CHATENAY-MALABRY Voilà un lieu d’habitat social, classé SPR (Site patrimonial remarquable), pensé dans les années 1920, construit par tranches jusqu’aux années 1950. Un programme de rénovation profonde en cours doit relever un double défi. Protéger la créativité architecturale et urbaine qui inspira la construction de la cité-jardin. Mettre les logements et le cadre de vie en accord avec les besoins et le confort d’aujourd’hui. Pas de surprise, ce genre d’antagonisme (entre conservation et modernisation) nourrit toutes les polémiques du monde. Une bonne raison d’écouter les artisans du programme, de raconter leur démarche. De saisir leur façon de combiner des tensions paradoxales.
La question fondamentale
Emmanuelle L’huillier est architecte de la ville de Châtenay en charge du renouvellement urbain. Francis Metzger, architecte également, suit le programme de rénovation de la cité-jardin. Il dirige à Bruxelles un cabinet qui a été choisi pour son expérience en restauration de sites patrimoniaux. Tous les deux invitaient, pour exposer leur approche, à une déambulation dans la cité-jardin. Le geste et la parole. Le geste qui désigne les détails du végétal et du bâti, la parole qui raisonne et interroge. Chance, un beau soleil pas trop chaud éclairait le tout.
Dès le départ de la balade, square des Américains, dans le haut de la cité, près du bâtiment en demi-lune, Francis Metzger situe la question fondamentale à laquelle la rénovation doit répondre : « Qu’est-ce qui, ici, devant nous, fait œuvre ? » Que faut-il conserver ? Que faut-il continuer à dire ? Sachant que les bâtis ne sont pas des châteaux forts à restaurer à l’identique, ni des peintures de la Renaissance, mais un lieu où des gens vivent, où les enfants s‘amusent, où des commerces doivent prospérer. Intervenir sur le site, c’est par nature le transformer. Les immeubles ont vieilli. Plus personne ne veut habiter dans des logements sociaux conçus il y a plus de 70 ans, quand il fallait sortir les ouvriers des bidonvilles. « Ceux d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec ceux des années 30. »
La qualité et la valeur
C’est une cité « sang pour sang » HLM qui compte aujourd’hui environ 7700 habitants (les années 1920 en prévoyaient 30.000). Elle fut conçue au milieu des champs et du bois de Verrières. « Les ilots bâtis, selon un schéma urbain de « parc habité », couvraient 42 hectares des 60 de l’ensemble urbain », rappelle Emmanuelle L’huillier. Il est entouré, encerclé de végétation forestière, un paysage recréé par André Riousse en suivant les reliefs sur trois couches géologiques et 47m de dénivelé.
« Où est l’oeuvre ? » Emmanuelle L’huillier cherche à décomposer la question. Citant Delphine Girald, architecte du patrimoine, elle distingue la qualité et la valeur. La qualité est patrimoniale ; elle dit ce qui est beau. La valeur est dans l’usage. Elle dit le service attendu, la raison pour laquelle le bâtiment a été créé. Elle dit : « Ce qu’on réhabilite est une valeur ; ce qu’on veut respecter est une qualité patrimoniale. »
Pour Francis Metzger, il y eut autrefois un mélange. Le logement social n’excluait pas une volonté artistique. On voulait une architecture sanglée d’Art Nouveau. « Ce fut un travail formidable avec peu de moyens. On se permettait des détails avec des matériaux simples ». Place Simiand « fermée ouverte », « on s’est permis une subtilité incroyable » avec de grandes perspectives annoncées de formes semi-circulaires.
Vues depuis le chemin Lucien Herr
Descendre le chemin Lucien Herr, avec son escalier, sa végétation, ses jardins ouvriers, sa vue d’en haut, c’est apercevoir l’intention initiale de s’inscrire dans une composition. « On n’a jamais de vue longue, dit Emmanuelle L’huillier. Le regard s’arrête sur un pignon, un arbre. » Les bâtiments sont en quinconce. On est dans une logique de parc habité.

