Parfois l’article « Le » change tout. Le Papet de Pagnol n’est pas un simple Papet. Il est l’unique Papet. Mieux, il était unique en tant que Papet ; il est encore plus unique avec Le Papet. Il en va ainsi avec Le Batman qui est passé au Trianon cette semaine. Pour notre article détente du samedi, appelons les connaisseurs à déguster un millésime qui tient ses promesses.
La séance de vendredi était présentée par Didier Flori, grand cinéphile et grand amateur de Batman sous toutes ses formes. Pour les quelques-uns qui, par impossible, pourraient l’ignorer, c’est d’abord une bande dessinée qui commence à paraître dans les années 1940 et qui, eh oui, continue de paraître. Il évoque une version de 2011 due à Scott Snyder et dessiné par Greg Capullo, après avoir passé en revue les auteurs et les dessinateurs qui ont signé les grandes reprises des années 1970, 1980, 1990, …
Didier Flori, soutenu par ses diapositives affichées sur l’écran géant, présente un historique des séries TV et des séries cinéma : Il évoque les films réalisés par Tim Burton puis, sur décision de la Warner, par Joel Schumacher : Batman, Batman : Le Défi, Batman Forever et Batman et Robin. Puis la série, inoubliable à ce qu’on dit, réalisée par Christopher Nolan avec Batman Begins, The Dark Knight, The Dark Knight Rises.
La généalogie est présentée avec l’enthousiasme d’un aficionado. Si vous l’avez manquée, Wikipédia propose de nombreux articles, sans compter les critiques de film.
Pour ceux qui en sont restés au Batman Begins avec Christian Bale, Bruce (le prénom s’impose avec un ami de la famille); Michael Caine dans le rôle d’Alfred, le majordome version très british; Morgan Freeman, Lucius Fox, le techno hyper doué ; Gary Oldman jouait le policier intègre, Jim Gordon ; Katie Holmes, l’indispensable et vertueuse Rachel Dawes. Eh bien, la nouvelle version est très différente…. Vraiment très différente. N’hésitons pas à dire que le genre est renouvelé. Très renouvelé.
D’abord, alors que Christian Bale évoluait entre le smoking et l’uniforme bien connu, Robert Pattinson incarne le personnage sans quasiment changer de tenue. On le voit bien deux ou trois fois en costume cravate (une cravate et non un nœud papillon, un costume et non un smoking), mais rapidement, sans les gigantesques cocktails où le précédent Batman aimait donner le change.
D’autant que, dans le civil, Bruce a vraiment l’air contrit. The Batman est un film sombre. Ses couleurs rappellent Delicatessen de Jean-Pierre Jeunet : teintes étouffées, ruelles vides et sales, entrepôts inquiétants…. Bruce porte sa croix. C’était déjà vrai dans les versions précédentes (il faut comprendre : orphelin si jeune et dans de si terribles conditions !), mais là, c’est carrément la dépression.
Les symptômes ne manquent pas : moues de dégoût, regards tristes, longs silences… Même Catwoman, pourtant incarnée par une Zoé Kravitz magnifiquement enveloppée dans un ensemble très serré de cuir noir, malgré ses avances (dont l’immense retenue ne cache pas l’intensité) ne parvient pas à augmenter la sérotonine du malheureux, ce neurotransmetteur qui, s’il vient à manquer, agit méchamment sur le cerveau.
Réduire Catwoman à sa combinaison de cuir serait une erreur grave ! Car, au contraire de Lui, elle a des tenues fort différentes : elle peut être en robe, en décontracté genre sportware. Son masque est assez distendu, les petites oreilles de chat qu’elle a sur la tête sont molles, tandis que celles de Bruce sont rigides comme son masque ou son bustier. Il est vrai que cette rigidité répond à un besoin : efficacité du pare-balles, probablement pare-missiles également (malgré les tirs en rafales pas une balle ne l’égratigne), protection contre les chutes de 100 ou 150 mètres selon la hauteur des immeubles, garde-corps en cas d’écrasement par un véhicule lancé à grande vitesse.
Les esprits rapides résumeront le personnage à une mécanique à balancer des tartes. Ils manqueraient alors la part éthique (osons le superlatif). Il y a une lutte de tous les instants contre le crime à laquelle se dévoue corps et âme le milliardaire masqué. La schizophrénie positive de Bruce Wayne, oscillant entre le notable et l’acrobate, donne une profondeur tragique (pourquoi pas ?) à son combat prométhéen contre le génie défiguré du mal, le monstrueux Pingouin qui tient la ville de Gotham entre ses mains démoniaques. Elle fait écho, un écho étrange, à la psychopathologie du Riddler (de l’anglais riddle, énigme, devinette) qui devient dans la version française, le Sphinx.
On n’en dit pas davantage. Il faut voir ce duel de titans du traumatisme mental pour se convaincre qu’en deux heures et demie, on ne fait pas le tour de la question.