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De moins en moins de médecins généralistes

Cet été, deux médecins généralistes de Sceaux ont pris leur retraite. On souhaite à tous les patients qu’ils suivaient de trouver, prêts à les reprendre, d’autres médecins généralistes. On sait en effet que leur nombre est en baisse dans toute la France. La très récente publication par l’ordre des médecins d’un atlas de la démographie médicale va nous aider à comprendre d’où vient le problème. Nous aborderons donc successivement trois questions : la pyramide des âges, le rapport des médecins à la durée du travail et enfin la répartition généraliste/spécialiste. En fin d’article, nous aborderons le cas particulier des Hauts de Seine et de l’Ile de France.

Une pyramide des âges très inquiétante

On trouve dans cet atlas la pyramide des âges suivante, qui concerne uniquement les médecins généralistes.

L’importance de la génération des 60/64 ans saute aux yeux. Elle compte 16425 praticiens, quand celle des 45/49 ans n’en compte que 8774 et celle des 30/34 ans 10501. On recense actuellement 85 364 médecins généralistes en activité soit une diminution de 9% des effectifs depuis 2010. L’ordre prévoit que le rythme de baisse se maintiendra au moins jusqu’à 2025.

Ce n’est que lorsque la génération actuelle des 50/54 ans partira à son tour en retraite (donc dans les années 2030/2040) que l’on commencera à observer un plus grand nombre d’arrivée de jeunes médecins que de départs en retraite. Du moins en théorie, car la gravité de la situation risque de provoquer des changements difficiles à imaginer.

Le résultat des évolutions du numérus clausus

Si la situation d’ensemble est moins inquiétante que celle des seuls généralistes, elle reste marquée par une pyramide des âges très déséquilibrée :

Ce déséquilibre est la conséquence des évolutions du numérus clausus. La longueur des études de médecine fait qu’il est extrêmement rare que cette formation se fasse en milieu de carrière. Le volume d’étudiants a un moment donné est majeur pour la situation quelques décennies plus tard.

En 1972 un numérus clausus (donc un nombre maximum possible) a été mis en place dans les facultés de médecine. Deux objectifs : pour les médecins, éviter d’avoir une concurrence faisant baisser excessivement leurs revenus, pour les gestionnaires limiter les dépenses, selon l’idée que la dépense dépend de l’offre médicale. Ce numérus clausus ne s’est imposé qu’assez tardivement contribuant ainsi, entre le milieu des années 1970 et la fin des années 1980, à un accroissement démographique sans précédent du corps médical en France. Parmi les conséquences, on notera la création de deux associations pour travailler à l’international (médecins du monde et médecins sans frontières), le développement des médecines « alternatives » (permettant de trouver de nouveaux clients). Dans les années 80, un hebdomadaire pouvait titrer sur « des jeunes médecins gagnant moins que le SMIC ».

A partir de 1979, le numérus clausus est donc drastiquement baissé, pour arriver au début des années 90 à un niveau inférieur de 60 % à celui de la fin des années 70 !

En 2000, on commence à s’apercevoir qu’on a été trop loin dans la baisse. Le numérus clausus est donc doublé en 10 ans, de 1998 à 2007.  Il reste ensuite à peu près stable jusqu’en 2016. Il a depuis été augmenté de plus de 20 %. On a donc trop tardé, avec le risque de recréer pour les personnes commençant leurs études dans les années 2020 une nouvelle vague, avant une nouvelle baisse du numérus clausus dans 15 ans.

La durée du travail

Dans les années d’après-guerre (et probablement aussi avant), le médecin type ne compte pas ses heures. Entre ses consultations, ses visites et ses astreintes, il est facilement à 50 ou 60 heures par semaine, voire plus. Dans de nombreux cas, il compte sur son épouse, mère au foyer, pour s’occuper de tout le reste.

On peut penser que ceux qui ont décidé d’un numérus clausus en baisse dans les années 80 avaient ce modèle en tête. Il était pourtant déjà en train de changer avec les nouvelles générations. L’augmentation du taux d’activité des femmes se traduit directement dans la proportion de femmes dans les jeunes générations. On le voit sur la pyramide des âges : aujourd’hui, moins de 40% des médecins de 60/64 ans sont des femmes, contre près de 60 % chez les 30/34 ans. La plupart des femmes n’entrent pas dans un modèle ancien. Mais il en est de même pour les hommes. La réalité est progressivement que les deux membres du couple ont une vie professionnelle. Et ils ne veulent plus d’un travail qui envahisse toute leur vie.

