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Affronter la vie, affronter la mort

Pour parler de la fin de vie, j’ai rencontré Catherine Fenet, une Scéenne qui a été confrontée ces dernières années à la mort de son père et de sa mère. Une occasion de continuer à réfléchir à notre propre mort et aux choix de la société sur le sujet.

Une législation récente

Le 12 avril 2005, une première loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Léonetti, est adoptée à l’unanimité. Elle est promulguée le 22 avril suivant. Elle est résumée ici  

« Le texte a pour objet d’éviter les pratiques d’euthanasie, et d’empêcher également l’acharnement thérapeutique (qualifié d’ « obstination déraisonnable » dans le traitement des malades en fin de vie). Il permet ainsi au patient de demander, dans un cadre défini, l’arrêt d’un traitement médical trop lourd. Cette volonté peut notamment être exprimée par le biais de directives anticipées ou par le recours à une personne de confiance. Dans le même temps, cette loi propose de développer les soins palliatifs donnés aux patients en fin de vie, afin de prendre en compte leurs souffrances.

Une distinction nette est ainsi tracée entre le traitement médical, qui peut être interrompu s’il est jugé disproportionné par rapport à l’amélioration attendue, et les soins, dont la poursuite est considérée [comme] essentielle pour préserver la dignité du patient. »

La loi de 2005 est ensuite complétée en 2016 par la loi Leonetti-Claeys du 2 février « créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie » qui autorise la sédation profonde et continue pour les patients en phase terminale. Le CCNE (Comité Consultatif National d’Éthique) la qualifie « d’aide active à mourir strictement encadrée ». Cette nouvelle loi rejette comme la précédente « l’obstination déraisonnable » (communément appelé acharnement thérapeutique).

Cette loi interdit donc l’euthanasie et le suicide assisté (considérés comme des crimes par le Code pénal, la peine pour homicide pouvant aller jusqu’à 30 ans de prison ou même la réclusion à perpétuité).

La loi permet et organise la « sédation profonde » pour les malades avec pronostic vital engagé à court terme (c’est-à-dire quelques heures à quelques jours). L’idée est que le médecin doit sauvegarder la dignité du patient, assurer sa qualité de vie et soulager sa souffrance.

La procédure est très encadrée :

  • Article 2 : le médecin peut abréger la vie par des soins palliatifs en informant le patient ou un de ses proches
  • Article 1 à 9 : c’est une décision collégiale, prise après consultation des proches ou des directives anticipées (document daté et signé par le patient)

Catherine F. a pu voir cette loi appliquée à la fin de vie de sa propre mère. Elle en retient le savoir-faire très fin du corps médical, qui fait évoluer les antalgiques avec la progression de la maladie, mais aussi toutes les questions que peut poser la pratique de sédation profonde, qui conduit à cesser progressivement tout apport artificiel de nourriture. Elle retire de cette expérience le constat que le corps médical est formé pour accompagner en toute humanité les personnes en fin de vie en leur épargnant trop de souffrances.

Une loi remise en cause

La loi Leonetti a été régulièrement remise en cause par ceux qui plaident pour organiser le suicide assisté, par exemple avec les déclarations de Line Renaud et Olivier Folorni en août dernier. Pour ce dernier, la loi actuelle est insuffisante, et comprend des failles et des « trous dans la raquette ». La loi ne prend pas en compte par exemple le cas des maladies incurables sans pronostic vital engagé (maladie de Charcot très invalidante, Parkinson, Alzheimer…). Le débat est reposé sur l’utilité de l’euthanasie : faut-il imposer aux malades une lente détérioration de leur état ?

D’autres questions sont posées : est-ce au médecin et au corps médical de décider de la mort d’un patient ? Où s’arrêter ? Quid de la souffrance psychique ?

Appliquer vraiment la loi

D’autres voix s’élèvent pour conserver la loi telle quelle, en faisant observer qu’elle a déjà une large possibilité d’application.

Autre problème, souvent mis en avant par ceux qui ne souhaitent pas une nouvelle loi : les services palliatifs n’existent pas partout. 26 départements n’en ont aucun. Deux tiers des patients n’y ont pas accès. Il y a aussi la nécessité de plus de moyens pour former le personnel soignant sur le sujet. Cela représente des coûts, argument non négligeable dans un contexte de l’accroissement des déficits sociaux.

Il est à craindre que la mise en œuvre du suicide assisté conduise à réduire les moyens, déjà insuffisants, réservés aux soins palliatifs.

