Mercredi 27 octobre au soir : le journal « La Marseillaise » annonce : « IHU-Méditerranée : les soupçons d’essais illégaux confirmés par une enquête interne de l’AP-HM (Hôpital de Marseille La Timone, NDLR) ».
Derrière cette annonce du quotidien local, il y a un enjeu majeur pour le directeur de l’établissement : selon le Code de la santé publique, enfreindre la législation en matière d’essais cliniques est passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Un encadrement strict de tout essai
Des règles strictes ont été mises en place progressivement pour les essais cliniques sur l’homme. Tester un médicament ne peut se faire qu’avec l’autorisation de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), chargée de vérifier que les travaux préalables (phase préclinique) ont été menés et que l’essai à un intérêt (les travaux déjà menés montrent qu’il a un rapport bénéfices/risques supérieur aux traitements existants pour la maladie visée). L’évaluation clinique comprend trois phases :
- Une phase I d’évaluation des effets sur l’homme : son évolution dans l’organisme (cinétique) et sa toxicité grâce à des examens de toutes sortes sur les volontaires.
- Une phase II d’évaluation des effets sur la maladie visée. Cette phase vise notamment à déterminer la dose efficace et les effets secondaires.
- Une phase III sur une cohorte plus importante de malades pour mesurer l’intérêt thérapeutique du médicament.
Pour lancer cette évaluation clinique, il faut en préalable monter un dossier qui permettra à l’ANSM de donner, ou pas, son accord.
Il faut aussi obtenir l’avis favorable d’un comité de protection des personnes (CPP), tiré au sort parmi les 40 existants en France et composé de 14 membres (7 du monde médical et 7 de la société civile).
Des essais réalisés sans autorisation
En mars 2020, quand l’IHU-M avait publié une première étude sur les effets de la chloroquine, avec une vingtaine de patients, certains de ceux qui ont analysé l’étude, s’étaient étonné de voir que l’IHU-M n’avait pas respecté le cadre de l’étude dont il avait demandé l’autorisation, en incluant notamment des enfants, alors que le dossier de demande (et son autorisation donc) prévoyait seulement un essai sur des adultes.
Certaines personnes (probablement au sein même de l’IHU) ont alerté sur le fait que l’IHU menait des essais non autorisés : d’abord auprès de l’ASNM (en mai) puis auprès de médias. Pendant que l’ASNM menait son enquête, l’Express et Médiapart ont mené la leur.
Le 6 octobre, l’Express publie un article qui pointe un certain nombre d’essais illégaux.
- Le premier est une étude réalisée en 2013 et ayant fait l’objet d’une publication en 2015. « Ces travaux, signés notamment par le Pr. Didier Raoult, présentent « les résultats préliminaires avant/après d’une étude prospective comparant la mortalité de 61 patients âgés de 84 ans en moyenne, dont 42 ont été traités par antibiotiques et 19 par transplantation [fécale, NDLR] », écrivent les auteurs. Aucune autorisation n’apparaît dans le document publié.
- Le second concerne une étude réalisée en 2016/2017, là aussi sans aucune autorisation.
- La troisième a été lancée en 2019 et porte sur des malades atteints de schizophrénie, toujours sans autorisation.
- 247 (!) études ont été menées entre 2011 et 2021 en s’appuyant sur un seul numéro d’autorisation identique. 238 d‘entre elles portent la signature de Didier Raoult. Beaucoup portent la signature des professeurs Fournier et Lagier.
De son côté, Médiapart a publié courant octobre une enquête à propos d’une étude clinique sur la tuberculose, commencée en 2017 et poursuivie jusqu’en mars 2021. L’IHU a fait une demande d’autorisation en 2019 (alors que l’étude était commencée depuis deux ans…), demande qui n’a pas été acceptée. Des alertes ayant alors été remontées auprès de la Société de pathologie infectieuse de langue française, laquelle a demandé en novembre 2019 à Didier Raoult de cesser ce protocole.
Sur ce dossier, la réponse de Didier Raoult est que les traitements testés bénéficient d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour d’autres infections. Il a déjà développé ce type d’argument concernant l’hydroxychloroquine. On rappellera ici que le Médiator a été utilisé pour des pathologies que ne correspondaient pas à son AMM.
L’AP-HM (dont dépend l’IHU) a mené une enquête interne à la suite de cette publication de Médiapart. Le 27 octobre, elle a publié un communiqué de presse montrant que cette enquête confirme les faits révélés par Médiapart, notamment le fait que certains des patients traités avaient eu des complications rénales au point que l’un d’entre eux a dû être opéré.
À la suite de l’enquête qu’elle a menée depuis le mois de mai, l’ASNM a saisi la justice le 27 octobre.
Le point de vue de la communauté scientifique
Des scientifiques ont réagi très vite aux déclarations fracassantes de Didier Raoult sur le Covid en début 2020, la Gazette l’a rappelé. Et ils ont fait à leur manière : en analysant les études publiées par l’IHU et en mettant le doigt sur les énormes biais qu’on pouvait y trouver.
Le comportement du directeur de l’IHU a aussi été pointé comme ne correspondant pas au fonctionnement normal de la communauté scientifique : déclarations sur ses « découvertes » prioritairement adressées aux médias, refus d’être confronté à ses pairs.
Le 21 septembre, le comité d’éthique du CNRS a publié un long avis (approuvé dans sa séance du 25 juin 2021) sur « les dimensions déontologiques et éthiques de la crise sanitaire. » On peut lire dans le résumé la phrase suivante : « le COMETS déplore le comportement irresponsable de certains chercheurs qui ignorent, ou veulent ignorer, les fondements de la démarche scientifique que sont la rigueur, l’honnêteté, la fiabilité et la transparence des méthodes utilisées et l’évaluation critique des publications par les pairs. »
Dans le corps de l’avis, on peut lire :
« Face à l’urgence de trouver des solutions thérapeutiques à la COVID-19, des acteurs de la recherche et du monde médical ont soutenu que l’intuition ou le « bon sens » médical seraient suffisants pour décider de l’efficacité et de la sécurité d’un traitement. Ils ont déclaré être les tenants d’une « éthique du traitement » qui serait opposée à une « éthique de la recherche ». Ce discours a servi la promotion, par Didier Raoult et son équipe de l’IHU de Marseille, du traitement de la COVID-19 par un antipaludéen connu de longue date, l’hydroxychloroquine (HCQ). Largement ouvert au public, dans des conditions peu respectueuses des règles de déontologie médicale, le traitement a fait l’objet d’un emballement médiatique et politique alors même que son efficacité sur la COVID-19 ne reposait que sur une étude clinique contestable.
Cela fait déjà plus d’un an que les scientifiques, dans leur très grande majorité, se sont fait une opinion sur Didier Raoult, et le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas favorable. Beaucoup attendent qu’il soit sanctionné. On verra dans les mois qui suivent ce qu’il en est !