La prise de conscience par les autorités a probablement lieu au tournant des années 2000, avec d’une part le passage aux 35 heures pour tous les salariés, et d’autre part l’application à l’hôpital d’une directive européenne qui oblige à compter les heures de garde comme des heures de travail. Le numérus clausus va être augmenté de 50 % entre 2002 et 2007, mais cette hausse s’interrompt ensuite, à tort. La hausse ne reprendra que vers 2015.

Généralistes et spécialistes

Si l’on compare la pyramide des âges de l’ensemble des médecins et celle des seuls généralistes, on constate que près de 90% des 60/64 ans sont des généralistes, quand ce n’est le cas que de 65% des 30/34 ans : les 30 dernières années ont vu une augmentation conséquente de la part des spécialistes au sein de la profession médicale, augmentation qui n’a pu qu’augmenter l’effet du numérus clausus sur le nombre de généralistes.

On ne sera donc pas étonné d’observer que la situation des médecins spécialistes est différente de celle des généralistes, avec un nombre en augmentation (ce qui ne signifie pas qu’il n’y a pas de manque également dans cette population :

Dans les Hauts de Seine

L’atlas donne beaucoup de données par département. On ne s’intéressera ici qu’à celui des Hauts de Seine. Actuellement, le département compte 6270 médecins pleinement actifs et 596 retraités actifs. Ce nombre a baissé de 1,2 % entre 2020 et 2021, alors que ce nombre a augmenté en France (+0,4%) et baissé Ile de France (-0,6%). La situation est différente pour les médecins généralistes, dont le nombre a augmenté de 3,2% cette année, alors que la baisse avait été plus forte que la moyenne entre 2010 et 2020 (-18,7% contre – 9%)

L’âge moyen des médecins actifs est de 50,4 ans, très proche de la moyenne nationale (50,3). 57,8% de ces médecins sont des femmes, alors que la moyenne nationale est une parité quasi parfaite. 56,6 % des médecins sont des salariés, soit beaucoup plus que la moyenne nationale, mais cohérent avec la situation observée en Ile de France.

Il est à noter que l’ordre se garde bien de comparer, département par département, le nombre de médecins et la population. Il est cependant expliqué, pour les seuls généralistes, que 51 départements se situent au-dessus de la médiane (123 médecins pour 100 000 habitants).

On va donc faire ce calcul pour les Hauts de Seine, dont on sait seulement qu’il a une densité médicale plus faible que la moyenne (comme toute l’Ile de France, sauf Paris). En 2019, d’après l’Insee, le département compte 1,606 millions d’habitants. La densité médicale totale, en comptant les retraités actifs, est donc de 427 médecins pour 100 000 habitants.

La population française en 2019 était de 67 millions d’habitants et on y comptait 218 552 médecins en activité totale et 18 934 en cumul emploi-retraite. Soit un total de 354 médecins pour 100 000 habitants. La densité médicale du 92 est donc supérieure d’environ 20 % à celle du pays.

Les habitants des Hauts de Seine ne sont donc pas les plus mal lotis en France. Mais cela ne consolera pas tous ceux qui ont déjà (ou auront demain) du mal à trouver un médecin traitant, ou à obtenir un rendez vous avec un spécialiste.

PS : tous les graphiques sont issus de l’atlas de la démographie médicale, à l’exception de celui du numérus clausus

  1. Gérard Bardier Gérard Bardier Auteur de l’article | 10 janvier 2022

    Jeudi 13 janvier, l’émission d’Élise Lucet sur France 2 sera consacrée au thème « Liberté, santé, inégalités »
    Avec sa méthode préférée : faire d’une anecdote une généralité pour en faire un scandale à dénoncer, et « enquêter » en ne retenant que ce qui va dans le sens défini au départ. Les méthodes utilisées ont été décrites avec précision ici : https://www.afis.org/Comment-se-construit-une-enquete-en-television
    Cette fois-ci, sa cible, ce sont les médecins, ces pelés, ces galeux, qui n’ont qu’un seul objectif : se faire du fric sur le dos du pauvre patient.
    Si on veut vraiment comprendre la question des déserts médicaux, il vaut mieux lire cela : https://threadreaderapp.com/thread/1480120517524967427.html

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