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Une monnaie locale demain à Sceaux ?

Mardi 11 mai se tenait une réunion plénière du Comité Consultatif de Transition de Sceaux. Séance virtuelle une nouvelle fois, avec une quarantaine de participants. Au programme une présentation de l’ADEME par un de ses membres, puis point sur l’avancement du Pacte pour la transition.

Réunion du CCT de Sceaux

Le maire de Sceaux a en effet jugé bon, lors de sa campagne municipale de signer ce pacte, comme l’a rappelé la personne qui présentait, pour le compte de ceux qui mettent ce pacte et ses 32 mesures concrètes en avant.

La séance a été profondément ennuyeuse encore une fois et on se demande en quoi ce comité justifie le mot de consultatif quand on mesure la répartition du temps de parole. Il est vrai que l’exercice est compliqué en soi et que les contraintes dues au Covid limitent beaucoup les possibilités. Le risque est cependant que le nombre de participants baisse progressivement. Pour l’instant, on constate que la majorité coupent leur vidéo, ce qui ne permet pas de savoir s’ils écoutent ou s’ils font autre chose, et même s’ils sont réellement devant leur écran.

Dans cet ennui a émergé la question d’une participante, alertée par la mention parmi les 32 mesures de celle de mettre en place une monnaie locale : quel est le lien entre avoir une monnaie locale et la transition écologique ? La présentatrice a répondu qu’une monnaie locale conduisait à plus consommer local. Je n’ai pas compris si le mot « conduisait » signifiait « facilitait » ou « obligeait ». Naïvement peut être, je ne vois pas en quoi utiliser une monnaie locale facilite mes achats chez Saines Saveurs, Ponpon, le Porcelet rose ou Patrick Roger.

Monnaie locale ?

Et je m’interroge : c’est quoi une monnaie locale ? Une monnaie en plus, qui m’obligera à avoir deux porte-monnaies et les commerçants à afficher leurs prix dans deux monnaies, ou une monnaie qui remplacera localement l’euro ? Je ne serais pas complétement surpris que certains aillent jusqu’à imaginer la seconde réponse !

Et comment se traduit le terme de « local » ? La commune, le territoire, toute l’Ile de France ? On sait que la clientèle des commerçants de la rue Houdan se recrute largement au-delà des limites de la commune : pour la clientèle extra-communale, une monnaie purement scéenne serait un problème.

Par ailleurs, seulement 15,5 % des actifs ayant un emploi travaillent dans la commune, et sont donc payés en euros. C’est aussi le cas de tous ceux qui touchent un revenu hors activité, comme les retraités (ces derniers représentent plus d’un ménage sur 4 à Sceaux). Et des actifs travaillant sur place mais dépendant d’une administration publique (Education Nationale par exemple).

D’autre part, la ville ne compte ni exploitation agricole ni établissement industriel : les produits consommés par les Scéens sont donc tous produits en dehors de la ville et donc achetés en euros, que ce soit directement par les consommateurs ou par les commerçants.

Donc, si j’essaie de décrire le processus : un Scéen recevant un revenu en euros va le changer dans la monnaie locale auprès d’une institution apte à le faire, ce qui lui permettra de payer ses achats alimentaires. Le commerçant pourra ensuite changer cette monnaie locale en euros auprès d’une institution de manière à payer ses fournisseurs à Rungis. Particulièrement utile apparemment.

Mais j’oubliais. Le commerçant pourra payer son coiffeur local qui pourra aussi localement aller au restaurant et payer tout cela en monnaie locale : une bonne économie circulaire ! Serait-il moins pratique de payer localement en euros ?

Comme je l’ai fait remarquer dans le Chat de la réunion, les révolutionnaires de 1789 ont uniformisé les poids et mesures dans tout notre pays pour dépasser les frontières locales. Apparemment, certains rêvent de les recréer. Toujours sur le Chat, quelqu’un a écrit qu’une des utilités de la monnaie locale se révélerait « si l’euro s’effondre ». Je n’ai toujours pas compris si c’était du premier ou du second degré, même si mes investigations (voir plus bas) m’inclinent à penser que ce pourrait bien être du premier degré.

Cela m’amène à une question : quel serait le cours de cette monnaie locale ? Un cours fixe par rapport à l’euro simplifierait la gestion par tous, mais alors quelle dépendance ? Et si le cours fluctue, que ferait-on pour les pertes de change ?

On pourrait m’objecter qu’il y a bien des cryptomonnaies à côté des monnaies officielles. Est-ce qu’on veut souligner que l’invention d’une monnaie locale est aussi stupide que celle d’une cryptomonnaie, mais qu’elle peut fonctionner s’il se trouve des gogos pour l’utiliser ? L’utilité la plus manifeste des cryptomonnaies semblant son utilisation par les délinquants, faut -il comprendre qu’une monnaie scéenne pourrait utilement supporter un trafic de drogue ?

Mais après tout, le mieux n’est-il pas, plutôt que d’ironiser sur mon clavier, d’aller voir ce que dit le Pacte pour la transition sur le sujet ?

La monnaie locale selon le Pacte pour la transition

Sur le site détaillant les 32 mesures du pacte, la 32ème (adhérer aux monnaies locales complémentaires et citoyennes…) fait, comme les 31 autres, l’objet d’une fiche technique dont on trouvera ci-dessous quelques extraits

Sur le contexte et les enjeux :

Le système monétaire est en continuelle expansion alors même que l’environnement et les ressources naturelles sont des ressources finies Il n’existe pas de relation entre la sphère réelle et la sphère monétaire. Cette conception dichotomique de l’économie n’intègre pas alors les dommages environnementaux dans le système des prix des biens et service.

Pour inverser cette tendance et relocaliser l’économie, de nombreuses monnaies locales on vu le jour en France depuis 2011

Sur leurs descriptions :

Elles sont complémentaires, car elles n’ont pas pour objectif de remplacer nos monnaies conventionnelles (comme l’Euro) mais bien de les compléter.  Elles sont également des outils de mobilisation citoyenne et d’éducation populaire. De par leur renforcement des productions locales, les MLC permettent aussi de rendre un territoire plus résilient. Elles ont aussi une vocation sociale et solidaire car elles visent à créer de la valeur sociale.  Beaucoup de monnaies sont des MLCC  (Monnaie  locale  complémentaire  et citoyenne),  car  leur  création  et  leur  pilotage  sont  le  fait  de  collectifs  citoyens  et  non  des  collectivités territoriales.

Sur leurs avantages :

Les monnaies locales et complémentaires :

  • Favorisent les entrepreneur·ses de l’économie sociale et solidaire, et de proximité.
  • Valorisent les richesses du territoire en intégrant un indicateur de richesse co-défini (PID)
  • Soutiennent les initiatives de Transition écologique et citoyenne et améliorent la résilience des territoires face aux crises.

On notera qu’il faut adhérer à l’association pour pouvoir utiliser la monnaie.

Le plus beau est ici : Les MLC ont un double effet grâce à la mise à disposition d’un fonds de garantie dans une banque qui peut l’investir dans des projets de transition. Les MLC circulent plus vite entre les mains des citoyen·nes et commerces locaux et créent plus de richesses.

A comparer avec l’idée exposée précédemment qu’il est déplorable que les banques puissent créer de la monnaie et qu’on ne peut pas créer indéfiniment plus de richesses. Vous avez dit cohérence ?

Souvenirs, souvenirs

On me pardonnera, je l’espère, si j’explique de vieux souvenirs d’étudiant que m’évoque cette histoire.

Dans les années 1950/ 1960, il paraissait de plus en plus difficile pour les marxistes orthodoxes de montrer que le capitalisme conduisait, comme l’affirmait Marx, à une paupérisation absolue de la classe ouvrière : il était manifeste que le pouvoir d’achat des ouvriers augmentait en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest. Certains économistes marxistes ont donc proposé un autre discours : les pays exploitaient, non pas leur propre classe ouvrière, mais les pays de la périphérie, ceux qu’on appelait déjà le tiers monde, en Asie, en Afrique ou en Amérique latine. Cette théorie a notamment été développée par Samin Amin, dans son livre « l’échange inégal ». Il visait notamment le système colonialiste.

D’autres économistes ont fait remarquer ensuite que les pays qui s’étaient le plus développé au 19ème siècle (l’Allemagne et les U.SA.) n’avaient pas de colonies, et que les relations entre l’Angleterre et ses colonies s’étaient traduites par des sorties nettes de capitaux vers les colonies.

J’ai eu la chance d’avoir comme professeur Gérard de Bernis, un économiste qui conseillait le gouvernement algérien, un véritable humaniste et un pédagogue passionnant. Dans la ligne de Samir Amin, ce dernier proposait, pour sortir de l’échange inégal, de privilégier un développement autocentré sur les besoins de la population du pays, plutôt que de chercher à s’insérer dans la marché mondial et les besoins des pays riches. 40 ans plus tard, il faut bien constater que les pays qui ont fait le second choix (dragons asiatiques, puis Chine) ont beaucoup mieux réussi que ceux qui ont fait le choix autocentré (Algérie et Inde, au moins jusque vers les années 2000).

Je suis persuadé, comme la plupart des économistes, que le repli sur soi est une mauvaise stratégie, tant du point de vue économique que du simple point de vue humain : le repli sur soi, c’est d’abord la solution des identitaires et des racistes, de ceux qui ne souhaitent pas échanger avec leurs voisins ou les humains plus éloignés. Je ne pense pas que ceux qui proposent les monnaies locales adhérent à ces concepts, mais simplement que leur analyse est fausse probablement parce qu’elle est plus idéologique que réaliste.

  1. Gérard Bardier Gérard Bardier Auteur de l’article | 23 mai 2021

    Lien rétabli

    • Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 24 mai 2021

      Merci.

  2. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 23 mai 2021

    Le lien « Pacte pour la transition » au premier paragraphe est non fonctionnel.

    Je partage l’avis du rédacteur quand il me fait penser que cette idée de monnaie locale est une invention assez fantaisiste qui pourrait bien confiner à l’absurde.

    Une grande confusion plane sur toutes ces questions économiques et monétaires.

    Première interrogation. Quand j’entend les économistes eux mêmes parler tantôt « d’économie » en laissant le soin à l’auditeur de comprendre ce qu’il veut entendre (ou vice-versa), et tantôt « d’économie réelle » sans aucune précision non plus, ni pourquoi ils ont besoin de faire ce distinguo, je m’interroge. S’ils le font, c’est bien qu’ils en éprouvent le besoin. Pourquoi ?

    Deuxième interrogation. Quand on utilise le mot richesse en faisant le sous entendu qu’il ne peut s’agir que d’argent, c’est-à-dire de monnaie, on met de côté volontairement tout ce qui fait la richesse réelle des rapports humains : l’échange.
    Ce n’est pas bien. Et tout le monde en a bien conscience. C’est peut-être pour apporter une réponse à ce problème que certains ont pensé à développer des monnaies locales. Là où il y a tromperie, c’est que ceux qui font « métier de finances » se sont emparés de ces dispositifs car ils comprennent bien le profit financier qu’ils peuvent en tirer. Au passage, je ne peux m’empêcher d’écrire que les crypto-monnaies sont sans doute de la même veine.

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