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Mobilités alternatives

Frédéric Héran est économiste urbaniste, et auteur d’une histoire des déplacements urbains en Europe[1]. Il a participé à une table ronde lors des Rencontres nationales du transport public qui se sont tenues à Toulouse du 28 au 30 octobre 2021. A l’issue de cette table ronde, il a accepté de répondre à nos questions.

LGdS : Les atouts des mobilités alternatives à la voiture ont été bien décrits pendant la table ronde. Mais on peut estimer qu’il a aussi une marge de progression en réduisant le besoin même de déplacement autre que pédestre. Cette approche urbaniste, comment la situez-vous dans les projets de transformation des mobilités ? Comment voyez-vous les conditions de succès des politiques urbaines des municipalités ?

FH : Il faut d’abord rappeler ce que sont les distances parcourues aujourd’hui. Le déplacement domicile-travail n’est pas le motif dominant, même s’il est le motif structurant[2]. On constate un nombre important de petits déplacements, je veux dire inférieurs à 15km. Ce qui est déjà beaucoup, mais un cycliste moyennement entraîné le fait facilement. En France cela choque, mais aux Pays-Bas ou au Danemark, c’est tout à fait courant[3].

Il y a vingt ans, quand je parlais de 3km comme d’une distance facilement accessible à tout cycliste, on me regardait avec de grands yeux. On trouvait que j’exagérais. Et puis, on est passé à 5km ; cette distance est devenue normale. Maintenant avec un VAE, 10km paraissent très raisonnables. Et je peux vous dire que, même sans assistance électrique, 15km sont à la portée de beaucoup. Cela dépend du type d’aménagement. S’ils sont vraiment roulants[4], c’est facile. Le long du canal de l’Ourcq, cela ne pose aucun problème[5].

Une bonne part des déplacements individuels peuvent être réalisés autrement qu’en voiture. Il y a certes les modes actifs, mais il y a aussi les véhicules intermédiaires, j’entends par là les vélos spéciaux, mini-voitures, voitures sans permis, voiturettes, deux roues carénées. Ils sont souvent moqués, mais c’est dommage. Ce sont des atouts de sobriété énergétique. Ils pèsent bien trois fois moins qu’une voiture, consomment trois à quatre fois moins. Pourquoi les négliger ?

J’en viens maintenant à l’urbanisme[6]. La localisation des lieux d’habitation, de travail, de services peut évoluer, mais bien plus lentement. En fait, cela dépend des activités. Le commerce est assez agile ; il se redéploie si les conditions sont favorables. Si la grande distribution est mise face à des contraintes qui privilégient les super plutôt que les hyper (destructeurs d’environnement), elle s’adaptera. D’ailleurs, c’est déjà en cours. Il est donc possible de relocaliser la grande distribution sur un temps court.

Pour les emplois, c’est plus compliqué et cela dépend du type d’emplois. Aux entreprises à fort coefficient de main-d’œuvre, il faudrait envoyer un signal fort qui les amène à se localiser près des transports publics. Je n’invente rien ; dans de nombreux pays, c’est déjà la règle[7].

En ce qui concerne les services publics, il y a des adaptations qui sont nécessaires[8], mais des déménagements en périphérie pour de raisons de rentabilité devraient être associés aux impacts environnementaux. Les clients doivent souvent prendre la voiture pour atteindre des lieux, inaccessibles sinon.

D’une façon générale, c’est un ensemble de logiques d’implantation qui serait à revoir. Et il faudrait outiller tout cela, avec des mesures comme le coût carbone.

Quand Ikea annonce à grand bruit publicitaire son implication écologique, beaucoup les croient, mais c’est faux ! Les meubles sont jetables ! Ils ont détruit les productions locales au profit d’une production mondialisée qui génère des flux en tous genres.

Une armoire normande, on la gardait toute sa vie. On la transmettait même à ses enfants. Je suis conscient qu’on n’a pas toujours envie de garder des meubles toute sa vie et Ikea nous persuade que non. Ce que je veux souligner ici, c’est que, à côté des déplacements et des localisations, il y a le mode de vie.

LGdS : Constatez-vous, dans le cadre de votre travail de chercheur, de nouvelles prises de décision, de nouveaux types d’action qui iraient dans le sens que vous dites ?

FH : Beaucoup se posent des questions, mais je crois avant tout que c’est du côté de la nouvelle génération qu’il faut porter le regard. Quand elle est mise en face des réalités, elle chercher des solutions. On peut rire de certains choix à la mode, le végane, la fixette sur l’alimentation locale qui, si on y regarde de près, n’est forcément une bonne idée. Il faut certainement aider à faire le tri. Mais il existe de très nombreuses solutions. Il faut les explorer. Je vous parlais des véhicules intermédiaires ; ils existent. Certes, ce n’est pas un idéal, mais ils disent que la voiture n’est pas un indépassable. Savez-vous que l’automobile est le deuxième annonceur en France, après les cosmétiques. 10% du prix de vente d’une voiture est consacré à la pub.?[9]   


[1] Frédéric Héran, Le retour de la bicyclette, Une histoire des déplacements urbains en Europe, de 1817 à 2050, Editions La Découverte/Poche

[2] Pouvez-vous préciser votre distinguo ?

[3] N’est-ce pas en grande partie dû à la géographie de ces « plats pays » ?

[4] Pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par « roulants »

[5] Oui, je comprends. Mais hors le canal de l’Ourcq…. Quelle est votre position ?

[6] Pouvez-vous dire en quelques mots en quoi votre introduction vous mène à l’urbanisme qui était la question initiale ?

[7] Avez-vous un ou deux exemples ?

[8] Cette remarque est de moi. Je pense à la transformation des besoins due au numérique (je ne vais quasiment jamais plus à la Poste ni à la Banque Postale qui est ma banque !)

[9] Notre entretien s’est terminé là. Vous vouliez rejoindre une personne. Voulez-vous conclure ?

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