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Le travail a-t-il changé depuis 1983 ?

L’évolution des conditions de travail depuis 40 ans justifie-t-elle le report de l’âge de la retraite ? Le débat fait rage sur les réseaux sociaux. Qu’en penser ?

Public Sénat a interrogé sur le projet de réforme François Patriat, président du groupe « Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants » au Sénat. Celui qui fut élu député PS en 1981, avait voté en 1983 pour la retraite à 60 ans. Il explique maintenant que depuis 40 ans, la nature du travail n’est pas la même, la pénibilité n’est plus la même et les soins sont meilleurs. Il prend des exemples dans les métiers de la construction et les travaux agricoles. Sa position et son exemple des « exosquelettes des déménageurs » suscitent les hauts cris parmi les adversaires de la réforme envisagée.

Des changements réels depuis 40 ans

En 1983, ceux qui arrivaient à l’âge de la retraite avaient fréquenté l’école jusqu’à 14,9 ans en moyenne pour les hommes, 14,1 ans pour les femmes. Autant dire que plus de la moitié avaient commencé à travailler à 14 ans.

En 1956 a été reportée à 16 ans la fin de scolarité obligatoire. La mesure prenait effet pour tous les habitants nés en 1950 et plus tard. Donc ceux qui arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite ont tous connu ce régime. On a suffisamment pointé les conséquences d’un travail pénible avant la fin de l’adolescence pour ne pas nier aujourd’hui que ce report de deux ans a nécessairement entraîné une conséquence positive sur la santé.

Autre changement majeur : la transformation de l’emploi. Depuis les années 50, la part de l’agriculture dans l’emploi et un peu plus tard celle de l’industrie ne cessent de diminuer au profit du secteur tertiaire. Corollaire, une diminution des emplois d’agriculteurs et d’ouvriers, des métiers souvent pénibles.

François Patriat met en avant que les métiers manuels eux-mêmes sont devenus moins pénibles. Difficile de le démontrer, tant les métiers et leurs conditions de travail sont extrêmement divers. Il y a eu, particulièrement dans les années 70 dans l’industrie, une mécanisation et une automatisation du travail physique. Les observateurs qui pointent les pénibilités de certains métiers ont oublié ou n’ont pas connu les conditions de travail pendant les trente glorieuses (et avant bien sûr).

Certaines pénibilités se sont développées

La volonté de mieux utiliser les équipements a conduit à une augmentation des horaires atypiques et du travail de nuit. Une pénibilité réelle.

L’emploi s’est aussi fortement développé dans trois métiers qui restent manuels, avec de nombreuses contraintes physiques : les métiers de la logistique, ceux de l’entretien et nettoyage et ceux des services aux personnes. Aider une personne de 80 kg à se lever n’est pas forcément une partie de plaisir. Préparer les commandes de surgelés dans un entrepôt non plus.

Une fois de plus, la règle des carrières longues est une solution de justice à conserver. Elle pallie l’absence de prise en compte de la pénibilité des métiers. Mais une fois de plus aussi, cette pénibilité réelle de certains métiers ne justifie pas d’aligner tous les autres sur les mêmes compensations.

Ce que Patriat devrait regretter, c’est d’avoir en 1983, sous le prétexte de métiers pénibles, voté la retraite à 60 ans pour tous les autres ; c’est à ce moment-là qu’il aurait fallu mettre en place une règle de carrières longues !

  1. Gérard Bardier Gérard Bardier Auteur de l’article | 19 décembre 2022

    L’activité qu’on fait pour soi-même ou pour un proche (voisin, parent…) à titre gracieux n’est pas considérée comme une production et n’est pas compté dans le PIB

    Voir ici https://fr.wikipedia.org/wiki/Autoproduction

    La tendance de l’économie est celle d’une tendance au passage de l’autoproduction au domaine marchand (par ex j’achète des plats préparés plutôt que de faire la cuisine moi même ou j’achète du prêt à porter plutôt que de faire moi même mes vêtements, je mets mes parents dans un Ehpad plutôt que de les prendre en charge chez moi etc.)

