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De Joséphine Baker, avenue Paul Doumer, à Jean-Claude Brialy, place des Vosges

BOURG-LA-REINE Un précédent article parlait du « mémorial » de Gérard Spiers où se trouvent trouvées cinq lettres que Joséphine Baker adresse à Jean-Claude Brialy. Elles sont de mars 1975. A 68 ans, Joséphine fait son grand retour à Bobino, à côté de Montparnasse à Paris (démoli en 1985). La revue intitulée Joséphine retrace les moments forts de ses cinquante ans de carrière.

La première, le 24 mars 1975, est un événement mondain très suivi. La dernière a lieu le 9 avril suivant, la veille de l’attaque cérébrale qui lui est fatale, le 12, à la Pitié-Salpêtrière. Les cinq billets publiés ici à destination des curieux et des biographes vont du 4 au 28 mars. Avant le 24, la tension monte. Joséphine, le 21, se sent même au bord du vide. Le 28, elle est déjà dans les projets d’avenir. 

Elle entretient avec Jean-Claude Brialy, acteur et metteur en scène à la carrière exceptionnelle, de presque 30 ans son cadet, une relation d’amitié et de confiance rare. Les lettres le montrent. Il semble avoir joué un rôle important dans l’organisation du spectacle de Bobino. D’où l’espoir de l’associer à des projets futurs.

Deux mots des personnes citées

Jean-Claude Brialy n’est pas le seul Jean-Claude. Le prénom était très en vogue. Est évoqué un Jean-Claude, fils adoptif de Joséphine dont l’adolescence paraît difficile à gérer. Lequel n’a rien à voir avec le Jean-Claude Baker qui a tenu le restaurant Joséphine à New York.

Jean-Claude Dauzonne est le directeur de Bobino de 1973 à 1984 et, à ce titre, complètement impliqué dans le spectacle.

André Levasseur, décorateur de théâtre, metteur en scène et costumier, est directeur artistique du spectacle.

Jacques Brialy, frère de Jean-Claude, est évoqué à propos du tournage du spectacle. Il travaille alors pour la télévision.

Edgar Schneider (1929–1996) fut un journaliste chroniqueur de la vie parisienne et mondaine ; expert reconnu des festivités de la jet-set.

D’autres prénoms cités n’ont pas été identifiés, Gabriel, Colin. De même pour Hank Koffmann, dont le nom n’est d’ailleurs pas certain (avis aux connaisseurs).

Paris, le 4 mars 1975

Mon Jean-Claude,

Juste un tout petit mot pour te dire combien j’ai été heureuse de recevoir ta carte. J’étais contrariée que tu sois parti sans que j’aie eu la possibilité de te souhaiter un bon voyage.

Quand tu recevras ce mot, tu seras déjà rentré et notre joie revenue.

Personnellement, je trouve le temps très long.

Ta Joséphine qui t’aime tant.

Paris, le 11 mars 1975

Mon petit Jean-Claude

Nous sommes tous dans la fièvre des répétitions. Mais personne mieux que toi ne connaît cela. Je passe mon temps entre le studio d’enregistrement et Bobino.

Paris pleure ton absence, alors reviens vite, que le soleil salue ton retour car nous avons tous besoin de soleil, la pluie nous rend moroses.

Il y a une autre lettre de Hank, mais Gabriel s’en est occupé. J’ai signé le contrat pour les disques et ai touché le chèque. Le nouveau contrat de Bobino a été signé aussi et les fonds doivent nous être versés sous peu. Marianne était ici, mais elle est repartie.

Inclus, tu trouveras la photocopie de la lettre que j’ai reçue du Prince et le double de ma réponse. Tu comprendras qu’il m’était difficile de répondre différemment. Mais vois comme il faut être prudent. Quand André m’a suggéré de laisser faire ce film, j’étais loin de penser que le Prince n’aurait ni la gentillesse ni la courtoisie de me le montrer. Car, bien que ce film soit sa propriété, c’est par pure amitié pour lui que j’ai accepté qu’on le tourne. D’autant plus que je n’étais payée ni pour le film, ni pour le spectacle. J’aurais du reste été très vexée que l’on me propose un gain quelconque, et la contrepartie me fait de la peine. Mais ma grande et profonde affection pour le Prince, la Princesse et leurs enfants me fait oublier cette déception.

C’est tout ce que je vois à te dire pour l’instant.

Paris, le 18 mars 1975

Mon cher Jean-Claude.

Voici un billet doux bien long car j’ai beaucoup de choses à te dire.

