La mairie de Sceaux accueillait mardi 28 mai sa deuxième conférence du cycle Les lycées Lakanal et Marie-Curie : un siècle d’histoire. Sujet du jour : Filles et garçons à l’école, la longue marche vers l’égalité. Intervenants : Chloé Dupart, présidente de l’association du Musée du Lycée Marie-Curie et Christian Bardot professeur d’histoire honoraire du lycée Lakanal. Les conférenciers ont présenté les évolutions locales au regard des évolutions nationales.
Localement, quatre dates clés se dégagent : l’ouverture du lycée Lakanal en 1885, la création du cours privé Florian en 1897, l’ouverture du lycée Marie-Curie en 1936 et enfin l’instauration généralisée de la mixité dans les deux lycées en 1971.
Ouverture de l’enseignement secondaire aux filles
Christian Bardot présente les événements nationaux. Vers 1880, le parcours scolaire dominant dans la population consiste à aller à l’école primaire, passer ou non le certificat d’études puis, au-delà de 13 ans, commencer à travailler, soit chez ses parents (paysans) soit dans l’industrie ou les services (notamment domestiques).
Environ 6% des jeunes suivent des études secondaires au lycée (plus souvent dans le privé que dans le public). Celui-ci est en effet payant, les frais de pension et de trousseau représentant la moitié du salaire annuel d’un instituteur débutant.
Les lycées de l’époque accueillent des élèves dès le jardin d’enfants. L’enseignement primaire ne disparaîtra des lycées Lakanal et Marie-Curie qu’en 1961.
En 1880, le député Camille Sée fait voter une loi sur l’enseignement supérieur des jeunes filles. Les réticences sont fortes du côté conservateur. Le programme pour les filles n’est pas celui des garçons, alors que c’est le cas en primaire avec les lois Ferry de 1881-1882 qui rendent l’école obligatoire de 6 à 13 ans.
L’objectif pour les filles est de former de futures maîtresses de maison. Leur lycée ne prépare pas au baccalauréat. Une situation qui ne changera qu’en 1924, année où l’enseignement au lycée pour les filles s’aligne sur celui des garçons. En 1879, la loi Paul Bert crée les écoles normales d’institutrices dans tous les départements. L’ENS de Fontenay-aux-Roses ouvre en 1880 celle de Sèvres en 1881.
Création du Cours privé Florian
Chloé Dupart présente les évolutions locales. En l’absence de lycée de jeunes filles à proximité, un cours privé est fondé à Bourg-la-Reine à l’initiative de professeurs de Lakanal. Cela évite aux jeunes filles de prendre les transports en commun pour rejoindre un lycée parisien. Le cours Florian est soutenu dans les années qui suivent par les maires de Bourg-la-Reine et de Sceaux et le proviseur de Lakanal. Il reçoit des subventions du ministère, du département et des villes.
Au début, les enseignants sont ceux de Lakanal qui donnent ces cours en heures supplémentaires. Le cours Florian connaît un grand succès et compte 293 élèves en 1936. Il est rattaché provisoirement en 1930, en tant qu’annexe, au lycée Lakanal. Puis, la décision est prise de construire le futur lycée Marie-Curie. L’association des parents d’élèves de Lakanal, Édouard Depreux, futur maire de Sceaux, Auguste Mounié, maire d’Antony, Jean Longuet, maire de Châtenay-Malabry, plaident en ce sens auprès du ministère.
Le lycée Marie-Curie ouvre en octobre 1936. Il comprend des classes primaires mixtes et même un jardin d’enfants, comme au lycée Lakanal. Son terrain a été acquis par la mairie de Sceaux et cédé pour un franc symbolique au ministère à charge pour lui de financer sa construction. C’est le premier lycée de jeunes filles portant un patronyme féminin.
Mixité
Chloé Dupart explique que la mixité devient la norme dans les lycées de Sceaux en 1971, en même temps que disparaît la blouse pour les jeunes filles du lycée Marie-Curie, que ne portaient pas les garçons de Lakanal. Mais elle a existé occasionnellement auparavant dans les classes primaires mixtes des deux lycées et dans les classes préparatoires du lycée Lakanal où les jeunes filles pouvaient postuler après le bac. Comme la plupart des lycées de jeunes filles, Marie-Curie ne possédait alors ni classes préparatoires ni internat. Les prépas D1 et D2 n’y ont ouvert qu’en 1978. Aujourd’hui Lakanal compte 20 divisions de CPGE contre 4 à Marie-Curie.
