Appuyez sur “Entrée” pour passer au contenu

Le bicentenaire vu du centre-ville

Songeons en ce bicentenaire de la mort de l’Empereur que Sceaux ne lui était pas inconnu. On peut même conjecturer qu’il savait parfaitement où la ville se trouvait. Et même l’étude notariale. Quelle raison à cela ? Maître Renaudin, celui dont un étroit et très charmant passage du centre-ville porte le nom. Car maître Renaudin a marié le premier et bel amour de Bonaparte, Désirée Clary, non pas à lui, mais à Jean-Baptiste Bernadotte, le futur roi de Suède et même de Norvège. Dire qu’au moment où les deux amants s’unirent, le cœur de celui qui n’avait pas encore fait le coup du 18 Brumaire puisque le mariage eut lieu le 17 août 1798 (voyez les belles Archives de Sceaux), le cœur donc du général a dû battre plus fort. C’est difficile à prouver, mais au XXIe siècle, dilatation médiatique aidant, ce n’est pas un problème de s’en passer.

Le 5 mai 1821, ça n’est que 23 ans après l’union de Jean-Baptiste et Désirée. Une génération à peine. Difficile encore d’assurer qu’au seuil du trépas, le reclus de Sainte-Hélène eut une pensée pour maître Renaudin et Désirée, alors reine de Suède dont le mari avait fait une sorte de bras d’honneur à Napoléon en s’alliant au tsar Alexandre. Comment savoir ce que pense un grand au moment d’expirer ?

Car s’il fut petit de taille, il fut grand en influence. Il fut un « influenceur » ou alors qui pourrait y prétendre. Au contraire de Louis-Napoléon qui, bien que de belle corpulence, ne fut jamais qu’un « petit » si l’on accepte le costume qu’en son temps Hugo lui a taillé pour l’hiver.

Grand, mais à quel prix ? C’est ici que la dispute commence. Et comme me le dit une amie historienne, que commémore-t-on ? Le militaire, l’homme politique, l’initiateur du pouvoir personnel, le grand organisateur de la France, l’auteur du code civil, le créateur de la France des 130 départements, le conquérant, le despote, le visionnaire sorti des limbes de la société et qui a réussi par son seul talent ?

Le personnage a plusieurs facettes, me rappelle-t-elle avec le sentiment de dire une évidence. Son image s’inscrit dans une histoire de deux siècles. Le XIXe siècle a créé un imaginaire qui retenait avant tout l’aspect glorieux, le prestige de la France. Il était à la fois héritier de la Révolution et l’homme d’un pouvoir fort, le chef des armées. Il capte un héritage de gauche, particulièrement pendant les Cent jours (qui sera à nouveau repris par le neveu, Louis-Napoléon, en décembre 1848 lors des élections présidentielles). Mais il crée une nouvelle noblesse (tout en recyclant une partie de la noblesse existante). Il exporte le code civil en Europe, mais il lance une guerre atroce en Egypte (la présence de savants, d’artistes, dans l’expédition ne freine en rien sa cruauté) ; la guerre d’Espagne, face à la résistance populaire et aux guérillas se traduit par une répression massive des civils).  

Il faut reconnaître que, par extraordinaire, la légende commence dès la défaite. A la Restauration, les soldats sont écartés de l’Armée. Devenus demi-soldes, subsistant péniblement, les anciens conquérants s’aigrissent. Eux qui sont revenus des guerres (au contraire des centaines de milliers qui y sont restés) entretiennent entre eux un culte de l’Empire. Ils se racontent sans cesse les fastes et les gloires de l’Empire. Enveloppés dans leurs longs manteaux, ils ruminent dans les cafés et rêvent d’un retour de l’Empereur. On va les retrouver chez les carbonari, dans les entreprises insurrectionnelles de Louis-Napoléon, mais aussi, plus tard, dans l’Armée d’Afrique en Algérie où ils reprennent le sabre et le fusil.

Et puis, dans le monde « éteint » de la monarchie revenue aux commandes avec la Restauration, se répand dans la jeunesse un mythe Napoléon. Il représente l’aventure, l’énergie alors que se succèdent sur le trône des sexagénaires. Hugo, Dumas, Musset voient dans l’Empire une grandeur qui redonne dignité lorsqu’ils songent au soleil d’Austerlitz. « Je suis né trop tard dans mon monde trop vieux » soupire Musset tandis Julien Sorel dévore les Bulletins de la Grande Armée, ce chef d’œuvre de propagande napoléonien.

