Pour introduire mon propos, je vais commencer par un souvenir personnel. Nous sommes à l’automne 1981. Je viens de participer à une réunion extraordinaire du Comité d’Entreprise des Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC) à la demande de mon syndicat, la CFDT. Le sujet : le plan de relance charbonnière. Celui-ci figurait dans le programme de la gauche, qui vient de prendre le pouvoir. La direction regardait comment l’appliquer.
Nommé quelques mois plus tôt au poste de chef de la division études programmes de mon siège (nom donné dans les mines à un ensemble de production), j’ai donc fait l’exercice pour ce siège qui représente à l’époque environ 20 % de la production des HBNPC, avec l’aide du chef géomètre qui connaissait sur le bout des doigts ce qu’on savait sur le gisement. Respectant les consignes, nous avions fait trois scénarios, correspondant à différentes hypothèses. La plus optimiste donnait environ 10 ans de production et les sondages que nous ferons faire par la suite nous montreront qu’il n’y avait pas de charbon exploitable là où nos prédécesseurs et nous-mêmes l’espérions.
Lors de la réunion extraordinaire, la direction a présenté le résultat des mêmes scénarios réalisés d’un bout à l’autre du bassin. Avec une conclusion qui ne pouvait satisfaire les partisans présents de la relance : les 5 millions de tonnes annuelles promises par le nouveau Président ne pouvaient être produites. Et le bassin devrait de toute manière fermer au bout de 10 ans maximum.
L’argument aurait pu être économique : après tout, la perte de l’entreprise était supérieure à sa masse salariale, malgré le deuxième choc pétrolier. Mais si le pouvoir était prêt à combler les pertes… La direction avait donc mis l’accent sur un autre terrain : la fin des réserves. Et je connaissais maintenant suffisamment les méthodes utilisées pour l’évaluation qui en était faite depuis des décennies pour savoir qu’elles étaient a priori sérieuses.
J’ai donc défendu vaillamment le point de vue de mon syndicat (et j’étais de fait bien seul face à la direction), mais je ne pouvais pas grand-chose face aux arguments d’en face. La direction n’a pas cherché à finasser avec moi : à propos du siège où je travaillais, elle a expliqué pourquoi elle avait choisi la solution la moins optimiste. Je connaissais assez le sujet pour savoir que ce choix avait le mérite de la solidité et qu’un autre choix relevait d’un pari incertain.
Après la réunion, j’ai discuté avec le secrétaire général de mon syndicat. J’ai donc appris que celui-ci avait communiqué un projet à 5 Mt, réalisé pendant l’été par un militant du centre de recherches inter- bassin, qui connaissait probablement beaucoup mieux que moi le bassin dans sa diversité mais pas ses réserves. Il avait fait au mieux. Après tout, les autres syndicats n’avaient rien produit du tout alors que la CFDT n’était que le 4e syndicat de l’entreprise en nombre de suffrages.
Mais surtout le secrétaire m’a fait une réponse que je n’attendais pas : c’est toi qui m’as donné le chiffre de 5 Mt ! La reconstitution de l’histoire mérite qu’on s’y attarde, car elle illustre une limite des programmes électoraux, limite que j’ai découvert ce jour-là.
3 ou 4 années plus tôt, ce secrétaire général (dont je précise que c’était un homme plein de qualités, que j’appréciais beaucoup) m’avait en effet demandé mon avis sur les objectifs que l’on pouvait donner dans un plan de relance. Je savais que les résultats économiques étaient mauvais, mais pas les détails, je ne connaissais pas grand-chose sur les réserves, j’ai donc répondu sur ce que je connaissais un peu mieux : s’il fallait relancer et compenser la diminution annuelle naturelle des effectifs (13 % par an !), l’effort de recrutement et de formation nécessaire serait gigantesque. Stabiliser la production me paraissait donc déjà très ambitieux.
A l’époque, le bassin produisait environ 5 Mt. Le message « on pourra au mieux stabiliser la production », une fois passé à la moulinette des nécessités de la communication, est donc devenu « 5Mt/an ». En 1981, la production annuelle n’était déjà plus que de 3 Mt environ. Remonter à 5 Mt était de toute manière totalement impossible.
Le programme de la gauche en 1981 était le résultat de multiples réflexions, parfois très anciennes, ainsi que de négociations difficiles entre partenaires. Certains éléments programmatiques passent assez bien les années : on peut penser à l’abolition de la peine de mort par exemple. D’autres, notamment dans le domaine économique, sont beaucoup plus « périssables » en particulier quand ils sont chiffrés. C’est aussi un des éléments qui a probablement poussé la gauche à progressivement privilégier les objectifs « sociétaux » !
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