de savoir comment prendre soin de son quartier quand, dans la réalité instituée, celui-ci ne vous appartient pas. La résidence des Bas-Coudrais et le Centre commercial appartiennent à Haut-de-Seine Habitat OPH. Le quartier des Blagis est une réalité intercommunale puisqu’il s’étend sur 4 communes (Bagneux, Bourg-la-Reine, Fontenay-aux-Roses, Sceaux). Mais, sauf événement tragique déclenchant une réaction partagée vers le préfet, il est clair que la vie de ce quartier est l’affaire de la Ville de Sceaux et de son Maire.
    Les habitants du quartier des Blagis veulent bien se l’approprier et en prendre soin, mais comment faire quand l’un des interlocuteurs (HdSH) ignore leurs demandes reconnues comme importantes par l’autre (le maire de Sceaux) qui, lui même, ne les consulte guère sur les sujets qui concernent son urbanisation, ses aménagements et son entretien à commencer par la propreté.
    Car tout commence par là. Des rues propres ce sont des espaces publics partagés qui doivent être maintenus en état de propreté. Ce qui retient les uns et les autres d’abandonner leurs petits déchets de tous les jours sur la voie publique.
    Le respect montré par le responsable réglementaire, le maire, de cette propreté aux habitants du quartier en assurant un service quotidien pour entretenir celle-ci, pourrait être bienvenu.

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