Car l’armée napoléonienne fut un ascenseur social formidable. Exceptionnel. En totale rupture avec les pratiques de l’Ancien régime. Murat, Lefebvre viennent de milieux modestes. Le premier devient roi de Naples, excusez du peu. La femme du second, Madame Sans-Gêne, ancienne cantinière, devient madame la maréchale et fréquente la cour impériale. Sans parler de tous ces officiers venus du peuple et de ces fonctionnaires chargés d’administrer les grandes villes d’Europe. Il y avait de quoi être un peu nostalgique … si on en revenait. 

Au XXIe siècle ces images entrent en contradiction avec l’esprit du temps. La valorisation ne va plus au sacrifice de soi mais au statut de victime. On pense dès lors au rétablissement de l’esclavage aboli par la Révolution, à l’infériorité dans laquelle le code civil place les femmes, mineures perpétuelles (il leur fallait avoir enterré mari, père, frères avant d’être libres).

On voit plutôt la part sombre des guerres perpétuelles avec ses millions de morts. Un système politique à la botte, la censure généralisée sur la presse. En 1810, il ne reste que quatre journaux à Paris là où il y avait plus d’une dizaine auparavant, tous soigneusement encadrés par des censeurs scrupuleux, très scrupuleux, on peut faire confiance à Fouché pour cela, on s’indigne de la présence à la tête de la police de ce terrible Fouché, l’authentique révolutionnaire jamais en retard d’un coup tordu.

La part constructive de Napoléon est mise en perspective. On lui reconnaît de s’être entouré des meilleures compétences venues de la Révolution, d’avoir stabilisé les institutions de la République mais, dira-t-on, sur la base de réformes commencées avant lui : la refonte du système scolaire, la création des lycées, de l’école polytechnique, tout cela était déjà dans les tuyaux avant lui. Il crée les préfectures, mais les départements, c’était avant. Le franc Germinal a stabilisé l’économie, mais après 1810, avec les guerres perpétuelles et le blocus continental, l’économie est exsangue. L’exportateur de l’abolition des privilèges, du code civil etc., en Europe, oui, mais par la force. On sait depuis que les armées étrangères n’imposent ni le bonheur ni la démocratie aux peuples.

Il installe les préfectures jusqu’à Hambourg, mais l’humiliation subie au quotidien par les Allemands, les Autrichiens et les Espagnols développe leur sentiment national. Ses soutiens de la première heure, solidaires des idéaux de la Révolution, se retournent bientôt contre l’envahisseur, « l’homme sans nom » de Fichte.

Le duc de Richelieu par Thomas Lawrence

Pour en revenir au propos initial, lorsque l’aigle courbe la tête, prononce ses dernières et énigmatiques paroles, Désirée, devenue madame Charles XIV, vit loin de Stockholm où exerce son J-B de mari ; elle est à Paris, follement énamourée de Armand-Emmanuel de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu. Le tableau qu’en fit de lui Thomas Lawrence dit, sans qu’il faille en rajouter, que c’était un beau frisé.
J-B, pas jaloux, fait son trou et trône comme il convient. Quand on considère le mépris que Napoléon témoigna à Bernadotte, cela donne à penser. Ce qui est normal au moment d’une commémoration.

Car, c’est François Hartog qui le dit, vivons au temps du présentisme, cette hyperprésence du passé incrusté dans notre présent qui nous enjoint à multiplier commémorations et autre « devoirs de mémoire. » Du passé, on ne fait pas table rase, on le rumine sans cesse alors que notre futur peine à se dessiner. Ainsi, pour nous couler dans cet esprit du temps, n’hésitons pas à commémorer le trépas du Petit caporal, en évoquant ce qu’il ne pouvait imaginer à l’époque (ni Désirée ni J-B, d’ailleurs), à savoir que la rue Renaudin aurait à ses deux bouts, la rue Houdan et la rue des Ecoles.


Ce billet ne serait pas complet s’il ne mentionnait pas la réception donnée en 2009 en l’honneur de « Per Holmström, ministre plénipotentiaire suédois, qui a reçu du maire de Sceaux la médaille de “Sceaux en Europe”, ainsi que le descendant de Jean-Baptiste Bernadotte, Bertil Bernadotte, président de l’association consacrée à son aïeul à qui nous devons les liens qui unissent, encore aujourd’hui, Sceaux au Royaume de Suède. » C’est ce que rapporte Sceaux Magazine de septembre 2009, page 22 : https://archives.sceaux.fr/sites/default/files/files_d6/sm_395_0.pdf

Confirmant, s’il le fallait encore, le rôle historique de l’étude de maître Renaudin, en 2013, pour le bicentenaire de la dynastie Bernadotte, la princesse Victoria et son époux Daniel, en personne, rendent visite à la bonne ville de Sceaux. Et Paris Match couvre l’événement !
https://www.parismatch.com/Royal-Blog/famille-royale-Suede/Victoria-de-Suede-une-princesse-a-Sceaux-480413#

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *