Appuyez sur “Entrée” pour passer au contenu

L’autre vie de nos élus : Joseph El Gharib

Il est à Bourg-la-Reine maire adjoint aux finances. Il dit qu’il n’est pas politique. Je lui retourne un regard très perplexe. Quoi de plus politique que les finances ? Au gré de l’entretien, en suivant son métier d’ingénieur, son itinéraire personnel qui commença au Liban où le mot « politique » a une connotation différente de la nôtre, s’est dégagée une compréhension de ce qui semblait au début tout à fait paradoxal.

Anticiper l’avenir technologique

Au sein d’Avanade, une filiale de Microsoft et d’Accenture, Joseph El Gharib dirige une équipe de quelque 70 consultants et ingénieurs répartis entre la France, la Belgique, les Pays-Bas. Le cabinet de conseil est spécialisé en transformation digitale, autrement dit les changements sur le plan des « métiers » (des tâches) et sur le plan des technologies qui les bouleversent. « Pas de transformation métier sans transformation technologique.  Ce qui veut dire imaginer comment on va travailler demain. C’est anticiper les tendances sociétales et technologiques qui impacteront les entreprises. C’est anticiper en premier lieu les impacts humains : « Que peut-on automatiser, que ne faut-il pas automatiser, comment utiliser les nouveaux outils qui nécessiteront toujours une supervision humaine. Comment affecter au travail humain, la valeur ajoutée qui le rétribue ? » On écoute, on imagine.

Responsable de la stratégie et des plans d’action pour atteindre les objectifs de revenus et de marges, il participe aussi au recrutement, aux actions de vente. Il s’attache à conserver quelques missions. « Il ne faut jamais quitter le terrain. » N’empêche que son objectif de manager est d’un autre nature : « consolider le groupe Conseil et lui assurer une croissance sur 5 à 10 ans. » Rien moins !

Cet optimisme s’appuie sur le fait qu’Accenture est un leader mondial dans le domaine, tandis que « l’agenda technologique est largement porté par Microsoft. » Ensuite ses prestations (gestion du changement, transformation digitale, cybersécurité, architecture des données, cloud) répondent à des besoins réels et rencontrent les préoccupations des chefs d’entreprises.

Le choix du conseil et des services financiers

Joseph El Gharib, avant Avanade, était dans un métier semblable chez Amundi. Sauf que ses clients étaient alors des services financiers. Il fournissait des prestations de trading et de services opérationnels et technologiques pour la gestion des portefeuilles financiers.

Dans l’entreprise, il commence avec une toute petite équipe et finit avec 150 personnes réparties en Asie et dans plusieurs pays d’Europe. Il assure l’encadrement des offres de conseil (vente, suivi des prestations, relation client) et de technologie (vente de logiciel, implémentation, support client).

Les sociétés dans lesquelles il travailla auparavant (comme CAPCO ou une unité de KPMG reprise par CSC) ont en commun avec Amundi de travailler dans le domaine financier. « Depuis 20 ans, j’ai appris à bien le connaître. » Il y prend à chaque fois des responsabilités managériales. Ce n’était pas inscrit dans sa formation initiale ni dans l’itinéraire auquel elle le préparait. Un trait fort de sa personnalité, sans doute.

Les débuts dans la technique

C’est à Beyrouth où il est né et vivait alors qu’il suit une formation d’ingénieur. Il choisit parmi trois cursus les télécoms et l’électricité, plutôt que la mécanique et le génie civil. Sortant major de sa promotion ne voilà-t-il pas qu’il est repéré par un business angel qui l’embarque dans une société qu’il soutient et à la création de laquelle Joseph El Gharib participe.

Le développement logiciel dont la startup a besoin, il l’effectue en le couplant avec une thèse de maths appliquées dans le cadre de l’Ecole Polytechnique. Son sujet intéressera les amoureux de la science ou du jeu des Mille euros : Méthodes des potentiels retardés pour l’acoustique. Bien qu’on n’y entende rien, on comprend qu’après sa thèse, il rejoigne la Recherche et Développement de France Telecom (nous sommes en 1998, Orange n’existe pas encore). L’acoustique est à la téléphonie ce que le shaker est au cocktail : une discipline de base.

