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Eloquence étudiante vue par Révolte-toi Jean Monnet

Une fin d’après-midi à Jean-Monnet. Des exercices d’éloquence dans une salle de la fac. L’organisation en revient à Révolte-toi Jean Monnet, dont le nom semble résonner comme insubordination voire violence. L’association s’attache pourtant à développer, s’approprier « la culture du débat […] par le biais d’entraînements et d’événements. »[1] On est entre l’impro, le jeu de rôle, l’entraînement argumentaire. Un mélange. Les étudiants doivent surmonter leur timidité (tous ne sont pas timides, loin de là). Ce soir-là, Sidonie Barge, étudiante en L3, visiblement rodée aux arts oratoires, concoctait des sujets et reprenait les performers sur leurs prestations tout en sollicitant les avis de l’assistance. Elle et Pierre Obadia assurent les coprésidences de l’association.

Elle marchait, puis revenait sur ses pas, légèrement penchée pendant la concentration, puis levait les bras lorsqu’elle avait choisi le thème. Elle rappelait à l’auteur de ces lignes, des assistants de mathématiques s’agitant le cerveau pour trouver des équations différentielles un peu retorses. L’éloquence est sans doute bien différente des maths. Mais ne relève-t-elle pas un peu du calcul ? Si l’on inclut le calcul du corps, car il faut bouger sur scène (les effets de manche, ça existe). Et ne pas se « casser la voix ».

 « Je suis innocent !! »

M. Toutlemonde a été assassiné. L’étudiant est M. Orgueil, lequel est accusé du meurtre. Il se défend. Ce n’est pas moi, c’est Mme Lacolère qui a fait le coup. Elle a pété un câble (c’est mieux dit que ça) ; elle ne se souvient plus de ce qu’elle a fait. Voilà pourquoi elle n’avoue pas… Il faut trouver des arguments pendant plusieurs belles minutes. Y mettre le ton. Pas simple. A la fin, Sidonie Barge interroge alentour : « Avez-vous été convaincus de l’innocence de M. Orgueil ? » Oui, plutôt. « De la culpabilité de Mme Lacolère ? » Non pas trop. Bon, à améliorer. On n‘est pas là pour se dégommer. On applaudit.

Exo2, plus théâtral. Deux personnages. Un couple. Elle veut divorcer parce qu’elle le trouve pervers. Il ne comprend pas. Allez-y ! Le garçon choisit un angle : elle ne va pas bien. Il y ajoute une cuiller de méfiance : elle va tout me prendre. C’est lui qui travaille. En fait, il l’écrase. Elle : « Je ne te supporte plus. Je ne veux plus parler. Je veux partir.» Lui, genre suffisant : « C’est normal que tu te sentes intimidée par rapport à moi. » (il met les rieurs de son côté). « Ah, tu trouves ! » Elle s’échauffe. Les rôles se sont distribués spontanément, inconsciemment, elle est victime d’un gros naze. Evaluation partagée : bonne incarnation, bonne entrée dans les personnages. On est au théâtre.

On avance. Tous les présents doivent y passer. On est dans un bar. Un match de foot entre le PSG et l’OM. Le PSG a été enfoncé 6 à 0. Lui est un supporter, c’est la honte. Elle est serveuse et lui apporte la bière qu’il a commandée. Il s’énerve contre la serveuse et, pour se mettre dans le rôle, allez savoir pourquoi, il prend un accent genre sud-ouest. Cela doit renvoyer à sa représentation du supporter excité. L’arbitre a été payé, des trucs comme ça, la voix haut perchée. Elle, apparemment au fait de l’actualité sportive, donne la réplique autour des sous-performances de l’avant ou du milieu ou de l’arrière, ou peut-être des trois. Déconcertant. Elle tient la distance. Pas mal du tout.