Pourquoi s’opposer à cette évolution ?

Du côté des opposants, on trouve notamment l’Ordre des médecins et la plupart des représentants des religions.

Pour l’Ordre des médecins, l’euthanasie va à l’encontre du serment d’Hippocrate. Si la loi sur l’euthanasie est votée, l’ordre demande une clause de conscience pour les médecins, qui auraient alors le devoir d’orienter le patient vers un médecin qui accepte de procéder à l’acte demandé.

L’Eglise catholique s’est abondamment exprimée sur le sujet.

Dans son Encyclique sur l’inviolabilité de la vie (1995), Jean-Paul II reprend les écrits du Deutéronome qui souligne le caractère sacré de la vie et le 5e commandement (« tu ne tueras pas »). L’Eglise considère que l’euthanasie est un homicide, considéré comme un des péchés les plus graves.

Dans une déclaration de 2016, le pape François fustige « la culture de rejet ». Les personnes qui ne correspondent pas aux critères de bonne santé, de beauté et d’utilité sociale, ont-elles si peu de valeur qu’il faille les éliminer ? Cela rappelle de mauvais souvenirs collectifs comme celui de l’eugénisme du XIXe siècle qui a conduit aux dérives nazies.

En 2018, les 118 évêques de France s’opposent dans une déclaration à une loi légalisant l’euthanasie.

Le grand Rabbin, Haim Korsia, a la même position, considérant l’euthanasie comme un assassinat.

Catherine partage cet avis, parlant de véritable « rupture anthropologique » avec les mentalités traditionnelles, qui reposent sur l’acceptation d’une caractéristique majeure de notre condition humaine, à savoir notre finitude et le caractère temporaire de notre condition humaine.

Elle estime que notre société fait tout pour ignorer la mort et la mettre à l’écart du regard des vivants. Son propre père étant décédé chez lui, sa famille a appliqué le rituel chrétien, en invitant sa famille, ses voisins et ses amis à venir lui rendre un dernier adieu chez lui. Ce rituel a interpellé beaucoup de personnes, certaines ne comprenant pas qu’on puisse vivre dans une maison où repose un mort. Mais ce comportement renvoie à une société qui cache de plus en plus la mort. Elle pense qu’il faut « se réconcilier avec la mort ». Aujourd’hui, presque tout le monde décédant à l’hôpital (seuls les bien portants peuvent rester à la maison), les morts sont au funérarium, pour ne pas être trop visibles. C’est une des conséquences de l’évolution de nos sociétés qui est de refuser de voir la mort en face. Regarder la mort d’autrui renvoie immanquablement à la sienne…

Mourir est une épreuve difficile et douloureuse, la littérature l’a beaucoup décrite. C’est l’arrogance suprême de penser qu’on peut décider du moment de ce passage. Décider de l’heure de sa mort est une façon pour l’homme de « se prendre pour Dieu ». C’est aussi une vision très libérale de l’homme, sans racines, ne s’inscrivant pas dans la longue chaîne de l’humanité. On met en avant le choix individuel. Mais un individu ne peut s’épanouir que parce qu’il peut bénéficier de tout ce que lui apporte la société. On ne devrait pourtant pas oublier que rien ne garantit que le système de protection sociale actuel va perdurer.

On se soustrait à notre « condition humaine » selon le titre du célèbre ouvrage d’A. Malraux, on ouvre « la boîte de Pandore ». Il y aurait, au contraire, à redéfinir la place de la mort, plutôt que de la cacher dans une société de plus en plus centrée sur le culte de la jeunesse.

Elle termine par une pensée de Marc-Auréle, empereur et philosophe stoïcien : « Qu’est-ce que mourir ? Si l’on considère la mort en elle-même, et si, par la pensée et l’analyse, on dissipe les vains fantômes qu’on y joint sans raison, que peut-on penser de la mort sinon qu’elle est une simple fonction de la nature. Et pour redouter une fonction naturelle, il faut être un véritable enfant. » (cf. « la Mort et ses au-delà » de M. Godelier, CNRS Editions 2018)

Si une loi permettant l’euthanasie est votée, le risque de dérapage lui paraît important. Il y a des cas documentés dans plusieurs pays, par exemple en Belgique où on euthanasie des enfants, jugés incurables. Cela conduit aussi à dévaluer certaines vies, celles des personnes âgées ou en situation de handicap par exemple, avec l’idée que mieux vaut être mort que malade. 

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