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La ville du quart d’heure ou le bénéfice collatéral de la Covid

Il semble que le concept de ville du quart d’heure revienne à Carlos Moreno, Colombien de naissance et professeur à l’IAE[1] de l’université Panthéon Sorbonne. Dans le langage courant, on dit en parlant de son lieu de résidence : « Je peux tout faire à pied. » Entre les deux notions s’est immiscé le vélo, signe du temps. Le quart d’heure de Moreno inclut le vélo.

Il a contribué à un livre blanc de l’IAE qui situe le concept dans les territoires les plus denses (Sceaux est dans cette situation) et par leur niveau de réponse à six fonctions essentielles : habiter, travailler, s’approvisionner, être en forme, apprendre, s’épanouir. Ce qui est concrètement entendu par là est donné dans le tableau suivant qui expose les différents aspects de chacune des fonctions.

Dans la démarche de l’IAE, ces décompositions permettent d’affecter des « notes » à chacune des six fonctions qui, pondérées par des coefficients, fournissent un « indicateur de qualité de vie sociétale ». La méthode sort largement du cadre de cet article. Nous ne retenons ici que la liste des points qui fixe les idées sur ce qu’on pourrait attendre d’un quartier.

Car qui dit quart d’heure dit quartier. Autant s’entendre sur ce qu’il devrait idéalement comporter, pour pouvoir mesurer l’écart avec le réel.

Des leviers

Pour parvenir à ce modèle, l’étude présente quatre composantes : la densité, la proximité, la mixité des infrastructures, et l’ubiquité.

La densité est la condition de possibilité, de rentabilité des services ; c’est par elle que la réduction des déplacements est significative ou non. Elle repose évidemment sur le nombre d’habitants et donc la densité de logements ; elle repose aussi sur « l’envie de passer plus de temps dans son quartier, à y vivre plus en harmonie et à retrouver une fierté d’y avoir élu domicile. Car cette fierté est bénéfique au quartier : il nous donne envie de préserver le lieu, qu’il soit propre, préservé des vols et des dégradations, et nous contribuons à cela par notre attitude. »[2]

La proximité est la capacité à trouver ce dont on a besoin. Elle suppose que le maintien et l’installation de commerces et services soient encouragés. Les hypermarchés connaissent un déclin qui est prometteur. Dans l’article déjà cité, Marjolaine Koch estime que « les jeunes, très connectés, préfèrent se faire livrer plutôt que de fréquenter un centre commercial. Le modèle est en train de changer sur plusieurs plans. L’ère numérique mais aussi le phénomène d’éclatement familial sont une cause du déclin de ces zones. Quand on est une famille monoparentale, on va moins faire de grosses courses. Il y a donc tout un phénomène sociologique qui contribue à vider ces lieux. »

La mixité des infrastructures renvoie à la transformation d’endroits déjà existants en « lieux multi-usages ». Ainsi, à Paris, on réfléchit[3] à ouvrir les écoles et les collèges le week-end. « …les cours de récréation seraient de nouvelles oasis vertes, où se retrouver pour jouer, lire et se détendre. ». Ainsi, pour Carlos Moreno, une salle de gym le jour pourrait se transformer en discothèque la nuit. Des hôtels se sont mis à proposer des offres de coworking en aménageant un espace de travail. Les espaces de coworking, eux-mêmes, commencent à intégrer des salles de sport ou des lieux de rencontre.

L’ubiquité, c’est la capacité que le numérique offre en termes de travail à distance. Le confinement dû au covid a fait exploser l’usage de la vidéoconférence et, ce faisant, la délégation de responsabilité s’est accrue. La nécessité faisant loi, il fallait bien faire confiance aux collaborateurs distants. Le management sur la base de projet et non plus de présence est entré dans les mœurs. Des objectifs sont assignés, peu importe où on les réalise. Le covid a cet égard a induit une sorte de révolution dans le fonctionnement des entreprises en permettant un essor sans précédent de la distribution des tâches. Si toutes les professions ne sont pas compatibles avec le télétravail, un nombre très significatif l’est. Pour les quartiers, c’est une toute nouvelle donne.

Démobilité

Des critiques évoquent un risque de gentrification des centres par l’exclusion des travailleurs vivant au-delà. Il est vrai que si un quartier est autosuffisant, il cherche moins à attirer. Mais pour Moreno, les cités sont déjà fragmentées, et on le suit en se disant que le risque de gentrification est bien moindre que celui de solitude.

Il a formé le terme de « démobilité » sous lequel on peut glisser bien des interprétations : la réduction des déplacements, la réutilisation des lieux existants en les diversifiant et … (non pas cerise sur le gâteau mais essentiel) l’attachement des gens à leur quartier.

Au regard de cela, dans une ville à taille humaine comme Sceaux, la ville du quart d’heure ne semble pas une utopie. Elle est même largement à l’oeuvre. Certes les lieux de travail sont pour la plupart à l’extérieur de la commune. Mais sur tous les autres points, le tissu urbain coche déjà de nombreuses cases, ce qui ne contredit en rien l’existence de belles marges d’amélioration et d’innovation.


[1] IAE : Institut d’administration des entreprises de Paris
[2] Marjolaine Koch, La lettre du cadre territorial.
[3] https://www.vanityfair.fr/pouvoir/politique/story/quest-ce-que-la-ville-du-quart-dheure-le-concept-phare-danne-hidalgo-/10968

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