On s’achemine vers la place François Siniand, point central du plan de 1929. Le miroir d’eau, à sec aujourd’hui, sera conservé. On apprend qu’une rétention de l’eau de pluie sera intégrée au projet paysager pour absorber les variations. L’ensemble des arbres est préservé et deux arbres sont identifiés comme remarquables dans le cadastre vert du département des Hauts-de-Seine. La place, pour Francis Metzger, est un exemple d’intégration des arts déco avec des mosaïques. Il y voit une influence du Bauhaus, qui dans l’Allemagne des années 20, associait architecture, design et artisanat d’art.
Francis Metzger aime à s’attarder sur les couronnements de certains bâtiments, sur leurs gabarits étagés. « On a un sentiment de symétrie, alors qu’elle n’existe pas vraiment. » Il insiste sur les endroits où s’asseoir qu’a dégagés l’architecte. Rien qu’en « lisant les portes d’entrée et les cages d’escaliers, expriment ce qu’il y a dedans, laissent deviner les plans des logements. » Il a l’œil exercé.
Conserver, mais quoi ?
Emmanuelle L’huillier donne des exemples pour comprendre les invariants patrimoniaux. Elle montre les entrées de bâtiments naturellement éclairées et les escaliers en verrières. « Dans les premières tranches de construction, les circulations verticales étaient considérées comme des éléments de paysage autant que des éléments d’architecture.» Le traitement est très identifiable sur les bâtiments autour de François Simiand. Mais, il « perd de sa clarté quand nous passons côté Place Léon Blum. Ici, les cages d’escaliers sont traitées comme des fenêtres de logements, mais en décalé par rapport à elles. Elles éclairent toujours les demi-paliers, mais ont perdu leur force architecturale. La méthode de restauration cherchera à redonner du sens aux fonctions architecturales. »
Francis Metzger abonde. « Les entrées sont un travail sur les volumes d’une grande sobriété mais bien pensé. Elles ont survécu à ces 35 ans de « modernisme » qui ont abandonné le décor. Les entrées font partie de l’écriture architecturale. Comme les couronnements d’immeubles. Comme les quatre voies d’entrée, sortes de pont-levis, » et seuls accès motorisés de la cité-jardin.
La valeur
Les 4 entrées historiques sont devenues « voitures », ce qu’elles n’étaient pas autant lors de leur conception. Elles ont des volumes sobres avec maints détails à conserver. Elles marquent l’identité d’une cité, qui devra en même temps s’ouvrir, offrir une meilleure perméabilité par rapport à la ville.
Côté valeur, ce sera la rénovation sans concession sur les performances thermiques et acoustiques. Ce seront des logements toujours traversants dans la cité réhabilitée. Avec peut-être des chambres d’amis, des espaces de coworking. « Tout est ouvert », dit Emmanuelle L’huillier qui appelle à « se projeter dans les générations futures. »
On remonte vers la place Léon Blum. L’axe principal et la demi-lune sont dans le dos. Le Belvédère. On est dans la dernière tranche de construction, dans les années 50. Les bâtiments ont perdu de leur raffinement. Certains sont inclus dans le SPR parce que la succession des tranches de construction fait partie du patrimoine. Garder trace de l’évolution de la construction sociale.
Impératifs de rénovation
Mais le rêve de qualité et de valeur a son cadre. Il n’est pas en apesanteur. Un nouveau Facteur Cheval ne saurait être le maître d’ouvrage. Les OAP (orientations d’aménagement et de programmation) du PLUi protègent, bordent de tous côtés, prescrivent les 60ha.
Il y aura du logement social, de l’accession sociale et du privé. Ce seront 80% de réhabilitation et 20% de bâtiments neufs. On rénovera l’existant sauf en cas de non-pertinence patrimoniale ou de problèmes techniques incompatibles avec, par exemple, l’accessibilité des PMR.
La rénovation thermique est une exigence. Celle des années 85, avec des isolations par l’extérieur, correspondait à la connaissance du moment. Elle a masqué derrière des corniches en PVC nombre de détails architecturaux. Les gaines de distributions électriques ou de télécom passent en goulotte par les parties communes. Au lieu de cela, les enduits et les mosaïques d’origine seront restitués. Le dépôt des isolations extérieures découvrira les couleurs d’origine.

