Appuyez sur “Entrée” pour passer au contenu

Marinette Maignan et la mélodie de l’humour

Le spectacle vivant, c’est mille choses. Et d’un souvenir on passe naturellement à un autre, on patine facilement sur le temps ou l’espace. Surtout quand on y est comédienne, metteur en scène, organisatrice d’événements et qu’on a rencontré tout ce qui se fait dans sa spécialité. Car Marinette Maignan en a une : la musique et l’humour, soyons plus précis, l’humour et la musique.

Avant de remonter le temps, situons celle qui préside depuis six ans le conseil d’administration du CAEL. Elle organise avec Martine Pilot et Francis Floury (et maintenant Gabrielle Gladieux, la nouvelle directrice du CAEL) le festival de l’humour qui se tient dans la ville depuis 30 ans et attire l’Ile-de-France joviale comme le hamster du même nom.

La Sarthe d’origine

Sa vie animée de tournées et de changements de rythmes suggère qu’elle pourrait être de partout. Mais elle est « née quelque part » comme le chantait Le Forestier, et ce fait indiscutable s’est produit à Allonnes, une proche banlieue du Mans, « une commune dortoir » dit-elle qui fournissait en main-d’œuvre les usines Renault. Son père fit partie de ceux qui y travaillèrent après avoir quitté comme tant d’autres la carrière en danger d’ouvrier agricole. La campagne est voisine d’Allonnes. Sa mère gardait des enfants. Elle a une sœur et un frère.

A l’adolescence, son terrain culturel est vierge, « ma famille ne me transmet pas spécialement de culture… à part les deux chaînes de télévision. » Tout change quand elle découvre la MJC et le Centre socioculturel d’Allonnes, deux « espaces amis » qui se complètent. Elle se voit attirée par le théâtre, attirance incertaine au début (la force magnétique dépend de la distance aux pôles), qui se transforme en appétit puis en gloutonnerie. Ses rencontres, avec les hasards qui forcément les sous-tendent, vont donner une forme. Son école de cuisine, ce fut Noirmoutier.

Le directeur de la MJC avait alors créé une formation de théâtre. Elle est jeune et déterminée, elle est acceptée. Ce seront des stages d’été à Noirmoutier durant quatre ans. Elle paiera les droits en faisant la plonge. Quatre ans d’initiation, de révélation, puis de passion. Elle y découvre des métiers. Les sonorisateurs, les acteurs, les chanteurs, les metteurs en scène. Elle rencontre ceux qui vont compter dans sa vie (il y en aura bien d’autres).

On est dans les années 1970, la période du folk français est façonnée par Malicorne, avec ses chansons traditionnelles et ses instruments anciens, Alan Stivell, apôtre de la musique celtique bretonne, ou encore Tri Yann et son insubmersible J’ai vu le loup, le renard et la belette.

Elle entrera dans la carrière

Après des études de psychomotricienne qu’elle suit à Paris, c’est le théâtre qui l’aspire et non les troubles moteurs ou sensoriels. Le théâtre du Galion à Nantes la recrute comme comédienne. Elle avait été repérée à… ce Noirmoutier fondateur qui est à Marinette Maignan ce que la Gare de Perpignan est à Salvador Dali, l’instant primal.

C’est parti pour des années à jouer des pièces du répertoire classique, des pièces pour enfants, des créations collectives. « Pendant les tournées, on montait tout nous-mêmes, des projos jusqu’aux décors ». Du 9h-24h. Et quand on ne jouait pas, on préparait les spectacles suivants. On en vivait. C’était une époque de théâtre conquérant, avec des locomotives comme Ariane Mnouchkine et son théâtre du Soleil, Jacques Nichet et le théâtre de l’Aquarium ou Jérôme Savary et le Grand Magic Circus. Des ébullitions scéniques et des créations multiformes.

Elle se marie avec le professeur de guitare qu’elle a rencontré, pas la peine de chercher, à Noirmoutier. On est entreprenant dans le couple. Son mari fonde le duo Lacombe et Asselin, lui à la contrebasse, Asselin à la mandoline. Les Employés du jazz et de l’électricité pratiquent l’humour musical. Ça marche du feu de dieu.