Au début de la guerre, le lycée Lakanal est transformé en hôpital militaire par le gouvernement français et les garçons sont transférés à Marie-Curie. Quand arrivent les Allemands, la situation s’inverse : la Luftwaffe occupe Marie-Curie et les filles vont suivre leurs études à Lakanal. Dans les deux cas, les directions scolaires font tout pour éviter la mixité, notamment avec des emplois du temps en 1939-40 permettant d’alterner la présence des filles et des garçons au lycée Marie-Curie, ou l’entrée par deux portes distinctes en 1940-44 au lycée Lakanal, les filles passant par le portail d’honneur.
Plus tard, la mixité existera dans des annexes construites au moment de la massification scolaire : l’annexe mixte de Savigny, annexe du lycée Lakanal ouverte en 1950, qui devient le lycée Jean-Baptiste Corot ; l’annexe mixte d’Antony, annexe du lycée Lakanal construite en 1958, qui devient le lycée Descartes en 1961. Le lycée Marie-Curie a aussi une annexe mixte à Châtenay-Malabry, où les garçons portent la blouse maricurienne, ouverte en 1960. L’annexe passe ensuite sous la tutelle de Lakanal, puis devient le lycée Emmanuel-Mounier. Dans le même temps, Marie-Curie et Lakanal restent des lycées non mixtes.
Et demain ?
Les deux intervenants ont montré une lente marche vers l’égalité des formations entre filles et garçons, avec cinq dates clés. D’abord l’ouverture aux filles de l’enseignement secondaire et supérieur grâce à la loi Camille-Sée en 1880. Puis l’alignement des programmes masculin et féminin en 1924 et la gratuité de l’enseignement secondaire en 1930. Ensuite la loi Berthoin portant la scolarité obligatoire de 14 à 16 ans. Et enfin l’instauration généralisée de la mixité à Sceaux en 1971.
Christian Bardot termine la réunion en montrant que la répartition filles/garçons est très variée dans les études supérieures. Dans les classes préparatoires scientifiques du lycée Lakanal, les garçons sont largement majoritaires. La situation est inversée dans les classes préparatoires à dominante littéraire. De même au lycée Marie-Curie, la prépa D1- Droit est très féminine et la prépa D2- Économie est plutôt masculine. Des différences qui interrogent.
Chloé Dupart est professeur d’histoire au lycée Marie-Curie. Elle a fondé en 2023 l’association du Musée du Lycée Marie-Curie qui a organisé sur les grilles extérieures du lycée l’exposition « Marie-Curie, un lycée dans la guerre » du 16 septembre au 5 novembre 2023.
Elle a publié deux articles dans le Bulletin des Amis de Sceaux : « Le lycée Marie-Curie : un lycée de jeunes filles à Sceaux », n°39, 2023 et « Béatrice Klapisch et Liliane Karaimsky, destins croisés de deux élèves juives pendant la guerre », n°40, 2024.
A paraître en 2025 en collaboration avec Alain Rajot, trésorier de l’association : « Mai 1968 au lycée Marie-Curie à Sceaux ».
Ancien élève de l’ENS de Saint-Cloud, agrégé d’histoire, Christian Bardot a enseigné en classes préparatoires au lycée Lakanal, à Sceaux. Il s’intéresse aux relations internationales et à la géopolitique du monde contemporain, à l’histoire des formes politiques et culturelles.
Il a publié ou collaboré à plusieurs ouvrages ayant trait à ces questions aux éditions Ellipses (L’Inde au miroir du monde. Géopolitique, démocratie et développement ; L’espace mondial, fractures ou interdépendances ?…) et dirigé des ouvrages collectifs chez Pearson Education (La Chine, avec Françoise Lemoine ; Les Etats-Unis ; L’Afrique ; Le Maghreb et le Moyen Orient.
Il a livré de nombreux articles sur ces sujets dans diverses revues : L’Histoire, Arkhia, Espaces Prépas, Les Cahiers de Friedland…