Ne peux-tu pas contacter Jean-Claude. J’ai l’impression qu’il ne fait pas grand-chose au cours Diderot malgré ses promesses car il est très silencieux et ne parle que quand il est en colère (entre nous, il y est souvent) et là, il vide son sac. Si tu lui as promis de le prendre avec toi, fais-le. Je ne crois pas utile d’insister avec ses études. J’aurais pourtant aimé qu’il obtienne son bac mais on ne peut être plus royaliste que le roi lui-même. S’il est avec toi, tu pourras le suivre de près car tu as beaucoup d’influence sur lui et tes bons conseils ne peuvent que lui faire du bien. Dis-moi ce que tu en penses mais contacte-le le plus vite possible. Mon rôle de maman-conseiller tire à sa fin avec tous ces grands enfants, car ils ne veulent pas écouter, croyant qu’on les traite comme des bébés quand on parle pour leur propre intérêt. Mais l’expérience des uns ne sert jamais aux autres.

Je suis bien contente que tu sois rentré. J’ai compté chaque jour, comme on ouvre chaque fenêtre du calendrier de Noël jusqu’au 25 que le Père Noël arrive. C’est curieux, quand tu n’es pas là, je vis au ralenti ou clopin-clopant. Quand tu arrives, tout s’arrange.

Il faut absolument que tu raisonnes André. Il est en train de nuire à sa carrière. Un jour ou l’autre, il ne trouvera plus de travail à Paris à cause de son caractère car tout le monde sera lassé. Ce ne sera pas la première fois d’ailleurs. Personne n’est indispensable.

J’ai parlé à Gabriel et à André d’une idée que j’ai derrière la tête depuis longtemps : faire une société où nous aurions tous les trois (je ne me fais pas d’illusions, je ne travaillerai pas sur scène mais uniquement à la direction) ; cela me prouvera que je suis encore utile dans la vie. Bien entendu, si j’ai du succès (car bien entendu, tout dépend de cela). Dans cette société, tu serais directeur-général de théâtre, André, producteur, avec d’autres collaborateurs que nous jugerions utiles.

Nous produirions des revues, des comédies musicales au goût de Paris et des pièces de grande valeur. Nous pourrions engager de grandes vedettes internationales et créer le spectacle autour d’elles qui soient dignes de Paris et ainsi redonner à notre ville l’auréole qu’elle a perdue pendant cette période du blue-jean, du laisser-aller et de la tricherie.

Hank Koffmann insiste pour faire un film sur ma vie. Il m’a encore écrit. Cette fois-ci, il fait une offre. Il arrive petit à petit. Seulement, je crains que la hausse des prix de la vie ne le laisse loin derrière s’il ne va pas vite. Il ne faut pas avoir peur de lui demander 500.000$ pour option plus un pourcentage sur les recettes brut du film plus autres avantages financiers sur notre collaboration.

Ceci paierait une maison ou un petit hôtel particulier à Paris que je voudrais transformer en musée qui porterait mon nom un jour. Ainsi, il resterait quelque chose de moi.

Je voudrais faire transformer la Villa de Monte-Carlo en un immeuble de douze appartements plus un treizième sur le toit, qui me servirait aux vacances. Appartements pour les enfants ou que je louerai ce qui me ferait des rentes pour vivre.

Jean-Claude Dauzonne m’a parlé de la rencontre qu’il a eue avec ton frère concernant le tournage du spectacle. Je suis contente car j’ai toujours voulu que cela fût fait mais il faut que cela soit en studio pour être valable, n’est-ce pas ? Il faut faire attention de ne pas faire la même bêtise qu’à Monte-Carlo. Nous vendrons notre film et je suis sûre que nous gagnerons beaucoup d’argent. Toi, metteur en scène, André, le titre qui est lui est dû et moi artiste, si tu penses que je le mérite. Ce film pourra être vendu également à la télévision, en couleur et noir et blanc.

Il y a le disque qui vient de sortir et que je demande à Sonier d’arrêter. Jean-Claude Dauzonne, la compagnie de disques et moi-même sommes d’accord pour un proche. Ils ont un avocat très important qui connaît toutes les ficelles et est très retors. Ainsi ces messieurs, y compris Colin, comprendront que c’en est fini de l’exploitation. Il faut demander à ce dernier une partie de l’argent qu’il a touché depuis de longues années car je n’avais aucun contrat avec lui. Il est curieux que les gens pensent qu’ils n’ont qu’à trouver un morceau d’or dans un terrain vague, le faire briller toute leur vie et que les éclats ne profitent à personne d’autre. Ils oublient que tout le monde doit vivre.

Et j’ai su par Edgar Schneider, qui est venu me voir l’autre jour, qu’il est très intéressé et enchanté de faire un livre sur moi. Je lui ai parlé des contrats que j’avais depuis quatorze ans avec Opera-Mundi. Il m’a répondu que de nouvelles lois sont parues à ce sujet et qu’ils sont sans valeur. C’est curieux que Gabriel ne semble pas au courant. Il est vrai qu’il travaille pour Opera-Mundi. Est-ce la raison ? Ceux avec qui je travaille ne m’importent pas du moment qu’ils me donnent l’argent que je demande. Je pense 50 millions de francs anciens de redevances sur les droits. Je voudrais surtout une maison qui n’oublie pas de payer ses auteurs.

