Ce jeudi 18 mars, les annonces du Premier ministre et du ministre de la Santé étaient attendues avec des sentiments divers : pour certains, elles allaient sceller l’échec du pari d’Emmanuel Macron, pour d’autres elles allaient signifier de nouvelles contraintes dans la vie quotidienne.
Le conseil scientifique du 12 janvier l’avait annoncé : courant mars, le variant anglais deviendra majoritaire et cela se traduira par une augmentation rapide de la circulation du virus, telle que les hôpitaux seront complètement débordés sauf nouvelles mesures. Les épidémiologistes laissaient entendre que la meilleure solution consistait à prévenir cette situation par un confinement anticipé. Les observateurs avaient pensé qu’un confinement serait mis en œuvre en février, mais le Président en avait décidé autrement.
Le conseil scientifique avait envisagé un scénario où le variant classique se maintenait à 20 000 contaminés par jour, avec le variant anglais qui augmentait sa présence jusqu’à devenir majoritaire (c’est-à-dire dépassant les 20 000 cas quotidiens). À partir de là, le nombre de cas augmentait de 50% par semaine.
Changement de variant
Le schéma ci-dessous montre ce qui s’est effectivement passé. Comme prévu, le variant anglais est devenu largement majoritaire. Les autres variants ne se sont pas développés.
La montée du variant anglais (avec un nombre de cas pratiquement doublé en un mois) a été compensée par une baisse assez forte du variant classique. Cette compensation n’est évidemment plus possible, vu qu’il n’y a plus guère de cas causés par le variant classique. Le plus logique est d’imaginer que, dorénavant, c’est le total des cas qui va doubler tous les mois.
Dans le même temps, la vaccination a continué à un rythme qui n’augmente que petit à petit. Elle a déjà permis de réduire le nombre de décès et, pour l’instant, de stabiliser le nombre d’hospitalisations. Mais elle n’a guère d’impact sur les réanimations qui ont nettement augmenté depuis un mois.
Evolutions géographiquement contrastées
La circulation du virus a aussi évolué de manière différenciée selon les lieux. Elle a nettement baissé dans les agglomérations en état d’alerte il y a un mois (Metz, Nice). La circulation a aussi un peu baissé à Toulouse, à Clermont-Ferrand, à Marseille et à Dijon. Il y a à l’inverse des augmentations limitées à Orléans, Saint-Étienne ou Strasbourg. Mais surtout, il y a une croissance forte à Paris (et en Ile-de-France), Rouen, Lille. La situation comparée de la Seine Saint-Denis et de la France entière illustre cette hétérogénéité.
Alors que l’incidence en Seine Saint-Denis était identique à celle de la France en deuxième semaine de janvier, elle se trouve deux fois plus forte que la situation France entière en deuxième semaine de mars, à un niveau très élevé.
Comment se contamine-t-on ?
Le conseil scientifique est revenu dans sa note du 11 mars sur les modes de contamination. Ses remarques doivent être lues attentivement, car elles expliquent totalement les mesures parfois surprenantes prises lors de ce 3e confinement.
Le risque de contamination reste majeur en cas d’événement dans un espace clos, mal ventilé, avec des participants nombreux, ne respectant pas les gestes barrières et notamment le port du masque.
Cette remarque explique pourquoi le gouvernement a encouragé les sorties à l’extérieur, quand il les avait fortement limitées il y a un an.
L’interdiction des regroupements est ainsi l’une des mesures les plus efficaces de contrôle de la transmission du virus. Les repas, au cours desquels le port du masque ne peut être respecté, constituent une circonstance majeure de contamination, aussi bien en milieu privé que professionnel. Les patients s’isolent trop tard, attendant le résultat du test au lieu de s’isoler dès le début des symptômes et ne protègent pas assez les membres de leurs foyers. 37% des personnes sources de l’infection sont symptomatiques lorsqu’elles contaminent quelqu’un hors de leur domicile.