Ethique et politique

La politique maintenant ! Faut pas s’endormir. On est une heure après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale. Deux amis, qui ne se sont pas vus depuis des lustres, se rencontrent par hasard place de la République. Cela sous-entend qu’ils sont d’accord politiquement. Après les embrassades, les « incroyable! qu’est-ce que tu fais là ? » « Ça fait combien qu’on ne s’est pas vu ? » Évidemment, ça tape sur E. Macron, ce qui n’est pas le plus difficile par les temps qui courent. L’impro fonctionne et chacun en remet sur l’autre. Critique ensuite.

On complique, histoire de se préparer pour les championnats. Une affirmation est donnée. L’un doit la défendre, l‘autre la contredire. Et on ne choisit pas. C’est Sidonie Barge qui décide. Elle réfléchit. Elle est tombée sur le sujet. Lequel ? Un moment d’hésitation. Respiration. De l’amour à la haine, il n’y a qu’un pas.

Et ran ! dans l’estomac ! Ils ont deux minutes pour se débloquer le ventre et la tête. Attention, si l’argument est trop long, Sidonie tape dans ses mains et obligation de changer. Pas question de monopoliser la parole. Silence du diable. Le jus de cerveau passe au niveau concentré. En piste ! L’un porte un sweat blanc, l’autre un pull rouge.

L’amour est la plus grande force en nous. Variation sur le thème. Et le pardon est plus fort que la haine. Variation. Tape dans les mains. Changement. Oui, mais… (suivez le raisonnement) si pardonner fait taire la haine, c’est que la haine précédait. Le pardon arrive après la haine ; il s’efforce de la contenir ; c’est dire que la haine est plus forte. Non, dit le pull rouge, je vois dans l’amour un sentiment plus haut. Ce n’est pas la haine qui y met fin, mais la colère. Et la colère est bien différente de la haine. La haine s’étire dans le temps. La colère peut être violente, elle est passagère. Oui, mais si tu penses que l’amour est au plus haut, seule la haine lui est proportionnée. Elle seule lui répond. Oui, la haine est aussi puissante que l’amour… mais elle est …. Immorale… (il cherche un autre mot, il le dit) … il cherche… il cale. Sidonie reprend la main. Elle refait le film de mémoire. Les deux ont discuté les définitions, bonne approche. (On pouvait certainement argumenter autrement, mais l’impro est bien passée. Applaudissements).

On en remet une couche

On reste « dans le mantra genre discussion entre potes. » Argument versus contre-argument. La vérité blesse toujours. Le sujet est tombé dans un match de poules. « Toi, décide Sidonie, tu es d’accord. Toi, dit-elle en s’adressant à l’autre fille, tu es contre. » Vu le sujet précédent, elles s’attendaient à du pas simple. Mais quand même… Respiration, concentration. Les voix sont plus faibles que précédemment. Une, surtout. De la timidité peut-être. Ou le temps de se chauffer les cordes vocales. Pendant l’échange, la notion de blessure est discutée. Puis celle de compliment. En effet, il ne blesse pas… Mais est-ce vraiment une vérité ? Ca dépend de l’intention. Eh oui. On parle de l’intention. Vérité, intention, belle surprise… A la fin, Sidonie, en direction des participants, insiste sur un point. On est dans un exercice positif contre négatif. Evitez les « oui, je comprends mais… », « je suis d’accord, mais… » Le jeu est de manifester son désaccord, pas de faire plaisir à l’adversaire. Ok, chef.

Se former à la polémique

Retour au politique. Sidonie arpente la salle. Elle réfléchit à la formulation. Quentin, tu es président de la République. Trump vient d’être élu. Tu veux créer une alliance bilatérale avec les États-Unis. Sumaiya, tu es opposée à toute alliance de cette nature. Vous développez comme vous voulez : économique, militaire… « C’est vous qui voyez », comme dirait Laspalès.

