Lazare Eloundou, directeur du patrimoine mondial de l’UNESCO, était accueilli mardi 27 mai 2025 par les élèves de terminale de spécialité d’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques (HGGSP) et leurs professeurs d’histoire, Alain Rajot et Ludovic Sot. Après sa présentation, cinq élèves ont brillamment défendu chacun un site ou un objet emblématique, en démontrant qu’ils répondaient à trois des critères nécessaires pour l’inscription au Patrimoine mondial.
Exercice théorique
La conférence s’est déroulée en deux temps. Lazare Eloundou a d’abord expliqué pourquoi il est nécessaire de protéger le patrimoine mondial. Après un bref historique, il a présenté le fonctionnement de sa direction. Et il a évoqué quelques sites et l’histoire de leur protection.
Ensuite, cinq élèves sont venus défendre ce qui justifieraient pour eux de protéger dans l’ordre, le sanctuaire de Thomas Sankara, le cimetière du père Lachaise, la Cité-jardin de la Butte rouge à Châtenay-Malabry, la Kora (un instrument de musique malien) et enfin les charentaises (voir plus de détail en fin d’article). A chaque fois, Lazare Eloundou a commenté la présentation, qu’il a manifestement trouvé de très bonne qualité.
Pourquoi le patrimoine mondial ?
Lazare Eloundou explique d’abord de quoi on parle quand on dit « patrimoine mondial de l’humanité » :
Ce sont des sites exceptionnels qui racontent l’histoire de l’humanité, créés par des gens qui étaient là avant nous. Si la tour Eiffel disparaît, c’est une partie de notre identité qui disparaît.
On protège la diversité des cultures à travers ce patrimoine mondial. On le fait parce que cela permet à chacun de savoir ce qui est beau chez les autres. Je suis émerveillé de ce que des hommes et des femmes ont réalisé par le passé.
Si je veux qu’on respecte mon histoire, ma culture, je dois apprendre à respecter et à connaître celle des autres. Pourquoi Versailles est-il au patrimoine mondial ? Parce qu’il représente une histoire, une époque de notre pays.
Un peu d’histoire
La fin de la Première Guerre mondiale a provoqué la prise de conscience de la nécessité de protéger les plus belles parties de notre patrimoine et un premier mouvement international a eu lieu en ce sens. La création de l’Unesco à Londres en 1945 va offrir un cadre à ce mouvement. Son objectif est en effet de construire une paix durable et d’unir les peuples par le dialogue des cultures et la compréhension mutuelle.
Les guerres détruisent. Ces guerres naissent dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les références de la paix.
Une première action a lieu en Égypte, au moment où Nasser décide de construire le barrage d’Assouan. Celui-ci va immerger les temples d’Abou Simbel. Une mobilisation internationale permet de mettre en œuvre le déplacement du temple. Cette première réussite encourage la création de la convention du patrimoine mondial qui est publiée le 16 novembre 1976. Progressivement, de nombreux pays vont la ratifier (196 à ce jour) en faisant la convention la plus ratifiée de nos jours.
Quelques exemples
Du 30 juin à fin décembre 2012, les islamistes des mouvements AQMI et Ansar Dine se lancent dans la destruction systématique des tombeaux des saints musulmans et des mausolées de la ville de Tombouctou. La ville est libérée en janvier 2013 par les Français de l’opération Serval. La « ville aux 333 saints » avait été inscrite au patrimoine de l’humanité en 1988. Elle était menacée par l’avancée du sable, ce qui a conduit à de premiers travaux de protection entre 1990 et 2005.
Après les destructions de 2012, une reconstruction a été entreprise sous l’égide de l’UNESCO et sous la responsabilité de Lazare Eloundou. Le responsable des destructions a été condamné pour crime de guerre.
Le cas de Mossoul n’est guère différent. Cette ville d’Irak a été largement détruite dans les combats avec l’État islamique. La seconde ville d’Irak possédait des monuments révélateurs de la diversité de sa population : musulmans, juifs, chrétiens, Yézidis. La reconstruction a porté notamment sur ces monuments, considérés comme des éléments essentiels de ce qu’était la ville.
Il n’y a pas que les guerres pour menacer le patrimoine : le réchauffement climatique est aujourd’hui devenu une menace importante, comme les catastrophes naturelles. L’orateur cite Venise et la grande barrière de corail.
On ne détaillera pas tout ici : 1 223 biens sont actuellement protégés, dont 53 en France. Leur surface cumulée atteint 3.500.000 Km²
Présentation des lycéens
La première intervenante, Laura, propose de mettre au patrimoine mondial le mausolée de quelques grands leaders africains. Elle cite les noms de Patrice Lumumba (premier Premier ministre de la République Démocratique du Congo, assassiné en 1961), Thomas Sankara (Premier ministre du Burkina Faso, assassiné en 1987) et Nelson Mandela (Afrique du Sud). Dans sa réponse, le directeur du patrimoine explique que l’architecte du mausolée de Thomas Sankara est un de ses amis.
A son tour, Clarence propose un lieu touristique majeur de Paris, le cimetière du Père Lachaise, le cimetière le plus visité au monde (3,5 millions de visiteurs par an). De nombreuses personnalités y sont inhumées. Clarence cite Jim Morrison, le chanteur des Doors, Allan Kardec, fondateur du spiritisme et Antoine Parmentier, connu pour avoir promu la pomme de terre dans l’alimentation des Français. Le cimetière est aussi un révélateur de 200 ans d’évolution de l’architecture, notamment avec l’art Déco.
Apolline propose de protéger le site de la Butte Rouge à Châtenay-Malabry, menacé d’une destruction partielle par le projet de la mairie. Cet exemple de Cité-Jardin, utopie de l’entre-deux guerres a été considéré comme un modèle par les architectes des années 70. Elle estime que c’est la cité la plus emblématique de l’architecture du XXe siècle.
Lala évoque pour sa part la Kora, un instrument de musique à cordes originaire du Mali, que l’on trouve en Afrique de l’Ouest. Génération après génération, il a fait partie de la mémoire sonore de toute une partie de l’Afrique.
Sylvain présente une proposition inattendue puisqu’il va défendre la charentaise, le chausson souvent présenté comme un symbole du petit vieux sur son canapé et devant la télé. On sent que c’est parti comme une blague de l’élève et que l’enseignant a dit « chiche ! ». Il a eu raison car son histoire n’est pas banale. La charentaise a été inventée en 1666 du côté de Rochefort, comme un chausson que l’on pouvait glisser à intérieur des sabots. La fabrication reposait sur une technique particulière de couture, demandant entre 2 et 5 ans de formation.
Il y a eu un succès très important en Europe. En 1980, la profession produisait encore 8 millions de paires par an, avec 1 300 salariés. Elle s’est effondrée depuis (on ne porte guère plus de sabots) mais il existe un musée en Dordogne.
Remarques finales
Cette conférence était doublement intéressante : par l’intervention d’un acteur majeur du processus de protection d’abord. Par le travail des lycéens ensuite, qui a permis à tous les présents de mieux comprendre ce qu’est un patrimoine collectif.
La Gazette s’est demandé comment les enseignants avaient réussi à faire venir un responsable d’aussi haut niveau de l’UNESCO. La réponse est simple : il habite dans la même ville que l’un des professeurs, le hasard des rencontres a fait le reste.