Les élus locaux exercent, pour la plupart, un métier ou une activité extérieure à leur engagement municipal. Quelle est cette autre face, cette autre vie? Comment se partage-t-elle avec la vie d’élu. La Gazette s’est entretenue avec plusieurs d’entre eux. Elle y consacre une série d’articles.
Praticien hospitalier à l’hôpital Henri Mondor de Créteil, elle exerce l’endocrinologie, spécialité qui traite des pathologies en lien avec le dérèglement hormonal des glandes de l’organisme (thyroïde, hypophyse, surrénales, ovaires…) et avec les troubles du métabolisme qui conduisent au diabète, l’obésité, l’excès de cholestérol, etc… (hypocondriaques, ne vous alarmez pas, l’article ne compte pas entrer dans les détails). Christiane Gautier Ajzenberg aime lire, nager, marcher, aller au théâtre ou au concert. Depuis 2020, elle se consacre aussi à sa fonction d’élue : elle est conseillère municipale, dans l’opposition avec le groupe Sceaux Ensemble. Comment assure-t-elle tout cela ? Commençons par rembobiner.
Flash-back
« J’ai été recrutée en 2002, à Mondor pour prendre la responsabilité d’une unité de 20 lits alors que le service de Diabétologie qui existait avant, avait été purement et simplement fermé un an plus tôt, au départ sans successeur, de son chef de service. Une décision de l’assistance publique purement financière, alors qu’il s’agissait du seul centre de référence du sud-est francilien, et sans considération pour les 7000 diabétiques suivis dans l’établissement.
Remettre à flot un service ayant perdu la plus grande partie de ses médecins n’a pas été une mince affaire. Il a fallu retrouver une légitimité et la confiance qui avaient disparu avec le démantèlement du service et la suppression des postes universitaires, travailler d’arrache-pied pour remonter l’équipe médicale et paramédicale alors que la demande de soins était croissante, que les outils et la technologie évoluaient à toute allure en diabétologie, que l’éducation thérapeutique prenait une place de plus en plus importante. »
Elle est visiblement fière du chemin parcouru. L’équipe aujourd’hui compte 7 médecins à temps plein, 4 internes, une unité très active de 20 lits de spécialité, un hôpital de jour qui reçoit chaque jour 6 patients. C’est l’une des plus importantes consultations de Mondor.
Le métier
Etre praticien hospitalier comporte bien des facettes. Il y a l’enseignement de la discipline, l’encadrement des étudiants, des internes et des chefs de clinique, les visites au lit du patient, les révisions hebdomadaires de dossiers. Lors de réunions multidisciplinaires sont discutés les cas complexes (elle prend l’exemple effrayant d’une décision d’amputation). Ajoutons les consultations, les sessions d’éducation destinées aux patients, l’administratif (elle est chef d’unité), la planification des présences pour assurer la continuité des soins…
« Croyez-moi les journées sont bien remplies. Grosso modo, j’ai rarement travaillé moins de 55 heures par semaine, sans compter les week-ends de présence à l’hôpital où nous assurons la continuité des soins, en roulement avec tous les séniors du service. »
L’engagement
Quand on lui demande où elle a trouvé le temps de s’engager dans l’action municipale, elle commence par sourire. « Pendant la période dont je vous parle, mes trois enfants ont grandi ! En 20 ans, ils sont devenus adultes, travaillent, se sont installés. J’ai aujourd’hui une latitude que je n’avais pas auparavant. Cela dit, mon engagement avec la liste Sceaux Ensemble en juin 2020 est le prolongement d’un engagement antérieur. En 2016 j’ai soutenu la candidature d’Emmanuel Macron à la présidence de la République. »
Si les enjeux des présidentielles sont bien loin de ceux d’une ville, ce fut déjà un investissement dans la chose publique. Une inscription politique dans la ville. Elle participe à la campagne électorale. Elle rencontre des gens, discute, échange sur ce qui lui est cher : le dépassement des clivages gauche-droite. La recherche du compromis.
« Je suis devenue militante en quelque sorte. » Quand, pour les municipales de 2020, Jean-Christophe Dessanges, investi par LREM, lui propose d’être sur sa liste en charge des questions de santé, elle accepte.
