La maison du 21 rue Paul Couderc fut dessinée par André Lurçat, architecte et frère de Jean, peintre et créateur de tapisseries. Sa conception très rationnelle articulait des volumes réguliers. Le voisinage du béton et de la pierre ont fait de la villa un témoignage des recherches menées au XXe siècle sur l’habitat. Son jardin est accolé au parc de Sceaux.
La villa est inscrite aux Monuments historiques depuis 2010. En 2019 la ville exerce un droit de préemption, estimant qu’elle « présente un intérêt patrimonial car elle a conservé son agencement initial, ses couleurs d’origine dans les pièces, son « mobilier immeuble » (meubles sobres dessinés par A. Lurçat et posés sur des socles de béton), le bureau de travail de l’architecte, son équipement de cuisine et quelques meubles mobiles réalisés par lui pour la manufacture Thonet. »[1] En 2020, elle est acquise par la ville décidée à sa préservation, sa rénovation et sa valorisation. Elle ambitionne de la faire classer aux Monuments historiques[2].
Les Journées nationales de l’architecture, organisées sous l’égide du ministère de la Culture ont été l’occasion pour la ville de Sceaux d’organiser le 17 octobre un événement dans la villa même. Le maire a rappelé, dans une allocution, l’action déterminée de la ville pour la conserver, les projets de réhabilitation et de mise en valeur auxquels elle réfléchit.
La promotion du lieu n’en est pas restée à un seul discours. Une exposition d’art contemporain, dont le vernissage eut lieu dimanche dernier, s’est immiscée dans le jardin de la villa avec une double intention : saluer le lieu en le faisant par avance (avant toute réhabilitation) revivre ; faire œuvre commune, selon l’expression de Jean-Philippe Allardi, adjoint au maire à la Culture, pour qui l’accueil de l’exposition collective rendait un écho fidèle de la « Thébaïde que fut la maison d’André Lurçat. Elle accueillit sans cesse de nombreux artistes et nous sommes aujourd’hui dans cet esprit-là. »
Il faut dire que le jardin qui entoure une large maison est lui-même d’une belle surface. L’exposition y a pris position sans difficulté et quatorze auteurs ont pu s’y disséminer sans ne se masquer ni se contrarier: July Ancel, Milan Atanaskovic, Jérôme Bouchez, Julie Chabin, Evelyne Henrad, Macha Krivokapic, Eliza Magri, Paul F. Millet, Françoise Miquelis, Altone Mishino, Stéphane Moreau, Agnès Pezeu, Olivier Shaw et Benjamin Sabatier parrain invité.
Quelques photos sans prétentions donnent à imaginer les principes qui ont animé l’exposition et la relation recherchée avec la nature incarnée par le jardin. La petite sélection à laquelle le format de l’article oblige ne tient qu’au seul hasard de ma déambulation.
Scénographie
Fallait-il y voir une mise en scène ? Christophe Delavault, le commissaire de l’exposition, éclaire l’intention. Le commun, à ses yeux, entre toutes ces pièces est l’idée qu’elles font lien entre nature et architecture. Les poutres de Benjamin Sabatier sont de purs objets du bâtiment, sous les lentilles d’Eliza Magri est un évier ; dans les deux cas, il voit des produits manufacturés évoquant le bâtiment ou l’architecture et la démarche des artistes est de les intégrer.
Le comité d’organisation, poursuit-il, s’est intéressé à une histoire qui raconterait, bien que les pièces soient toutes différentes et sans lien direct, qui raconterait une sorte de frontière avec la nature. D’où le titre : Nature borders.
« On voulait, dans la sélection des œuvres, montrer les possibilités de l’art contemporain, de la céramique à la fonte, de la fonte à l’aluminium, le métal, le bois, les éléments organiques, la terre. Si elles n’ont pas de rapport entre elles, elles prennent un sens nouveau tout au long du parcours, de la déambulation dans le jardin. »
Il dit qu’il faut contextualiser les œuvres et les rapporter au projet global. Les éléments récupérés et posés, comme les pelles combinées à des tubes de Milan Atanaskovic ou la chaise retournée recouverte de cônes de pin de Jérôme Bouchez, sont là parce qu’ils se réclament de l’idée que la réalisation est contingente. Une large partie de l’art contemporain depuis Marcel Duchamp, en 1917, est dans cette démarche. Dans mon esprit, Marcel Duchamp s’amusait. Pour le commissaire, les artistes d’aujourd’hui s’amusent aussi. Dans ces conditions !
L’absence d’unité des représentations étaient pour lui logique au contraire du land art qui utilise la nature pour construire des œuvres et les rassemble de ce fait. Ici les œuvres sont posées. Elles n’ont pas été produites pour se développer ou s’épanouir via ce que la nature peut engendrer. D’où leur incongruité, leur décalage fort avec le lieu. Ce que confirme Benjamin Sabatier, pour qui les pièces, bien que discrètes, presque invisibles, s’imposent, si j’ai bien compris, par la sorte d’inconvenance qu’elles manifestent.
Mais il y a tout de même une volonté commune du Bloc House. Le projet est né d’une concertation entre les artistes. C’est avec eux que le commissaire m’invite à discuter. S’il a imaginé les emplacements et la mise en espace, c’est le collectif qui a prémédité le sens de l’action. Le dimanche était ensoleillé, les artistes s’expliquaient sur leur travail, de petites conversations à trois ou quatre un peu partout. Ce n’était pas le moment d’investiguer. À suivre donc.
D’autres bien petits retours d’excursion dans le jardin, où comme à Pâques, il fallait chercher et deviner.
Paul Millet
Transmutation araucariaMacha Krivokapic
Sans titreJulie Chabin
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[1] Source Ville de Sceaux, Conseil Municipal, séance du 27 novembre 2019
[2] Un classement protège à l’échelle de la nation, tandis que l’inscription ne le protège qu’au niveau régional.