Il y a aussi les droits de comédie musicale que l’Angleterre et les USA cherchent à obtenir depuis longtemps.

Je pense avoir abordé tous les postes financiers pour lesquels je voudrais que tu sois mon représentant car, malgré les bruits concernant le film de Monte-Carlo, je sais que ni André, ni toi ne m’exploiteront et je sais que tu n’accepteras jamais que quelqu’un d’autre ose le faire.

Inutile de te dire qu’il faut demander le maximum d’argent car à notre époque, il ne faut pas avoir peur de parler de grands chiffres quand on propose une valeur sûre.

Quant à Bobino, nous avons trois mois sûrs ; nous espérons plus, mais nous ne serons guère fixés avant un mois. Cependant, même avec un grand succès, à cause de mon âge et de ma santé fragile, il ne faut pas rester trop longtemps ici. Six mois en Angleterre et six mois en Amérique (ce que je pourrais gagner pendant cette période vaudra financièrement des années d’efforts en France). Je me suis arrangée avec les producteurs du Palladium de Londres et Mr Nederlander du Palace de New York pour qu’ils viennent voir le spectacle. Il faut actuellement exploiter toutes les possibilités de gagner de l’argent. J’ai gardé cette poire pour la soif, c’est-à-dire pour garantir mon avenir à la fin de ma carrière.

Fin de la chronique de ce matin 18 mars. Je t’embrasse bien fort.

Ta Joséphine

PS : Garde ce billet doux précieusement comme l’autre que je t’ai envoyé.

Paris, le 21 mars 1975

Mon cher Jean-Claude.

Tu me vois là, au pied du mur.

Souviens-toi combien tu m’as défendue.

Souviens-toi des grimaces qu’ont faites les incrédules à mon sujet. Souviens-toi de l’expression d’espoir dans les yeux de ceux qui souhaitent ma réussite et les grincements de dents de ceux qui désirent le fiasco.

Toi, tu es toujours là avec l’esprit gai et la parole facile. Je sais que tu trembles pour moi. Mais ne tremble plus, nul ne peut aller contre le destin. Est-ce pile ou face ?

Ta Joséphine qui t’aime si fort.

Paris, le 28 mars 1975

Mon petit Jean-Claude,

Quelle délicate pensée que ce petit cœur de cristal !

Je ne suis pas étonnée que ce soit dans un pays féerique comme le Brésil que tu l’aies rencontré.

Il est transparent, délicat, fragile. C’est une bien jolie chose que tu m’as offerte. Peut-on traduire sa transparence par un cœur sans nuages ou au travers duquel on peut voir continuellement ? Je dois me méfier de ne jamais le fendre ou le briser mais je suis sûre que j’en suis capable.

Inclus, tu trouveras une copie d’une lettre adressée à André ; ainsi, tu seras au courant. Je vais penser à tout ce que tu me dis concernant notre spectacle.

N’oublie pas de terminer l’affaire télévision avec ton frère. Je veux que tu sois le metteur en scène, cela te servira plus tard pour la collaboration avec Minelli pour les trois films sur ma vie. J’ai le matériel pour.

Je te recommande de faire attention à tout ce qui me touche et me concerne. Il ne faut rien laisser passer car je suis un monument historique… (est-ce que l’on doit rire ou pleurer ?) C’est pourquoi il faut compter chaque geste, peser chaque parole et ne négliger aucune préparation.

Quand le spectacle ira à Londres, il faudrait adapter le style “Hello Dolly” c’est-à-dire que je pourrais jouer pendant une certaine période. Ensuite une personnalité anglaise de grande valeur continuerait. Nous adopterions le même système aux USA et nous demanderions à Me Sonier de veiller dans les contrats à ce que je touche des royalties puisque je suis la créatrice. Pour toujours autant que le spectacle dure.

Avec ce que nous préparons (films, livres, etc.) la question financière sera réglée d’avance et calculée pour avoir une vie paisible. C’est cela que vous désirez tous, n’est-ce pas ?

C’est une lourde responsabilité que je mets sur tes épaules, Jean-Claude, mais je sais que tu es capable de la supporter.

Je t’embrasse mille fois.

Ta Joséphine.

  1. Rubi Scrive Loyer Rubi Scrive Loyer 16 mai 2025

    Quelle belle histoire ces lettres et quelle passion méconnue. Bien plus jolie et discrète que celle d’ Annie Ernaux si méprisante pour son amant de trente ans moins jeune . On n’a pas retrouvé les réponses de Brialy ?

    • Maurice Zytnicki Maurice Zytnicki 16 mai 2025

      Rien n’indique que JC Brialy fut l’amant de Joséphine Baker. Tout porte à croire que non. Ce qui n’empêche que leur relation ait été très fusionnelle. Quant aux réponses de Brialy, nous les avons pas (encore?) trouvées dans le coffre à souvenirs.

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