Alors que dans son exercice professionnel, elle est confrontée chaque jour aux conséquences de la désertification médicale, avec son lot de patients pris en charge trop tardivement, elle constate que la situation est également préoccupante ou en passe de l’être à Sceaux, avec seulement 10 médecins généralistes encore en exercice et la moitié d’entre eux sur le point de partir à la retraite dans les 5 ans, sans vraie politique de santé de la ville pour attirer de nouveaux médecins.
A ses yeux, la lutte contre la désertification requiert des actions énergiques. Il faut une dynamique. Elle voudrait un pôle de santé multidisciplinaire. « En tendance, les jeunes médecins ne cherchent plus à exercer seul dans un cabinet libéral, préférant l’exercice collectif voire le salariat. Avec l’ARS, il est possible de monter des projets structurants, qui fassent le lien entre l’exercice de ville et les structures de soins territoriales, tout en répondant à leurs attentes d’un travail plus collaboratif. Mais les dossiers de demande de subventions sont complexes à monter. « En participant à la liste Sceaux Ensemble, je voulais travailler avec les professionnels de santé, identifier les porteurs de projet, et rendre possible la réalisation de maisons de santé pluridisciplinaires. »
Loin de la coupe aux lèvres
Elle se souvient. « Le premier conseil municipal d’installation qui a suivi l’élection de juin 2020 avait été enthousiasmant. Dans mon domaine, des collaborations semblaient possibles ; tout était ouvert. La réalité s’est avérée bien décevante ».
Pourtant les commissions municipales sont nombreuses. « mais il y en a très peu d’ouvertes aux élus de l’opposition et celles qui le sont, ne sont que consultatives, sans aucune participation aux réunions de travail ».
Elle participe à celles du Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) qui se réunit 5 fois par an, aux 2 réunions du Conseil Consultatif de la famille et de la vie des enfants (CCFVE), et de la commission communale pour l’accessibilité, à celle annuelle du Conseil local des professionnels de santé, « où malheureusement, insiste-t-elle, ne se rendent pas les professionnels de la ville, pourtant conviés, illustrant l’absence de communication pourtant indispensable à conduire une vraie politique de santé de la ville».».
Être élue, c’est bien sûr assister aux conseils municipaux, qui se tiennent environ toutes les 6 semaines. La documentation, plusieurs centaines de pages à chaque fois, est envoyée le vendredi soir, pour un conseil le jeudi soir qui suit. A la réception, elle en prend connaissance, explique modestement qu’elle en extrait ceux qu’elle peut appréhender, sachant qu’aucune commission préalable ne permet de préparer les sujets complexes comme ceux du budget et des affaires financières, les bûche pendant le week-end, partage avec les élus de son groupe, prépare ses interventions.
Être élue, c’est aussi pouvoir poser une question orale et dans le cadre de son groupe, un vœu ou une motion d’intérêt général, c’est-à-dire soumettre des propositions à la majorité municipale.
Les siennes sont du côté de la santé, des pistes cyclables, du projet centre-ville, de la résilience climatique…. « Malheureusement, quelles que soient les propositions, elles sont systématiquement rejetées, sans offre de faire avancer une réflexion commune avec les élus de l’opposition, c’est décourageant, il n’y a pas de co-construction. L’étanchéité est totale entre la majorité et l’opposition, nous sommes cantonnés à l’enregistrement de décisions prises sans nous ».
Elle associe à cette situation une conséquence importante. « L’absence de commission préparant en amont les sujets délibérés, explique les nombreuses questions posées en conseil par les élus de l’opposition. Ces échanges quelques fois longs, parfois vifs, créent des tensions qui seraient évitables si nous étions associés au travail municipal tout en permettant de respecter une durée de conseil plus conforme. En effet, nos conseils ont la particularité d’être déraisonnablement longs, au-delà de 2 heures du matin, quand ce n’est pas à 7h. »
Incontestablement Christiane Gautier Ajzenberg n’a pas le sentiment d’apporter tout ce qu’elle pourrait. Frustration il y a, elle l’exprime. Entre un métier où la prise de décision est quotidienne, l’organisation est essentielle et le collectif vital, et le rôle bien mineur dans lequel elle s’estime cantonnée, il y a assurément un décalage immense.
Est-ce inscrit dans l’antagonisme bien français qui modèle les joutes entre majorités et oppositions ? Est-ce une suite de malentendus ? On se gardera d’y répondre, sans désespérer d’un futur plus « collaboratif ».