La logique d’intérêt
A partir de 1954, l’industrie américaine du tabac a tout fait pour contester la nocivité du tabac et mettre le doute dans les études scientifiques. Des scientifiques à sa solde ont produit des études biaisées à son service. Cet exemple classique conduit à se demander systématiquement si une personne qui soutient un avis A, ou une étude, a un intérêt financier à le faire, est payée par ceux qui sont avantagés par la conclusion de ladite étude.
Le problème que cette approche pose est double : d’une part, ceux qui la pratiquent ne l’appliquent qu’eux porteurs de certains intérêts et non à toute étude, d’autre part ils en concluent que toute étude portée par ces intérêts est nulle par définition.
Cela va même plus loin. En réalité, il y avait un consensus scientifique sur les méfaits du tabac dès l’entre-deux-guerres. Après la guerre, cette connaissance a commencé à se propager au-delà des cercles scientifiques, et c’est à ce moment-là que l’industrie du tabac a commencé à réagir. La méthode utilisée a consisté à produire des études (de mauvaise qualité) donnant des résultats différents et à propager l’idée qu’il y avait doute et débat, et qu’on ne pouvait agir sans faire de nouvelles études.
Aujourd’hui, cette méthode consistant à essayer de mettre du doute contre un consensus scientifique est utilisée pour prétendre qu’il y a des problèmes avec les ondes électromagnétiques, pour nier les résultats de l’UNSCEAR sur les conséquences de l’accident de Fukushima, pour attaquer le glyphosate, les vaccins ou les OGM. Dit autrement, ce sont justement ceux qui agitent l’exemple de l’industrie du tabac qui utilisent les mêmes méthodes !
La logique scientifique, c’est de vérifier la qualité méthodologique d’une étude, et d’être particulièrement prudent quand il y a une logique d’intérêt. C’est tout, mais ce n’est pas rien. Il est vrai que c’est plus long que de dire « vous êtes payés par… ».
Exemple récent avec Didier Raoult qui affirme que tous les scientifiques qui contestent son discours sur son remède miracle sont payés par Gilead (qui fabrique le Remdesivir). On pourrait lui rétorquer qu’il est financé par Sanofi, producteur du Plaquémil, mais ce n’est pas le sujet : ce que contestent les opposants aux dires de Didier Raoult, c’est la validité de sa méthodologie.
Le cherry-picking
Cette expression anglaise évoque le fait de choisir parmi les informations apportées celles qui correspondent le mieux à la thèse défendue. Les plaquettes annuelles de résultats des grandes entreprises sont souvent des merveilles de cherry-picking : suivant le cas, on mettra en avant l’évolution du chiffre d’affaires ou celui du bénéfice, voire les investissements ou la progression à l’étranger : la créativité dans ce domaine ne semble pas avoir de limites ! Bien sûr, les politiques ne sont pas en reste, d’autant plus qu’ils peuvent jouer sur un nombre de sujets quasiment illimités.
Alors que dans les exemples précédents on était amené à se demander pourquoi l’auteur met en avant des données de telle façon, il faut ici se demander pourquoi il ne cite pas telle donnée qui pourtant serait normale sur le sujet. C’est difficile à voir si on connaît très peu le sujet. Par ailleurs, le cherry picking est un procédé spontané chez chacun de nous, dans le cadre de ce qu’on appelle le biais de confirmation : on a tous tendance à ne retenir que les informations qui confortent nos opinions et à écarter les informations qui nous dérangent.
Cela n’excuse pas ceux qui prétendent faire des enquêtes et font du cherry-picking massif. C’est très souvent le cas en France avec les documentaires ou les émissions du type « Envoyé spécial ».
Quelle source ?
Une autre manière de vérifier la pertinence des chiffres qu’on vous présente, c’est d’en rechercher la source. Sur Wikipédia, les sources des informations apportées sont très souvent citées dans les notes en bas de page. On peut alors évaluer la qualité et la fiabilité de la source. En France, on a la chance de pouvoir faire confiance aux organismes officiels comme l’Insee, l’INED, la Dares ou la Drees. Du moins, à condition de faire la différence entre les données (de très bonne qualité) et leurs interprétations (souvent également de grande qualité, mais cela reste des interprétations), il est vrai souvent très prudentes.
Jouer sur les émotions
Pour convaincre, jouer sur les émotions est souvent plus efficace que de faire appel à la raison. On pourrait croire que s’appuyer sur des chiffres n’est guère un moyen de jouer sur les émotions. Et pourtant !
Le 7 novembre 2019, Jean-Marc Jancovici était l’invité de Guillaume Erner sur France Culture. À la 33e minute de l’émission, l’expert fait remarquer que la radioactivité d’une personne moyenne est de 7000 Bq (c’est-à-dire qu’il y a 7000 désintégrations par seconde, essentiellement du Potassium 40 et du carbone 14), et que cela fait peur, car il y a 3 zéros, ce qui donne le sentiment que cela fait beaucoup. Et pourtant, l’espèce humaine vit avec cette radioactivité en elle depuis qu’elle existe… Et ce n’est pas fini ! la radioactivité issue de notre environnement naturel est par exemple de 1000 Bq/kg pour le granit ; de 150 Bq/kg pour les pommes de terre ; de 120 Bq/kg pour notre simple corps humain, dû au potassium 40 dans les os ; 70 Bq/litre pour le lait.[1]
Il y a peu, une association a voulu alerter sur le caractère radioactif des sables venus du Sahara et apportés par le vent jusqu’en France. Elle a souligné que la radioactivité induite est de 80 000 Bq…par km2. Pourquoi inventer une unité (Bq/km2) que personne n’utilise ? Parce l’unité classique (Bq/m2) dirait simplement que la radioactivité induite est de 0,08 Bq/m2. Elle aurait fait apparaître la réalité : cette radioactivité supplémentaire est totalement négligeable. Il fallait bien tricher dans la présentation pour tenter de faire peur.
Article précédent : tricher avec les chiffres
[1] https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/mesure-de-la-radioactivite-unites#:~:text=Le%20Becquerel%20(Bq)%20est%20l,naturellement%20de%20120%20Bq%2Fkg.