De toute évidence, les deux protagonistes suivent l’actualité. On retrouve dans leur bouche des arguments plausibles et vraisemblablement entendus ici ou là. Quentin attaque côté pragmatisme. L’économie française est déclinante, celle de la Chine progresse à grande vitesse avec un risque d’hégémonie. Pour la contrer, il faut une alliance. Sumaiya renvoie la balle en s’appuyant sur le « passé catastrophique » des États-Unis : les Amérindiens, l’Irak… L’histoire de France interdit de soutenir ce que les États-Unis sont devenus. On ne peut soutenir celui qui proposait du « gel hydroalcoolique dans les veines » pour lutter contre le covid. Etc… Tape dans les mains. Quentin reprend. L’histoire d’un pays n’exclut pas de commercer avec lui. Il cite le Japon, l’Allemagne… Il admet les critiques contre le personnage de Trump, mais l’économie américaine va mieux avec lui. Nous avons besoin de relever la nôtre et donc d’aller vers ceux qui la font… Il passe à la lutte contre le wokisme. Tape dans les mains. Sumayia. « J’ai parlé de l’histoire pour dire qu’un état a une identité. » Quant au plan économique, nous sommes surtout menacés par les taux d’intérêt « hallucinants ». La France a des conditions à poser ! Pourquoi ne pas s’orienter vers des pays comme le Canada… Tendre la main aux pays en voie de développement ? Quentin, sûr de lui : « ça ne marche pas ! Regardez l’intégration des pays de l’Est ; elle n’a pas poussé notre économie… » Et puis le dollar est dominant, il faut l’accepter. Les deux sont particulièrement inspirés ; on ne les sent pas près de la panne sèche. Sidonie fait le point. Plein d’idées, super. Pour la première fois, elle entre dans le contenu. Invoquer l’histoire pour contrer la vue économique, pas une bonne porte d’entrée. Il y avait l’instabilité du personnage. En revanche, bien l’idée de recentrer vers d’autres pays. En ce qui concerne l’opportunisme économique, il se défend bien, mais attention à ne pas tomber dans la facilité. Elle les chauffe pour les challenges. Jusqu’à présent on était dans la capacité à jouer un personnage. Il faudra aller plus loin, soigner la pertinence narrative.

L’UE, terrain parfait

Au tour de Camille et Titouan. La France doit sortir de l’Union européenne. Camille, tu es pour. Prête ? Oui. Depuis Maastricht, la France subit plus qu’elle s’enrichit. Une monnaie unique pour des politiques différentes, ça ne marche pas. Etc… puis un nouvel argument. Des pays évoluent vers l’extrême-droite et la France n’a pas intérêt à « être tirée vers le bas ». Tape dans les mains. Titouan. La France serait-elle plus forte seule ? Non. Il prend des exemples. « Seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin. » (Joli 😉)… Il parle de remettre les citoyens au centre de l’UE, d’en rapprocher les élus. Camille. Regardez la politique agricole. La France reçoit beaucoup et pourtant nos agriculteurs sont menacés par la concurrence. L’alliance avec le Mercosur, ce sont des millions d’emplois amenés à disparaître. L’UE est obsolète. Elle n’est plus celle dans laquelle la France s’est engagée. Titouan cherche. Il semble un peu sec. Sidonie souffle : « En quoi, l’UE est ce qui permet d’avoir une politique économique forte. » Il y va. Camille : « Et vous pensez que ça profite à la France. – Laissez-moi finir. – Répondez ! – Je poursuis. Je reconnais que l’UE fait une erreur avec le Mercosur. Mais c’est de l’intérieur qu’il faut faire évoluer l’Europe. Il poursuit. Il hésite. Elle revient à la charge. Du point de vue du pongiste, c’est réaliste. Camille est à l’aise dans la polémique. Titouan nettement moins. Sidonie remarque qu’il aurait pu développer l’idée du changement de l’intérieur. Elle a vu dans le court débat un déséquilibre en faveur de Camille. Laquelle passe ensuite à la critique de son propre argumentaire.

On sort les tables. On va passer à la joute parlementaire. Le gouvernement d’un côté, l’opposition de l’autre. C’est pour une autre fois.


[1] Page Facebook de l’association.

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