Sans fil

Marinette et son mari s’installent à Bourg-la-Reine et quand on a la musique dans la peau, la sociabilité suit. Ils créent une chorale dans leur immeuble (ce qui ne vient à l’idée d’à peu près personne), ils se lient avec un voisin du 3e avec qui ils fondent TSF. C’est un quartet composé d’une guitare, une contrebasse, un saxo, et de temps en temps, histoire de rigoler, un tuba. Plus tard une batterie. L’humour musical et le jazz français plaisent. Pendant quatorze ans, TSF produit spectacles, albums, plus d’un millier de représentations ; il est accueilli au théâtre de Chaillot, à l’Olympia, au Palais des Glaces, au Casino de Paris, ils passent à France Inter, FIP, ils sont invités à Bourges, à La Rochelle. Grosses tournées internationales.

Après TSF, c’est Monsieur et Madame Lacombe, dans lequel elle joue du saxo. Ils chantent aussi, le plus souvent leurs propres chansons. Après quatre ans de tournée, on est en 2000, elle décide d’arrêter la scène et de se consacrer à la mise en scène. Elle veut changer. Et puis, elle a découvert autre chose. Car pendant ces quatre ans elle faisait en même temps de la programmation au théâtre de la Pépinière, près de l’Opéra à Paris. Le music-hall du lundi, en soirée, avec des chanteurs vedettes, des « première partie », des formations musicales, des jongleurs, des acrobates, des conteurs. La totale. Tout l’univers du music-hall. Ça a duré trois ans et demi. « J’ai fini lessivée. » Mais elle y avait appris la mise en scène.  

Le festival

Et ce faisant, c’est-à-dire au même instant, à moins que ça ne soit un peu avant ou un peu après, je n’ai pas le pouvoir de condenser le CV de Marinette Maignan, l’Agoreine rénovée en 1994 ouvre ses portes l’année suivante. Le CAEL y organise des événements. La directrice en est alors Claudine Deruelle. Pour l’inauguration, elle choisit T.S.F. Elle pense à un festival d’humour, recherche des partenaires. Ici, la main du destin a montré son index (au moins). Car le choix n’a rien à voir avec le fait qu’ils habitent à BLR. Il se trouve qu’ils ont candidaté et que justement, dans l’humour, ils savent faire, ça fait des années qu’ils nagent dedans. « On démarre quand vous voulez. » Elle veut.

Simultanément ou quasi, si la programmation d’un festival prend un an, elle laisse du temps entre les prises de contact, les planifications, les choix, les refus, les modifications, les coordinations, et pendant ce temps-là, elle se lance dans la mise en scène. Ce n’est pas une reconversion. D’ailleurs, elle ne cherche pas du travail. On vient à elle. Comment ce fait-ce ? C’est que les soirées music-hall avaient fait travailler plein d’artistes. Le carnet d’adresses de Marinette Maignan est épais. Sa notoriété aussi. Elle connaît les gens, ce ne sont pas que des noms. « On me demandait. Et en deux ou trois jours de travail, on voyait si ça accrochait. »

Comment ça, accrocher ? C’est que Marinette Maignan s’est fait une spécialité particulière. Elle travaille avec des musiciens ou des chanteurs qui veulent mettre en scène leur art, y ajouter de la valeur visuelle, scénique. Ils veulent aller au-delà du concert. C’était précisément ce que faisait TSF : des chanteurs de jazz qui proposaient des spectacles avec des personnages, une sorte de théâtre musical. A l’Olympia, le groupe se produisait avec des mimes, des jongleurs.

Les deux cordes à son arc

Elle a travaillé avec des artistes comme Alain Schneider, auteur-compositeur-interprète, sur ses spectacles pour enfants qui entremêlent mélodies, textes à double lecture et… occupation de l’espace. Il y eut aussi (elle les suit toujours) Chanson Plus Bifluorée apprécié, entre autres, pour ses parodies humoristiques de classiques de la chanson française.