« Quand on est dans la technique, on a tendance à y rester. J’avais fait des études d’ingénieur puis une thèse en maths appliquées. Tout était fait pour que j’y reste. J’en suis finalement sorti pour me frotter davantage à une activité plus commerciale.» Le face-à-face avec l’ordinateur, ça va un temps. Il a besoin de voir les clients.

Il part en France où il trouve sans difficulté à employer ses compétences.« Je ne rêvais pas de partir du Liban, dit-il. Cela peut paraître étrange, mais à cette époque je vivais bien à Beyrouth. » C’est la proposition imprévue d’un travail et d’une formation très motivants qui l’a conduit à partir. « Ma mère a été triste. »

Il débarque à la Cité universitaire, puis s’installe à Arcueil, se marie. Ils s’étaient rencontrés à Beyrouth, elle travaille dans le génie civil (elle a un doctorat). Des enfants naissent. Son intégration en France est à la fois professionnelle et sociale. Cela va guider son choix de s’impliquer dans sa ville.

L’élu, la politique, et le non-politique

Son engagement d’élu est pour lui un prolongement « naturel », il dit même « ultime » de son intégration. Il rend une partie de ce qui lui est donné. Il se met au service du « pays qui m’a accueilli. Quoi qu’on dise, la France est très généreuse. » La large part de l’immigration qui partage ce témoignage n’est pas celle qui intéresse les discours dominants. Lesquels préfèrent les échecs plutôt que les réussites.

Avec l’entretien, on comprend peu à peu que « l’apolitique » entend par là de ne pas dépendre d’un parti. De ne pas être encarté. Un parti substitue par nature un intérêt « communautaire » à l’intérêt général. Impossible de ne pas penser au Liban où l’intérêt de parti est associé à la communauté qui le porte. Or, dans notre culture républicaine, toute définition de l’intérêt général est par nature « politique ». Le politique est noble s’il est conçu pour la population dans son ensemble. Joseph El Gharib n’a sans doute rien à y redire, sauf qu’il préfère un autre mot. Il relie l’intérêt général à la notion de service. On devine une certaine polysémie. Son métier est un métier de service, le service est un exercice de compétence. Le mot renvoie aussi à l’aide, au dévouement, à une certaine idée du bien commun.

Les services que rend une municipalité doivent être financés à leur juste prix. Justesse, justice, le rapprochement importe aux yeux de Joseph El Gharib. Justesse du calcul, justice des mesures prises par la commune. Il défend le calcul précis des points d’équilibre. Les finances doivent rester dans les normes des villes, à défaut de quoi, la confiance est perdue : celle de banques, celle de la préfecture. Vouloir des services à la population, c’est assurer leur financement. Voilà l’évidence « apolitique » de Joseph El Gharib. Et quand on lui demande ce qu’il a fait aux finances de la ville, il n’y va pas quatre chemins. « J’ai proposé d’augmenter les impôts et j’ai été suivi ! » Bigre !

Et en quoi ça n’est pas politique ? Parce que ça n’est pas une décision « idéologique ». La ville souhaite rendre des services aux habitants et pour cela elle a besoin d’argent. Aussi « simple » que ça. Il sait parfaitement que la mesure est impopulaire. Mais elle est juste. Et le juste n’est pas lié à un parti. Il est plutôt lié à un héritage familial : « Mon père me disait : ne fais pas de politique ou elle te mangera. Je n’en fais pas. » On imagine que dans le contexte libanais, l’injonction paternelle avait un sens très fort qui l’a construit. En tout cas, en France, il persiste.