Le conseil met ici le doigt sur les principales sources de contamination (les repas en commun) et sur les comportements inadaptés des personnes contaminées. La réponse du gouvernement a consisté à recommander une nouvelle fois le télétravail. On se demande pourquoi il ne ferme pas les cantines d’entreprise.
Les lieux associés à un sur risque d’infection ont été les bars, les restaurants et les salles de sport, quand ils étaient ouverts en octobre dernier, ainsi que le covoiturage. A l’inverse, les transports en commun, les cours en amphithéâtre ou en salle pour la formation continue, le sport en extérieur, la fréquentation des lieux culturels et de culte, des commerces et des salons de coiffure n’ont pas été associés à un surrisque d’infection.
Les écoles ne semblent pas constituer des amplificateurs de transmission : la circulation du virus en milieu scolaire reflète plutôt celle qui est observée au sein de la collectivité…
Ce qui pose un problème, ce sont des comportements sur lesquels le gouvernement n’a guère de prise (pratiques privées, non-isolement des contaminés…), sauf à utiliser des méthodes plus musclées (mises en œuvre avec succès dans certains pays d’Asie de l’Est).
Il est désormais bien démontré que les gestes barrières à privilégier absolument pour minimiser le risque de contamination sont le port strict du masque, une aération suffisante et la désinfection des mains. La distance physique reste pertinente en complément des autres mais, seule, s’avère inefficace, du fait de la transmission du virus par aérosols.
On notera que l’aération des locaux vient cette fois largement avant le maintien des distances. En lieu clos et peu aéré, la distance physique seule est un leurre
Mesures d’encadrement des interactions sociales.
Les premières réactions sur les réseaux sociaux montrent que les modalités choisies, sur ce qui semble être un confinement sans en être un, laissent perplexe.
A la lumière de l’avis du conseil scientifique, on comprend que le gouvernement n’a pas voulu interdire les activités peu risquées (à l’extérieur) tout en réduisant les activités à risque (relations sociales en milieu clos).
Le terme de confinement est-il encore adapté ? Il ne s’agit plus de « rester chez soi » comme lors du dernier confinement, mais bien, comme depuis le début, de rencontrer le moins de personnes possible et, si c’est inévitable, de prendre des protections (masques et aération).
Dit autrement : n’allez pas prendre l’apéro chez vos amis, faites une balade au parc avec eux !
Sortie de crise en vue ?
Jean Castex a fait miroiter une sortie de crise proche, grâce à la vaccination. Celle-ci permettrait de lever ce 3e confinement dans 4 semaines, si tout se passe bien. On a compris qu’il s’agit de la version optimiste (toujours possible), qui espère que la nouvelle situation permettra de réduire significativement le niveau de circulation du virus (ce qu’on a pu observer ailleurs). Si le premier confinement avait permis de faire passer le taux de reproduction à environ 0,5/0,6, il est peu probable qu’on y arrive cette fois-ci. Un taux de reproduction clairement inférieur à 1 (par exemple à 0,8) est déjà une hypothèse optimiste. Avec un R à 0,8 on se retrouve autour de 12 000/15 000 cas quotidiens. Suffisamment pour baisser nettement la pression sur les hôpitaux, pas assez pour baisser la garde.
Olivier Véran espère un impact positif de l’arrivée des beaux-jours. Peut-être, mais on ne sait ni quand, ni dans quelle mesure[FN1] . La vaccination est à l’évidence la voie la plus sûre. Les dix millions de vaccinés (pour les plus fragiles et les soignants) attendus à mi-avril vont certainement faire baisser la mortalité, mais n’auront guère d’impact sur les réanimations, contrairement aux dix millions suivants, espérés pour la mi-mai : la vaccination des 60/75 ans jouera très positivement sur la situation hospitalière, mais ne stoppera pas la circulation du virus. Pour ralentir fortement celle-ci, il faudra atteindre les 40 millions de vaccinés au moins. Donc l’arrêt du port du masque et la réouverture des restaurants, ce n’est certainement pas pour tout de suite ! Pour l’été, très probablement, mais à quel moment de l’été ?