Dans un long entretien dans le Sceaux Mag de février 2021, Philippe Laurent concentre l’essentiel de son intervention sur deux types de propos. Il rappelle l’action de la municipalité, la promeut bien sûr, parfois avec un alpestre niveau d’autopromotion sur laquelle on n’insistera pas ; on dirait qu’elle relève des codes élémentaires de la communication inter-, multi-, pluri- communales ; elle est invariable ; elle est partout ; pas une collectivité locale qui ne recycle ses bienfaits à longueur d’année. Passons. Ensuite, et on s’y attardera, il exprime ses idées sur la commune, son identité, son entourage, son avenir. On y a trouvé de quoi réfléchir, ce qui ne signifie pas encenser, mais tenter de s’expliquer.
La marque et le collectif
Le maire parle d’une “marque” Sceaux, « que chacun contribue à forger, et dont chacun peut bénéficier à un titre ou à un autre. » Une marque, qu’est-ce que ça peut être ? On pense à « identité » en se disant que le mot, voué aux gémonies par la bienséance médiatique, est peut-être difficile à utiliser. A défaut, doit-on penser à une unicité de la ville par rapport à ses proches ? « Avec à peine 20.000 habitants, dit Philippe Laurent, Sceaux est une petite ville. La plus petite par exemple du territoire Vallée Sud-Grand Paris, et l’une des plus petites du département des Hauts-de-Seine. Mais c’est une ville de longue date, dotée de toutes les fonctions d’une ville et pas un village qui a récemment grossi. »
Oui, une ville de longue date, cela se sent. Et l’inscription de l’histoire dans le présent est toujours une des clés de l’unicité. Et il y a certainement une marge de progression dans l’appropriation par les habitants du passé de leur ville. Mais si l’histoire et la géographie sont déterminantes, elles ne suffisent à détourer la marque. Ce serait trop simple. Aux yeux du maire, il lui faut la « conscience d’un destin collectif » ce qui va, croit-on comprendre, à rebours d’une « période marquée par le repli individualiste ». On n’interrogera certainement pas le maire sur la méthode qu’il compte suivre pour porter, développer, faire partager cette conscience collective. Si elle existait, partout, on l’appliquerait déjà. Mais une preuve par l’absurde justifie la démarche : car délétère est l’absence de conscience d’un destin collectif, le sentiment de vivre dans un lieu dans lequel on ne croit pas, qu’on estime sans valeur et sans avenir, qu’on ne cherche pas à entretenir. Sceaux n’en est pas là bien sûr, mais il ne faut pas aller bien loin pour saisir à quel point c’est une chance.
Revenons à la « marque ». Spontanément, je l’associerais à un soupçon de fierté ou tout bonnement d’estime. La satisfaction d’habiter quelque part. A Sceaux, la case est cochée. Mais on en reste aux individus. Comment passer au collectif ? Est-ce en reprenant le modèle de la transition écologique et énergétique que le maire veut conduire avec « une approche positive et enthousiaste » ? « Il nous faut, dit-il, ensemble, installer une nouvelle “culture” de l’action publique et faire évoluer les comportements individuels. C’est une tâche immense, car elle remet en cause nos habitudes, parfois nos certitudes. »
Les quartiers comme défis
Changement de culture, de comportement. Une marque scéenne, si elle devait voir le jour, pourrait-elle décliner un sens du consensus ? Il faut si peu de monde pour qu’une situation quelconque tourne au conflit. Prenons l’exemple des quartiers dont l’entretien parle à plusieurs reprises. Que peut-on espérer des débats qui accompagnent les projets ? Quel statut associer aux incontournables polémiques ?
Un contre-exemple : l’aménagement des Quatre-Chemins ne semble pas faire de vagues ou alors si petites que leur ressac ne réveille pas grand monde. Le quartier est loin du centre, enjeu de toutes les passions. A dû jouer la conscience de l’obligation de construire à proximité des gares, du besoin incontestable de rénovation des Mésanges, et … de la demande en logements (bien que nombre de bien logés semblent peu s’en soucier).
Pour ce qui est de l’extension du centre-ville vers l’ouest et de la transformation de la place De Gaulle, la controverse est largement lancée. La Gazette s’en fera l’écho. En attendant de publier les divers arguments, restons-en à la vision du maire : inverser la relation automobile/piéton et faire de la rue Voltaire non plus un axe routier, mais la traversée d’une zone avec une continuité piétonne, une zone commerçante étendue. Le problème est que pour le suivre, il faut « se projeter » comme disent les agents immobiliers au moment d’entrer dans une maison vide. Quelles que soient les oppositions, le projet en lui-même appelle à se demander, par exemple, quels pourraient être les nouveaux commerces (en manque-t-il donc ?), quel serait l’accompagnement pendant les années de travaux ?
Quant aux Blagis, une nouvelle édition de « Parlons ensemble » est programmée. Nous verrons si la culture de la proposition s’affiche. Le quartier se bonifiera d’autant que ses habitants exprimeront des imaginaires raisonnables. Un lieu d’échange en ligne, sur le site de la ville, sera ouvert bientôt. Il faut souhaiter qu’il ne soit pas confisqué par les mieux entraînés, organisés, à la dénégation publique. Non qu’il ne faille pas remettre en cause, mais parce que l’innovation demande une liberté de penser, une spontanéité, qui vont mal avec l’esprit de tribunal.
Il y a fort à parier que chacun des trois quartiers voit et vit la ville à sa manière et que « l’implication citoyenne » ne peut y prendre la même forme.
Dans un espace plus grand
Marque, identité, unicité : Quid de la Métropole du Grand Paris ? Philippe Laurent, rappelle son engagement dès 2001 et son rôle de deuxième vice-président. « J’ai pu à de nombreuses reprises constater que Sceaux pouvait – et devait – jouer un rôle d’influence non négligeable, dans de très nombreux domaines. » Où, par exemple ? Ignorons l’histoire du glyphosate qui, si elle a présenté un intérêt médiatique tout à fait honorable, partagé toutefois avec l’inattendue Gennevilliers, n’a eu pour la ville aucune conséquence mesurable. Quoi d’autre ? Sans ironie et sans préjugé, on se demande quelle influence a la ville. Surtout, de quelle « marque » cette influence relèverait-elle ?
Autre point. Le maire dit : « Le temps n’est plus où une ville seule pouvait décider et faire. », et ailleurs : « Si les partenariats, subis par la loi ou choisis, sont incontournables, encore faut-il qu’ils ne conduisent pas à la dilution des identités communales et à une banalisation de nos villes et de leurs paysages urbains. Une sorte de rationalisation technocratique y pousse. »
En résumé : une ville ne peut pas se faire seule ; elle ne doit pas se diluer. En pointant cette opposition, on est bien conscient qu’elle est dans la vie même. Aucun des deux termes n’annule l’autre. Il faut les deux, ils sont unis par une dialectique essentielle, par une recherche de compromis, parfois difficiles sans aucun doute. On les comprend d’autant mieux qu’on en connaît les ressorts. Peut-être une affaire de pédagogie.
Même besoin de pédagogie avec la notion de ville “sœur”. Quels projets assez singuliers avec Bourg-la-Reine pourraient donc conduire à une sororité dont le périmètre est énigmatique. La clarification n’est pas forcément compliquée (tout dépend ce que l’équipe municipale a en tête). Elle serait en tout cas utile.
J’ai conscience de tourner autour de la même question, déclinée à volonté : celle de la mise en valeur des atouts de la ville, de son originalité ; celle de la vision urbaine, dont on dit qu’elle doit être « apaisée, douce » ; celle de la préservation sans fixation dans le passé ; celle de l’inscription dans des territoires ; celle des nouvelles pratiques citoyennes ; tout ce qui contribue à fabriquer de la ville, de la marque et de l’envie d’en être.