Le ministère de l’Éducation a publié le 23 novembre un état des lieux qui comprend une très grande masse d’informations. Parmi celles-ci, celles concernant la maîtrise de lecture méritent une attention particulière, tant les manquements représentent un handicap important dans notre société.
Un enjeu majeur
Ne pas vraiment comprendre ce qu’on lit, c’est ne pas avoir les moyens d’accéder aux savoirs enseignés au collège. Les conséquences de ces difficultés sont potentiellement multipliées à l’âge adulte.
Près de la moitié de ceux qui sortent sans diplôme (ou avec le seul brevet) du système de formation initiale sont sans emploi un à quatre ans après leur sortie.
L’observatoire des prisons rappelle les chiffres suivants concernant la formation des détenus :
- 44 % des personnes détenues n’ont aucun diplôme ;
- Plus de 80% ont un niveau inférieur au baccalauréat ;
- Un quart ont des besoins importants dans la maîtrise des savoirs de base ;
- 10% sont en situation d’illettrisme.
On retrouve une situation similaire chez les sans domicile. Selon une enquête de l’Insee de 2012,
au-delà du niveau de diplôme, la maîtrise du français écrit et oral pose souvent problème : plus d’un tiers des sans-domicile francophones déclarent éprouver des difficultés dans la vie courante pour la lecture ou l’écriture du français ou encore pour le calcul. Ces difficultés sont plus fréquentes parmi les sans-domicile nés à l’étranger (1 cas sur 2). Elles concernent néanmoins aussi un quart des sans-domicile nés en France.
Ces quelques données montrent que l’apprentissage de la lecture n’est pas qu’un enjeu individuel. Les adultes n’ayant pas réussi à la maîtriser pendant leur formation initiale représentent un coût important pour l’État et la société. Investir pour réduire le nombre de jeunes dans ce cas est un investissement à long terme, mais très probablement un investissement très rentable.
Des résultats contrastés
Où en est-on ? La publication du ministère permet d’en avoir une idée à trois moments clés : à 6 ans, moment de l’entrée en primaire, à l’entrée en sixième (donc vers 11 ans) et au moment de la journée Défense et citoyenneté (qui a lieu entre 16 et 25 ans selon les individus).
Les jeunes adultes
Commençons donc par les jeunes adultes. Près d’un sur 10 (11% des garçons et 8% des filles) est « en deçà du seuil de lecture fonctionnelle ». Plus d’un autre sur 10 est un « lecteur médiocre ». Moins de 8 sur 10 sont des lecteurs efficaces. Après 10 ans de scolarité obligatoire…
Une comparaison avec les autres pays de l’Union européenne montre que la France, avec 21,4% de jeunes qui ne sont pas considérés comme des lecteurs efficaces, est dans ce domaine un peu mieux placée que la moyenne de l’UE qui en compte 22,5 %. Notons les pays qui ont des résultats nettement supérieurs aux autres : l’Estonie (11,1%), l’Irlande (11,8%) et la Pologne (14,7%).
A l’entrée en sixième
Le tableau suivant concerne la maîtrise en français à l’entrée de sixième. Il s’agit de l’évaluation de septembre 2020 : la comparaison avec 2019 donne un résultat étonnant, avec une progression malgré le confinement. Cela fait douter de la pertinence des chiffres absolus ! On peut probablement trouver plus fiables les comparaisons qui montrent d’importantes différences entre les collèges.
Si l’on ajoute « maîtrise insuffisante et « maîtrise fragile » on trouve 32,4% des élèves en REP +( Réseau d’établissement en éducation prioritaire), 10,3% dans le public hors REP et 5,1 dans le privé sous contrat.
A l’entrée en CP
L’évaluation en début de CP montre que les différences observées en sixième existent déjà à l’entrée à l’école primaire : les difficultés sont plus présentes en REP (et surtout en Rep +). Et le privé sous contrat regroupe moins d’élèves en difficulté que le public hors REP.
On notera que les difficultés pointées ici ne concernent pas directement la lecture. Mais on conviendra que ne pas comprendre un texte à l’oral ne doit pas aider à le comprendre par écrit !
Le graphique ci-dessous concerne plus directement les compétences directement utilisées pour apprendre la lecture, compétences pouvant être acquises à l’école maternelle. S’il ne précise pas la répartition de ces difficultés selon les établissements, il permet d’observer qu’elles existent.
Comment progresser ?
Les comparaisons selon les établissements autour d’une logique sociale (REP et REP +) ont suggéré d’augmenter les moyens pour les établissements accueillant les élèves les plus en difficulté. La notion de zone prioritaire apparaît à partir de 1981. Elle connaîtra bien des fluctuations (voir la page Wikipédia sur le sujet). La dernière, en 2017, consistera à s’attaquer au problème le plus tôt possible, en dédoublant les classes de CP et de CE1 dans ces zones. Le ministère a publié en septembre une évaluation de cette politique, avec ses avancées et ses limites. Les réactions ont porté selon les cas sur le verre à moitié vide ou le verre à moitié plein. On conseillera à ceux qui veulent en savoir plus de lire quelques pages de ce document, en particulier sur la revue de la littérature scientifique sur le sujet.
Si on admet que ce dispositif a permis d’obtenir des avancées, mais a ses limites, la conclusion logique est de deux ordres. D’abord conserver le dispositif et améliorer son fonctionnement. L’un des grands problèmes de l’action publique est la volonté des politiques de marquer leur empreinte, ce qui conduit à changer souvent de politique : la mise en place d’une politique efficace demande du temps, de la continuité, de l’évaluation et une amélioration progressive plutôt que des changements de cap incessants.
Ensuite, compléter le dispositif par des actions de types différents : sur les méthodes d’enseignement, la formation permanente des enseignants, le lien avec les bibliothèques, l’aide scolaire, l’aide aux parents, la liste est longue !
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