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Le dernier soupir du baron Cauchy

Le 23 mai 1857, Augustin Louis Cauchy rendait son dernier soupir dans la maison que l’on peut toujours voir dans l’enceinte du lycée Marie-Curie. La seule énumération de ses décorations dans l’acte de décès (consultable aux archives de l’état civil de Sceaux) rappelle la place éminente qu’il occupa dans le domaine scientifique d’alors : membre de l’Institut de France, professeur à la faculté des sciences, membre de la Société royale de Londres, chevalier de la Légion d’honneur, de l’ordre de Saint-Michel et du mérite de Prusse (doc 1). Son enterrement vit affluer de Paris tout un aréopage de savants, membres de l’Institut, de la Sorbonne ou du Collège de France, se mêlant aux dignitaires des œuvres charitables dont Cauchy avait été un soutien actif.

Un mathématicien illustre

Pour celles et ceux qui ne sont pas familiers des mathématiques, rappelons quelques éléments de sa biographie avant de nous interroger sur son implication dans la vie scéenne.  Cauchy naît à Paris en 1789 dans une famille bourgeoise. Son père mène une carrière au service de l’administration, servant presque tous les régimes politiques depuis la fin de la monarchie jusqu’à Charles X en passant par le Premier Empire. Fort cultivé, il s’occupe personnellement de l’instruction de ses fils jusqu’à leur adolescence. Puis le jeune Cauchy entame une carrière brillante. Il entre à l’École centrale en 1802, ancêtre direct de nos lycées, puis à l’École polytechnique en 1805, enfin à celle des Ponts et Chaussées en 1807. Partout, il se signale par l’excellence de ses résultats en mathématiques. Il est envoyé en tant qu’élève ingénieur à Cherbourg à la fin de ses études et est ensuite nommé professeur à l’École polytechnique.

Un monarchiste convaincu

La carrière de Cauchy est certes marquée par ses immenses travaux mathématiques et la reconnaissance insigne qu’on lui témoigne. Mais, il y a un autre aspect de sa personnalité qui lui vaut alors une notoriété tout aussi importante : ses engagements politiques. Cauchy est en effet un royaliste légitimiste intransigeant. C’est en raison de son attachement au régime de Louis XVIII qu’il est nommé membre de l’Académie des Sciences en 1816, une fois la monarchie restaurée, au moment même où les anciens révolutionnaires Carnot et Monge sont démis de leur fonction de l’illustre institution.

C’est en vertu de son attachement à la famille des Bourbons qu’il refuse de prêter serment au nouveau régime installé par la Révolution de 1830 et qu’il préfère s’exiler en Italie et accepter ensuite un poste bien ingrat de précepteur du petit-fils de Charles X, le comte de Chambord, en exil à Prague. C’est aussi pour son entêtement à ne pas faire allégeance à Louis Philippe qu’il n’obtient pas de poste au Collège de France. Paradoxalement, l’antirépublicain reprend ses cours à la Sorbonne en 1848, car la République nouvelle n’exige plus de serment. Il en est exempté sous le Second Empire et peut ainsi enseigner à la Faculté des sciences.

Un catholique engagé

Cauchy est aussi un homme profondément religieux, attaché à la défense de l’Église. Il s’investit tout au long de sa vie dans la défense et la propagation du catholicisme et est un fidèle soutien des Jésuites. Ce qui lui vaut d’ailleurs les foudres de l’historien Jules Michelet qui voyait en eux des ennemis du peuple français ! Il est, par exemple, l’un des fondateurs de l’Œuvre des écoles d’Orient, en 1856, destinée à ramener les orthodoxes de l’Empire ottoman (alors au cœur de la diplomatie européenne) à la foi catholique.

Cauchy et les bonnes œuvres

Si les Scéens d’alors ne perçoivent peut-être pas la place éminente qu’occupe Cauchy dans le monde des mathématiques, du moins le reconnaissent-ils comme l’homme des œuvres pieuses de la ville. Cauchy épouse en 1818 Adélaïde de Bure, issue d’une vieille famille bourgeoise établie dans la librairie. La grand-mère de la jeune femme avait acheté une maison à Sceaux que le couple habite durant les vacances et de plus en plus fréquemment à la fin de leur vie. Cauchy s’investit dans les œuvres charitables locales. Depuis son retour en France en 1838, il est un membre actif de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, institution caritative qui regroupe à sa tête des intellectuels prestigieux. Il en crée une antenne, nommée conférence, à Sceaux. À la fin de sa vie, il finance sur son salaire de professeur à la Sorbonne l’école de filles des sœurs de Saint-André et un patronage pour les garçons à Sceaux.[1] Et jusque dans ses derniers jours, il livre bataille pour ouvrir une école des frères de la Doctrine chrétienne. L’initiative rencontre la résistance de la municipalité qui n’accorde ni appui ni subvention.

Le maire, Edmond Guyon, tient toutefois à rendre un vibrant hommage à Cauchy le jour de son enterrement. Dans ce langage si emphatique qu’aimaient les édiles au XIXe siècle, il rappelle l’œuvre de charité du mathématicien : « Les vieillards, les enfants, tout ce qui est intéressant et faible, étaient particulièrement l’objet de ses soins… Presque chaque jour, je recevais sa visite, souvent même plusieurs fois par jour ; visites courtes, exemptes de vaines causeries : le temps était trop précieux pour celui qui en faisait un si digne emploi : c’était pour me recommander un pauvre infirme, un orphelin, une jeune fille à placer dans une maison hospitalière, un jeune soldat à rendre à sa famille dont il était le soutien ».[2]

Il est enterré à Sceaux et l’on peut se recueillir sur sa tombe en évoquant, pour les intimes des mathématiques, toutes les notions et les théorèmes auxquels il a laissé son nom et qui sont autant d’hommages à sa formidable créativité.


Pour aller plus loin, Bruno Belhoste, Cauchy, un mathématicien légitimiste au XIXe siècle, Paris, Belin, 1985.


[1] C.-A Valson, La vie et les travaux du baron Cauchy, membre de l’Académie des Sciences, Paris, Gauthier-Villars, 1868, p. 272.

[2] Voir livre déjà cité.

  1. VR VR 23 juillet 2020

    Augustin de Cauchy est un des plus grands mathématiciens français. Je me souviens encore de nombreux « théorème de Cauchy-machin » appris pendant les études en taupe(*) : inégalités de Cauchy-Schwartz, égalité de Cauchy-Riemann, théorème de Cauchy, inégalités de Cauchy… C’étaient des théorèmes fondamentaux en algèbre linéaire, en analyse et en théorie des groupes.

    (*) Dans le vocabulaire des élèves des classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques, « taupe » désigne la deuxième année après le bac, c’est-à-dire la classe de mathématiques spéciales.

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