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La mort dans le puits

Continuons notre lecture des registres d’état civil par celle de l’année 1793. Le 7 janvier meurt un terrassier âgé de 47 ans[1]. La chose est triste mais terriblement banale en ce temps où ce que nous appelons les accidents du travail étaient plus que fréquents que de nos jours.

La monarchie est tombée le 10 août 1792 et l’an I de la République a été déclaré le 22 septembre. Au moment même où est rédigé l’acte de décès se tient le procès de Louis XVI. Il a commencé le 10 décembre 1792 pour s’achever le 21 janvier de l’année suivante par la mort du roi. Si à Paris la tempête politique fait rage, dans les rues des villes et des villages, les temps sont durs pour les plus modestes. La misère s’accroît en particulier dans la capitale où le travail se fait plus rare et les prix du pain s’envolent.

Mais revenons au registre des décès. Avec la Révolution, la tenue de l’état civil s’est laïcisée. Depuis le 20 septembre 1792, ce sont les maires ou leurs adjoints qui sont chargés de l’enregistrement des naissances (et non plus des baptêmes), des mariages et des décès. Dans le cas présent, il s’agit d’Edmé Claude Patois qui rappelle qu’il a été élu en décembre 1792 pour recevoir et dresser les actes d’état civil. Ce 9 janvier 1793, il a devant lui des témoins un peu particuliers. Il s’agit d’abord du frère de l’ouvrier terrassier, Claude Chaussat l’aîné (49 ans) et d’Antoine Bigot, un vigneron de 48 ans. Ce dernier nous rappelle au passage l’importance de la culture de la vigne dans la commune. Aux deux proches du défunt s’ajoute Charles Benoit officier municipal et de police de Sceaux. On peut penser que la mort étant intervenue sur la voie publique, elle a dû faire l’objet d’un constat officiel. Le juge de paix du canton, situé à Bourg-de-l’Egalité (Bourg-la-Reine) a dressé un procès-verbal constatant le décès et qui permettra au curé d’inhumer par la suite le terrassier et à l’officier d’état civil de dresser l’acte présent. Chaussat aîné (qui omet le t à la fin de son nom et trace les lettres d’une main maladroite) et les deux officiers de police et d’état civil signent l’acte, pas Antoine Bigot.

Claude Chaussat cadet n’était scéen d’origine. Ses parents, désignés comme des laboureurs, c’est-à-dire des paysans propriétaires, habitaient Craponne situé dans le diocèse du Puy-en-Velay. Depuis le XVIIIe siècle, l’Auvergne à laquelle appartient le village est une région d’émigration. De façon temporaire, pendant le rude hiver du Massif Central, ou de façon plus pérenne, les jeunes hommes quittent la région. Beaucoup prennent la route pour Paris où ils s’établissent dans les métiers de la construction. Celui de terrassier, qui ne requérait pas de formation pointue, était fréquent parmi eux. C’était une profession des plus modestes, souvent précaire et dangereuse, on le verra.

Le méphitisme et les débuts du souci hygiéniste

Il est rare que les raisons de la mort soient spécifiées dans les registres d’état civil. Ici, elle nous est connue à cause du contexte du décès survenu la voie publique. Le terrassier est mort du méphitisme du plomb, dans un puits situé au carrefour de l’orme. Les exhalaisons toxiques émanant des puits étaient fréquentes. On n’en connaissait pas la cause exacte, mais elles devinrent un véritable sujet de préoccupation pour les édiles et les savants. De manière plus générale, l’insalubrité des grandes villes où s’entassaient des milliers de centaines de personnes affligées de maux continuels et souvent mortels devint à la fin du XVIIIe siècle constitué un véritable objet d’étude pour les savants. Ils en attribuaient la raison à ce que l’on appelait alors d’un terme vague : le méphitisme. L’Encyplopédie des sciences médicales parue quelques années après notre histoire le définit ainsi : « On nomme méphitisme la disposition d’un lieu quelconque, par laquelle il cesse d’être propre à la respiration de l’homme et des animaux… »[2]. Suivent l’énumération et la description des différentes formes selon les lieux (méphitisme des fosses d’aisances, des caves, des puits, des greniers à foin, etc.). Dans les années qui précèdent la Révolution, les travaux sur ce sujet se multiplièrent. Le chimiste Lavoisier, soucieux d’hygiène publique, se pencha ainsi sur la question des fosses d’aisances, comme bien d’autres scientifiques.

De quoi est mort exactement Claude Chaussat ?

Antoine Alexis Cadet de Vaux, lui-même chimiste et journaliste s’est distingué dans ses recherches sur les gaz délétères. Nommé Commissaire Général des Voyeries et Inspecteur des objects de salubrité en 1779, il écrivit nombre de livres et de rapports sur la question. En 1783, Berthollet et Lavoisier furent les rapporteurs à l’Académie des sciences d’un texte sur le méphitisme des puits.[3] Au début du XIXe siècle, comme l’indique l’Encyclopédie citée plus haut, on ne sait pas encore si c’est le gaz chloridique ou l’azote qui provoque la mort des malheureux puisatiers ou terrassier. L’acte de décès évoque le méphitisme du plomb. Cette expression est employée, si l’on en croit P. Raquin, auteur d’un ouvrage de pathologie médicale[4], par les égoutiers et terrassiers eux-mêmes. Elle désigne dans leur langage une mort provoquée par l’acide sulfhydrique libre ou ammoniacal. Dans les cas les plus graves, il entraîne une mort accompagnée de grandes souffrances. Parfois, la personne meurt comme foudroyée en quelques minutes.

Si l’on connaît mieux aujourd’hui les effets des gaz stagnant dans les puits, il n’en reste pas moins qu’ils sont toujours dangereux. Un terrible accident a en effet causé la mort de deux ouvriers asphyxiés dans un puits de géothermie en 2018.[5] L’événement est toutefois assez extraordinaire puisqu’il est rapporté dans la presse. En 1793, la mort d’un obscur terrassier n’intéresse personne…


[1] Archives de Sceaux, État civil, registres des décès 1793-1797

[2] Encyclopédie des sciences médicales. Répertoire général des sciences au XIXe siècle, Bruxelles, 1841, p. 241 et suivantes

[3] Rapport sur le méphitisme des puits 1783

[4] P. Raquin, Eléments de pathologie médicale, Paris, Germer Baillière, 1852, p. 130

[5] Le Parisien, 18 septembre 2018

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