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PDG : salaires indus ?

Faut-il revoir à la baisse le salaire des PDG ? Et pourquoi les PDG et pas les stars ? Des salaires élevés liés à un certaine réalité économique. Celle de la priorité client, des coûts marginaux faibles et de la concentration de la demande sur quelques produits phares.

Rapport Oxfam

Dans un rapport récemment publié, Oxfam France pointe l’écart grandissant des salaires entre les PDG et leurs salariés. Pour les 100 plus grandes entreprises, le rapport entre la rémunération de PDG et celle du salaire moyen dans l’entreprise serait passé de 64 pour 1 en 2011 à 97 pour 1 en 2021.

L’association pointe le fait que la rémunération des PDG est indexée sur des objectifs financiers court-termistes. Elle appelle à imposer un écart de rémunération de 1 à 20 entre le salaire du dirigeant et le salaire moyen de l’entreprise.

En réaction, un think tank libéral note que le salaire du PDG d’Oxfam (GB) est 100 fois plus élevé que le salaire moyen du quart de l’humanité. Le Canard enchainé pointe l’incohérence du Mouvement Impact France (MIF). Celui-ci préconise une limitation encore plus drastique de l’échelle des salaires, de 1 à 20 SMIC. Or, la présidence du MIF sera bientôt assurée par le patron de la MAIF, dont la rémunération est de 30 fois le SMIC…

D’autres commentateurs se sont demandé pourquoi Oxfam cible les PDG et pas les stars du sport ou de la culture.

Une publication récente donne la liste des 8 athlètes les mieux payés dans le monde. Elle indique le montant annuel de leur rémunération (en dollars) entre 136 millions pour le premier et 100 millions pour le 8e.

Une autre publication affiche la rémunération de réalisateurs pour des films français récents. On est très loin de celle des athlètes précédents, mais cela reste confortable pour une activité fortement subventionnée.

Observatoire des inégalités

L’Observatoire des inégalités est un organisme indépendant qui s’est donné comme mission de dresser un état des lieux le plus fidèle possible des inégalités en France et dans le monde. Le but affiché est de réduire la part jugée injuste de celles-ci. Le rédacteur en chef est Louis Maurin.

L’Observatoire a publié récemment un article (de bien meilleur niveau que les rapports militants d’Oxfam) sur les inégalités de revenus dans le monde, qui essaie de décrire une réalité complexe. En 20 ans, les inégalités globales ont reculé. Le taux d’extrême pauvreté a été divisé par quatre. Mais les inégalités au sein de chaque pays ont tendance à augmenter. Et la part du gâteau prise par les 1% les plus riches reste très élevée, après s’être envolée dans les années 80 et 90.

La note observe que les pays les plus égalitaires se situent en Europe. La France en fait partie. L’indicateur le plus classique pour mesurer les inégalités est l’indice de Gini. La note publie un classement à partir de cet indice avant impôts.

En Europe, le système d’impôts diminue encore le niveau d’inégalités comme on peut le voir sur les statistiques européennes concernant l’indice de Gini. C’est aussi le cas en France.

Le salaire des PDG

La question de la rémunération dans une entreprise a fait l’objet de très nombreuses réflexions depuis que le salariat existe. Elle s’est notamment traduite dans toutes les branches professionnelles par des classifications des emplois. Cette classification permet de fixer la rémunération de base. Celle-ci peut être complétée par des critères individuels, en premier lieu l’ancienneté, et des primes diverses et éléments variables.

Dans ce cadre, il est possible de construire un système de progression hiérarchique de la rémunération dans une fourchette de 1à 20. Dans les années 70, c’était bien ce que l’on pouvait constater

Lles augmentations régulières du SMIC à partir de 1968 ont écrasé le bas des grilles de salaire. L’une des conséquences connues est le faible niveau de la rémunération des enseignants en début de carrière.

Mais pendant qu’il y avait écrasement du bas de la grille salariale, le haut de cette grille s’est au contraire fortement élargi. D’où les remarques sur les salaires des PDG. Il est utile de comprendre pourquoi cette évolution ne tient pas qu’aux « critères financiers » dénoncés par Oxfam.