« Bien entouré »

L’adjoint aux finances a d’autres missions. Les rénovations urbaines demandent de libérer des fonds et de mobiliser des subventions. « C’est une ingénierie financière complexe ». Tous les mercredis matin de 8h à 9h, il a une réunion avec le maire, le Directeur Financier, la DRH, le DGS autour de thèmes : dette, comptes administratifs, budget, etc. Un mardi soir sur deux les maires adjoints se rencontrent, l’autre mardi c’est la majorité. Tous les deux mois environ, ce sont les conseils municipaux avec, pour lui, la commission finance qui les précèdent.

Le samedi, ce sont les mariages, qu’il prépare auparavant avec les futurs époux pour personnaliser la cérémonie. Et puis les commémorations. Ah, on allait oublier ses cours de Business Transformation à Telecom Paris et à l’ESSEC. Il suit les travaux de quelques thésards. Un excès d’engagement ? Non une attitude, un mode de vie. Dans son métier, les 35h n’ont déjà pas grand sens. Sa charge municipale est dans la même logique avec, en plus, la satisfaction d’être utile socialement. Quand même, les journées n’ont que 24 heures. Il est très présent avec sa famille. Comment fait-il ? Il répond en souriant : « ça peut ressembler à de la magie, mais la vérité c’est que je suis très bien entouré.» Vu comme ça, tout est possible.

  1. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 6 juin 2024

    Évidemment… Si l’évidence a quelque chose à voir avec tout cela.
    Mais, peut-être un peu rapide ?
    Certes il est préférable que le décideur comprenne à peu près ce que lui raconte le financier ou tout autre expert dont les connaissances conditionnent la réalisation de ses décisions.
    Mais, avant d’être un décideur, l’homme politique doit être inspiré par une pensée politique fondée sur une représentation de la société humaine et de son histoire passée et à venir. La mécanique de l’art de gouverner vient… après.
    Je comprends assez qu’un homme, ou une femme cela va sans dire, conscient ou consciente de cette perception des choses, ne souhaite pas consacrer sa vie à la réalisation de cette seule ambition.
    J’ai compris que cela était le choix fait par Joseph El Gharib.

  2. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 4 juin 2024

    Ils en ont de la chance à Bourg-la-Reine !

    À mon tour d’être perplexe. J’ai presque envie de retourner la remarque … Quoi de moins politique que la finance.
    Je ne nierai évidemment pas que les politiques ont fait de la finance l’outil principal d’exercice de leur pouvoir. Mais, ce faisant, n’ont-ils pas justement vidé de son sens la pensée politique et l’action qui en découle ?

    • Gérard Bardier Gérard Bardier 5 juin 2024

      Il y a deux aspects à la finance, politique et technique
      Politique bien sûr. Quoi de plus politique que la construction du budget, consistant à réduire ici pour pouvoir augmenter là ? Pas un hasard si le vote du budget est considéré comme le vote d’adhésion (ou non) à une politique par excellence !
      Quoi de plus politique dans le cas d’une mairie que de décider d’augmenter les impôts pour pouvoir offrir des services supplémentaires, ou diminuer leur prix ou financer des investissements ?
      Quoi de plus politique que de décider d’emprunter ou de se servir de la capacité d’autofinancement ?
      Quoi de plus politique que de choisir d’emprunter à 5 ans plutôt qu’à dix, ou de prendre plus ou moins de risque dans le choix du type d’emprunt que l’on fait ? Ne serait-ce qu’entre taux variable ou fixe, entre emprunt remboursé progressivement ou en fin ?
      Technique aussi. Pour s’assurer que les procédures comptables sont fiables, évitent les détournements et permettent de savoir où on en est. Pour préparer le budget, identifier les dépenses qui a règle maintenues vont augmenter ou diminuer. Pour alerter en cas de dérive des dépenses ou en cas d’imprévu, pour en calculer les conséquences. Pour trouver les meilleurs moyens de financement…
      Le responsable des finances peut n’avoir qu’un rôle technique. Mais il a forcément un rôle de conseil et d’alerte. Quand au décideur il faut absolument qu’il comprenne ce que lui raconte le financier.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *