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De Combourg à Châtenay avec Chateaubriand

CARTE POSTALE De Combourg à Châtenay, les quelque 400km demandent un bon 4 heures, à comparer à la bonne semaine qu’il fallait il y a deux siècles. La première en Ille-et-Vilaine, tout près du Mont Saint-Michel, la seconde dans les Hauts-de-Seine, rien ne les rapproche, sauf un écrivain, Chateaubriand, François-René de son petit nom.

Il naît à Saint-Malo où il repose encore, arrive à Combourg lorsqu’il a huit ans, en 1776. Son père, riche armateur, a décidé de mettre fin au sommeil de sa noblesse et d’acquérir une terre, un château auréolé de hauts faits médiévaux. Une impressionnante citadelle, appuyée sur quatre tours, quatre donjons aux murs épais comme des cuirasses de pierre, surplombe les alentours.

Donjons

Aujourd’hui le château est surmonté de toitures d’ardoise qui font oublier son passé militaire. Il est devenu lieu de résidence bourgeoise. Mais la visite guidée rappelle le passé. L’obscurité y règne alors. Les larges fenêtres d’aujourd’hui n’existent pas. Ce sont alors des meurtrières. On se protège des ennemis. Chateaubriand, adulte, écrit dans les Mémoires d’outre-tombe ce qu’enfant il ressentit. Ce que redit, par cœur, la guide qui semble de ses gestes vivre le récit.

Elle cite le passage qui évoque les soirées d’automne et d’hiver après le dîner. Chateaubriand et sa sœur Lucile se chauffaient près du feu.

« Mon père commençait alors une promenade, qui ne cessait qu’à l’heure de son coucher. Il était vêtu d’une robe de ratine blanche, ou plutôt d’une espèce de manteau que je n’ai vu qu’à lui. Sa tête, demi−chauve, était couverte d’un grand bonnet blanc qui se tenait tout droit. Lorsqu’en se promenant, il s’éloignait du foyer, la vaste salle était si peu éclairée par une seule bougie qu’on ne le voyait plus ; on l’entendait seulement encore marcher dans les ténèbres : puis il revenait lentement vers la lumière et émergeait peu à peu de l’obscurité, comme un spectre, avec sa robe blanche, son bonnet blanc, sa figure longue et pâle. Lucile et moi, nous échangions quelques mots à voix basse, quand il était à l’autre bout de la salle ; nous nous taisions quand il se rapprochait de nous. »

Un spectre

Lors de la visite, on monte les cinq étages d’un donjon en pensant à l’enfant qui chaque soir devait les gravir dans la plus épaisse obscurité. Il craignait les fantômes. Les paysans lui avaient raconté l’histoire d’un chat noir aux yeux verts emmuré et dont le spectre hantait la demeure. Il y croyait sans doute, tout le monde y croyait.

Au XXe siècle, lors de rénovations ou d’investigations, on a retrouvé un squelette de chat. Incroyable n’est-ce pas. Son corps momifié est dans un coin de la chambre de François-René. On pourra être effrayé ou pas, selon son caractère, sachez qu’il est là.

Avec sa sœur Lucile avec qui il partage tant, François-René se promène dans le parc (on apprend qu’il est de 25ha et qu’il abrite un large étang). Ils échangent beaucoup, vraiment beaucoup, se confient, s’entendent, on dit que c’est elle qui lui suggéra de devenir écrivain. Et que c’est à côté d’une croix, dite croix de Lucile, que la prémonition survint.

La tour menue

Arbre du Canada Photo LGdS

Le domaine de la Vallée aux loups, à Châtenay, est fort différent. Pas de fortifications ni de remparts. Chateaubriand y vécut de 1807 à 1817. Après ses succès littéraires, il cherche un lieu retiré pour écrire. Est-ce la raison pour laquelle on y retrouve un vaste parc pour de longues promenades et des arbres exceptionnels : à Combourg un faux cyprès d’environ 250 ans originaire du nord du Canada ; à Châtenay un cèdre du Liban qu’il fit planter. Ses Mémoires racontent son intention : « Il y a quatre ans qu’à mon retour de la Terre−Sainte j’achetai près du hameau d’Aulnay, dans le voisinage de Sceaux et de Chatenay une maison de jardinier cachée parmi des collines couvertes de bois. Le terrain inégal et sablonneux dépendant de cette maison, n’était qu’un verger sauvage au bout duquel se trouvaient une ravine et un taillis de châtaigniers. »

Recréer les conditions de méditation qu’il avait connues enfant ? Peut-être, car l’effrayant protocole du coucher après d’interminables parcours dans la nuit noire enchaînant escaliers et couloirs a dressé l’écrivain. Il écrit en tout cas que l’éloignement de sa chambre à une extrémité du château lui a forgé le caractère. Il éprouve plus tard pour cette éducation paternelle très stricte une sorte de reconnaissance.

À la Vallée aux loups, on retrouve une tour. Rien à voir cependant avec les donjons de Combourg. En comparaison, elle semble lilliputienne. Mais la tour Velléda, toute menue qu’elle soit, abrite son bureau et sa bibliothèque. Il y lit et écrit. On dit aussi qu’il y reste accueillant à d’autres passions en y recevant ses maîtresses. La petite tour était en quelque sorte multifonctionnelle.

Mon sang teint la bannière de France

Combourg, à la fin du XIXe siècle, est transformé en habitat. Les toitures et les boiseries sont ajoutées. La forteresse qui dominait la vallée de la Rance est désormais une monumentale demeure familiale et les quatre puissantes tours sont devenues des vestiges.

Visiter Combourg, c’est rencontrer ce que fut la vie d’un petit garçon, pourtant « privilégié » entre des murs aujourd’hui blancs ou décorés qui furent de pierre nue. Pas de décoration murale, pas d’escalier en bois. Il y faisait froid. C’est apprendre que l’écrivain grandit entre un père austère et une mère « dépressive », avec pour seul refuge Lucile. Avec pour horizon une devise familiale : Mon sang teint la bannière de France. En Égypte, Geoffroy, un aïeul, en croisade dans l’armée de Saint-Louis protégea de son épaule la flèche qui visait son roi.

Le Grand Bé à Saint Malo, l’îlot o
  1. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 24 juin 2023

    …un père austère… qui fit fortune avec le commerce d’esclaves. !
    Car c’est aussi cela l’histoire.
    Et Chateaubriand ne l’a jamais ignoré. Qu’en fît-il ?

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