La révolution client

Un premier changement a lieu autour des années 80. Entre 1975 et 1985 à peu près, l’économie mondiale est confrontée à des changements majeurs. D’abord les deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979. Puis la révolution monétariste (hausse des taux d’intérêt) pour stopper l’inflation. Enfin, la montée des entreprises qui s’adaptent le mieux aux besoins des clients, notamment en multipliant les options pour personnaliser au mieux les produits.

Jusque-là, la stratégie des entreprises pouvait se résumer (très fort !) à augmenter leur production pour répondre à une demande en croissance. La création d’outils de plus en plus performants permettait les économies d’échelle et la baisse des prix moyens. On pouvait mettre à la tête des entreprises des corpsards des Mines ou des énarques n’ayant aucune expérience de la vie de l’entreprise (encore une fois caricatural bien sûr). Les banques fournissaient les capitaux nécessaires et la baisse des coûts permettait d’acheter la paix sociale en augmentant les salaires. C’était l’alliance des managers et des salariés. Le rentier voyait ses économies fondre avec l’inflation. Le consommateur pouvait acheter une Ford T de n’importe quelle couleur pourvu qu’elle soit noire.

La hausse des taux d’intérêt et la baisse de l’inflation (venus des U.S.A.) changent la donne. On ne peut plus rembourser en monnaie de singe. Le banquier étant trop cher, on se tourne vers l’actionnaire, lequel va de nouveau pouvoir mettre en avant ses exigences. Des exigences qui ont changé : les actionnaires ont compris que la hausse continue du chiffre d’affaires n’était plus une garantie de l’avenir. Ils veulent des profits et du retour sur investissement.

Le client a lui aussi le choix devant une offre multiple. Il peut exiger des couleurs et des options et/ou des prix plus bas. Les importations des pays à bas salaires vont aider à baisser les prix. Mais il faut revoir toute l’entreprise pour la rendre flexible et adaptable aux besoins du client, identifiés par le marketing.

Le citoyen consommateur fait donc alliance avec l’actionnaire (parfois un fonds de pension) au détriment du citoyen salarié et des managers à l’ancienne. On attend maintenant des cost-killers et des stratèges du marché. Des PDG additionnant les profils de Jacques Calvet et Antoine Riboud. Le premier a su redresser un groupe PSA au bord de la faillite, mais au prix d’une baisse considérable des effectifs. L’augmentation de salaire que lui octroient les actionnaires ne passe pas et provoque une grève dure. Un salaire pourtant très loin des excès actuels. Antoine Riboud, le roi du marketing, passe à la télé à l’Heure de vérité et crève les écrans en montrant une feuille de paie nettement plus élevée que celle de Calvet !

C’est de cette époque que datent, pour les PDG, les critères financiers de rémunération pointés par Oxfam.

Le premier prend tout

La deuxième révolution est plus récente. Elle touche (en premier ?) le star système. Si la présence d’un Depardieu sur une affiche de cinéma augmente de 15% la fréquentation, il faut embaucher Depardieu, quitte à le payer très cher. Pareil pour Mbappé s’il attire les spectateurs dans les stades ou sur les écrans.

Caractéristiques de la société de spectacle : des coûts d’investissements importants, des coûts marginaux faibles, des recettes qui dépendent du nombre de clients. Et un système médiatique (y compris les réseaux sociaux et le bouche-à-oreille) qui concentre la clientèle sur quelques produits.

Si la clientèle se concentre sur quelques spectacles ou films, quelques émissions, quelques livres, les rémunérations vont aussi se concentrer sur quelques acteurs, animateurs ou auteurs.

Mais l’époque voit se multiplier les secteurs à coûts initiaux importants et coût marginal faible : le numérique, d’Intel à Microsoft, d’Apple à Google ou à Facebook. Ou la pharmacie, de Pfizer à Moderna. Dans ces secteurs le premier fait des bénéfices extraordinaires, le second des bénéfices corrects le troisième équilibre à peine et tous les autres perdent leur chemise.

Les salaires des PDG d’entreprises internationales vont logiquement suivre. Pas étonnant que Disney ait eu longtemps le PDG le mieux payé. A cette aune, les dénonciations d’Oxfam ne changent pas grand-chose à la réalité économique.

Une réalité qui n’empêche pas de se poser des questions. Est-ce vraiment le gain d’un ou dix million d’euros supplémentaire qui motive les PDG ? A défaut de limiter les salaires, quelle imposition des revenus ?

L’Insee a publié ce jeudi 24 mai une note sur l’évolution des salaires en France.

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