    J’imagine qu’il y a eu plein d’études sur le phénomène, ne serait ce que parce que ce type de transfert augmente le PIB alors que cela n’améliore pas forcément les conditions de vie

  2. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 19 décembre 2022

    Juste quelques questions :
    Comment compte-t-on, dans le PIB, le travail, effectué de manière non rétribué, d’une personne vis-à-vis d’une autre ? D’un jeune pour un vieux ? D’une maman ou d’un papa pour ses enfants ? Etc.
    Ces questions ont-elles un sens économique ?

  3. Gérard Bardier Gérard Bardier Auteur de l’article | 19 décembre 2022

    Je réagis à la fin du commentaire
    Je suis moi aussi partisan de laisser chacun choisir le moment de partir en retraite, ce que le système actuel ne permet pas vraiment. Cela existe ailleurs (en Suède par ex) et cela avait été proposé me semble t-il dans la proposition de réforme avant le Covid

    Il faut savoir que ceux qui pratiquent vraiment cette liberté le font d’une manière telle que la décision individuelle soit neutre pour le système (ce n’est pas le cas aujourd’hui)

    En pratique, cela signifie que la pension versée diminue d’environ7 % pour chaque année d’anticipation (et augmente d’autant pour chaque année de prolongement)

    Pour info, le Canada considère comme anticonstitutionnel le fait de pouvoir obliger un salarié à partir en retraite à un âge donné

  4. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 18 décembre 2022

    Excellente analyse. Mais…
    Mais peut-être pas la même conclusion.

    François Patriat a changé d’avis. La société humaine étant ce qu’elle est, et la sociologie n’étant pas une science exacte, on imagine bien qu’il soit intelligent de changer d’avis sur ces questions quand elles se posent autrement. Les convictions, en la matière, inspirent rarement des choix pertinents.
    François Patriat a donc changé de position.

    Mais, a-t-il eu raison ?
    Il explique les motifs qui l’ont amené à ce changement. Sont-ils bien réfléchis ?

    Les constats rappelés par Gérard sont pour le moins clairs et éclairants.
    Comme on le sait, tout éclairement produit des zones d’ombre. Peut-on ici se passer d’aller voir ce qui s’y passe, ou pourrait se passer ?

    Moins d’agriculteurs, moins d’emplois industriels, plus d’emplois de service.
    Et parmi ces derniers l’entretien, le ménage et le service aux personnes.

    D’expérience, je vais sur mes 88 ans, je constate régulièrement que je suis bien heureux que mes enfants, habitant près de chez moi et n’ayant pas très loin de l’âge de la soixantaine, ne rechignent pas à venir me donner un coup de main pour entretenir mon jardin. Le ménage de la maison et le lavage des carreaux, que j’ai longtemps faits moi-même, sont maintenant effectués par des personnes que je rémunère à cette fin. Ma retraite me le permet. Je suis donc favorisé. Je vais régulièrement faire la lecture à une personne âgée, immobilisée dans un fauteuil, hémiplégique à la suite d’un AVC ; j’ai pu constater que j’étais bien incapable de l’aider à en sortir alors qu’elle ne pèse guère plus de 60 kg. Les personnes qui viennent s’en occuper sont jeunes, robustes et ont la technique.
    Toutes ces limites ne m’empêchent pas de naviguer sur Internet et d’y lire la Gazette.

    Alors je me fais la réflexion suivante : et si beaucoup de ces « jeunes » retraités, ou sur le point de le devenir, ayant nourri l’espoir d’être présents auprès de leurs vieux parents tant qu’ils auraient la force de s’en occuper, calculant que leurs petites retraites cumulées leur permettraient bon an mal an de faire face, se retrouvaient brutalement contraints… de ne plus savoir comment faire ?

    Ce ne sont pas des questions d’économie, ni d’emploi, ni de carrière, ni… , ni… , mais tout simplement des choix sur le vivre ensemble.
    C’est peut-être cela qu’il faudrait rappeler à nos sénateurs ? Et à d’autres… ?

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