Le choix de l’isolation par l’intérieur, bien qu’elle réduise la taille des logements, découle du souhait de restructurer les typologies d’appartements. Les plateaux seront entièrement libérés ce qui, de surcroît, permettra de traiter avec les moyens modernes, les isolations thermiques mais aussi phoniques. Les planchers des rez-de-chaussée seront déposés et repris.
Au croisement des rues Eugène Varlin, Pottier, Albert Thomas, une sculpture monumentale prévue. Espérance est un bronze représentant une femme aux bras levés vers le ciel, vêtue d’un drapé. Il a été créé en 1931 lors de la conception du quartier. Il est de 3,80 de hauteur jusqu’à la tête sans les bras sur un socle de 3 m. La sculpture est pour le maire une façon de sensibiliser à l’art les jeunes, surtout ceux qui ne vont pas au musée. Et puis, il y voit un futur lieu de rendez-vous.
Reprendre les matériaux et créer des artisanats
Emmanuelle L’huillier énonce un choix fondateur du projet : « Toute matière existante doit être une matière utile. »
Le mâchefer (ce conglomérat de houille et de granulats qui faisait le béton des années 1930) sera récupéré. Les mosaïques et les faïences seront faites à partir de la matière déposée. Les parquets seront refaits en recyclant le chêne. Tout démolir pour reconstruire aurait été plus économique. C’est pourtant la décision inverse qui a été prise.
Des écoproduits seront développés avec le polystyrène liquéfié sur place et transformé en colle ou enduit par un procédé chimique. Un véritable chantier de R&D est porté par le projet, une R&D en économie circulaire avec aucun enfouissement et un retraitement complet. « 60% des déchets de la France sont des déchets de construction. »
Pour répondre à ces exigences et construire un réseau de compétences dont le quartier aura besoin dans la durée, la rue Albert Thomas accueillera des métiers d’artisanat. Des formations sont prévues avec l’IDSU. Les métiers de l’économie circulaire, la marqueterie, l’ébénisterie, les processus de déconstruction et récupération du bois, de fabrication d’écoproduits. C’est en ce sens, pour les concepteurs du projet, le pendant social, industrieux, de la cité-jardin à reconstruire.
Faire vivre l’œuvre
La rénovation d’un quartier aussi vaste que la cité-jardin représente un défi complexe, autrement dit propre à susciter toutes les controverses possibles (un sport national). Elle nécessite la collaboration de plusieurs ministères : le Logement (avec la DRIHL), la Transition écologique (avec la DRIEAT), et la Cuture (avec la DRAC pour l’aspect patrimonial).
Trois acteurs sont directement impliqués dans la construction : le territoire, la ville et le bailleur. La cité-jardin, en tant que paysage vivant, exige une réflexion approfondie sur l’aménagement des rues, des trottoirs, des bâtiments et des espaces verts. La réappropriation de la rue pour la promenade et la vie quotidienne des habitants est au cœur de cette démarche.
Le projet, initié il y a un siècle et développé sur 35 ans, exige la capacité à perpétuer la vision d’origine tout en l’adaptant aux exigences de confort et de durabilité d’aujourd’hui. Un projet de rénovation est avant tout une projection vers l’avenir, une anticipation d’une situation « qui sera ». Francis Metzger revient sur sa comparaison. La restauration d’un château ou d’une toile est de retrouver l’état originel, la rénovation d’un quartier habité doit intégrer la vie et les aspirations de ses résidents. « Être respectueux de ce qui a été fait sans avoir peur de transformer », poursuit-il. Toute la question est là.
Pour en savoir plus
Avancement du projet
L’espace projet proposera un nouveau programme place François Simiand avec des lieux de conférences et d’exposition donc qui reprend son rôle de lieu d’information.
Francis Metzger
https://fr.wikipedia.org/wiki/Francis_Metzger
Le projet

- Préfecture des Hauts-de-Seine, Classement de la Cité-Jardin située à Châtenay-Malabry au titre de site patrimonial remarquable, Enquête publique du 2 avril au 26 avril 2024
- Sur le site de la ville de Châtenay-Malabry