En parallèle (c’est dix vies ou rien), elle assure la programmation de soirées exceptionnelles dans les festivals. Et attention ! tout ne baigne pas dans l’huile. Le festival de Troyes, « quand j’en ai pris la mise en scène du GRAND CHORAL, j’ai eu les pétoches. » C’est 900 choristes ! Huit ans, autour de grands noms de la chanson, Laurent Voulzy, Renaud, Bernard Lavilliers, Eddy Mitchell, Michel Fugain, Véronique Sanson. Ça prend l’année à préparer. Un hommage à l’invité de l’année est rendu par de nombreux artistes. Autant de monde à coordonner. « Chanter avec un chœur, ce n’est pas facile. Surtout un chœur aussi énorme. » Les choristes bougent, montent en puissance ou descendent, les éclairages suivent, le chanteur n’est absolument pas dans son environnement normal. Certains n’ont pas pu. On ne cite pas, mais on sait.

Les 20 ans du festival Alors chante ! de Montauban ont fait l’objet d’un spectacle inédit, interprété par des commensaux venus du monde de la chanson francophone. C’était aussi un lieu de découvertes de jeunes artistes qui rencontraient du coup de nombreux professionnels. Les Nougaro, Cabrel, Zaz, Stromae…

Un moment émouvant tombe tout à coup dans la conversation. Je ne cherche plus à savoir si c’est avant, pendant ou après, peu importe. C’est un hommage à  Félix-Leclerc, du nom du Québécois à la voix chargée de poésie et de chaleur rugueuse. Elle y pense. Son regard se perd derrière ses lunettes rondes. C’était un souhait de Charles Aznavour.

Et maintenant, que vais-je faire ?

La programmation du festival de l’humour de Bourg-la-Reine, ce n’est pas qu’une promenade de santé. Un festival, par définition, ça se renouvelle, et les humoristes ne sont pas si faciles à trouver.   Beaucoup de choses convenues, des facilités. A Avignon chaque année, elle recherche des talents et peut voir jusqu’à quatre ou cinq spectacles par jour. Flash : elle a découvert ainsi Mr. Fraize, et pourtant, il hésitait à entrer sur scène. Elle aurait pu s’impatienter. Elle a aimé. Elle n’était pas sûre d’elle. « On a une responsabilité en tant qu’organisateur. Par rapport au public. Je prenais un risque en le choisissant. »

Elle aime Karim Duval dont l’humour joue sur le registre des langages convenus dont le sabir entrepreneurial mâtiné de « recherche de sens ». Elle aime Marion Mezadorian dans ses one-woman-shows où elle interprète différents bougres qu’elle croque à pleines dents avant de les restituer émouvants. Vous voudriez en savoir plus ?  Pas de souci. Justement, n’allez pas croire que c’est un hasard, Karim Duval et Marion Mezadorian sont invités à la 29e édition du festival de l’humour qui se tiendra du 25 janvier au 1er février 2025, à BLR. Incroyable, non ? Ils se produiront en compagnie de Fred Radix, de la compagnie Mine de rien, de Sofia Teillet, du Collectif P4, des Fills Monkey. Tout est dit ici.

Et cette 29e édition lui rappelle qu’en 30 ans elle a vécu des choses magnifiques, connu les grandes salles parisiennes, l’Olympia, le Casino de Paris, l’Alhambra, l’Européen, la Cigale, Chaillot, le Palais des Glaces. En présidant aujourd’hui le conseil d’administration du CAEL, elle a le sentiment que « la boucle est bouclée. Je redonne ce qu’on m’a donné. » Ce que la MJC de son enfance lui a fait découvrir ce dont, ado, elle n’avait pas idée et qu’elle aura adoré. En deux mots : la musique, le visuel, l’humour, le mélange des trois, la passion avide de tous leurs métiers. Elle est dans la cohérence et l’incohérence, en même temps, dans la combinaison. Dans des spectacles musicaux aux textes décalés légers et amusants sur des mélodies festives inspirées de pop, de rock, de traditionnel ou de classique, peu importe, l’important est le sketch, la parodie, la performance scénique, et (l’essentiel) faire rire le public tout en célébrant la musique.


A lire également

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *