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Étienne Recoing, souvenirs de proviseur

En retraite à partir du premier septembre 2024, le désormais ancien proviseur de Marie-Curie a fait pour la Gazette un retour sur sa carrière. Comme enseignant puis en direction d’établissement. L’occasion aussi d’exprimer ce qui lui a paru essentiel dans ce dernier rôle. Et de faire comprendre à quel point les assassinats d’enseignants ont touché la communauté éducative.

Une formation en histoire

Originaire d’une famille d’agriculteurs de la Drôme, le jeune Étienne passe un bac littéraire (latin et grec) puis entame des études littéraires à Lyon 2. Il passe une double licence d’histoire et de géographie (il se passionne pour les deux matières), puis une maîtrise d’histoire contemporaine. Son travail de maitrise porte sur les Républiques italiennes du XIIIe au XIXe, à partir de l’œuvre de Jean-Charles Sismondi. Au lycée comme à l’université, le plaisir intellectuel est d’autant plus important qu’il peut travailler avec des professeurs de grande qualité.

Professeur

Il choisit de « donner à l’école ce qu’elle m’a donné » en passant le CAPES. Il enseigne un an au lycée Juliette Récamier à Lyon, puis rejoint la région parisienne où son épouse travaille.

Il passe deux ans au collège Gustave Courbet à Trappes. Il y trouve une collectivité éducative remarquable, dont il dit qu’elle l’a construit. Ce seront ensuite Conflans et Garches, pour un total de 13 ans d’enseignement.

A Garches, son principal en fin de carrière l’encourage à passer le concours de personnel de direction. Malgré ce soutien, il met 4 ans à se décider.

Direction

En 2000,  il passe et réussit le concours de personnel de direction. Souhaitant travailler en cité scolaire (collège avec lycée), il demande et obtient François Rabelais à Meudon, dont il devient principal adjoint. La proviseure est revenue de Singapour depuis un an, elle a une vision beaucoup plus large que dans un lycée classique. En particulier, elle développe beaucoup la pédagogie de projet.

En plus des projets et de la pédagogie, elle a un esprit très ouvert sur la culture. Il n’y a pas que les examens, dans son établissement. De nombreuses autres choses peuvent développer un élève.

Après 4 ans avec cette proviseure hors normes, Étienne Recoing participe à l’ouverture du collège François Truffaut à Asnières. Tout est à construire, on part d’une page blanche. La première année, le collège n’est pas fini et les élèves sont répartis sur 3 établissements. Une expérience très riche, très différente de celle de Meudon, mais tout autant occasion d’apprendre. L’importance des méthodes, de la structuration et des habitudes de travail.

Il est ensuite proviseur de Montesquieu au Plessis-Robinson, le plus petit lycée polyvalent des Hauts-de-Seine. Un lycée qui connaissait des problèmes et qu’il a fallu redynamiser. Cela a pu se faire grâce à une nouvelle adjointe, un nouveau CPE et en redonnant aux professeurs l’envie d’y travailler.

Rôle du personnel de direction

Parmi le personnel de direction, on trouve deux profils : ceux qui sont très dans la gestion des choses, des process, des RH et ceux qui sont plutôt dans le pilotage et les projets.

Étienne Recoing a eu la chance que ses deux premières expériences lui ont permis d’endosser ces deux profils, même si c’est le deuxième qui le passionne le plus. Il observe qu’il faut savoir faire évoluer les processus en fonction des membres de l’équipe.

Argenteuil

Nouvelle affectation à Argenteuil, au lycée Julie-Victoire Daubié. Celui-ci vient d’être reconstruit après sa destruction. Avec 900 élèves environ, il accueille des élèves de plusieurs quartiers, sociologiquement assez différents. L’enjeu est de développer une attractivité pour le lycée, quel que soit le milieu d’origine des élèves. Ce qui sera réussi, grâce à une communauté éducative engagée, une dynamique collective très forte. Pour le proviseur, ce sont 6 années heureuses.

Les attentats de 2015

Il est à Sciences Po avec d’autres proviseurs et sort d’un séminaire quand il est prévenu des attentats de Charlie Hebdo. Avec son équipe, il se demande ce qui va se passer dans l’établissement qui compte environ 1/3 de jeunes musulmans, mais qui n’a jamais eu de problème de laïcité. Et qui se situe à proximité de la plus grande mosquée d’Europe.

Finalement, cela se passe bien. Ce qui a permis de tenir, c’était que tout le quotidien démontre que le lycée est un espace républicain où tout le monde a sa place.

Assassinat de Dominique Bernard

En 2023, l’assassinat de Dominique Bernard crée une ambiance très pesante en salle des profs de la Cité scolaire Marie-Curie. Il vient 3 ans après celui de Samuel Paty. Mais, alors que dans ce dernier cas, le meurtrier ne connaissait pas la victime, c’est ici un ancien élève qui choisit de tuer son professeur. Est-ce que cela signe un échec de la communauté éducative ?

Le principe du système éducatif est celui de la liberté de conscience. L’équipe éducative fait au mieux, au risque d’en payer le prix : le libre arbitre peut aussi donner envie de voies plus sombres.

Dans ce rassemblement de professeurs, domine le sentiment d’une remise en cause de la capacité à inculquer des valeurs. Sentiment partagé par Étienne Recoing, lui aussi très perturbé.

Comment parler aux élèves ? Ici, cela ne peut pas rester l’apanage des professeurs d’histoire géographie. Tout le monde doit pouvoir parler de son engagement d’enseignant. Parler de son métier, de ce qui a amené à le choisir et aujourd’hui à le poursuivre, quelle que soit l’étape de sa carrière.

C’est ce que le proviseur dit aux élèves qu’il rencontre : il n’a pas choisi de vendre des composants électroniques, mais de travailler avec des humains pour les aider à devenir des adultes responsables.

Les enseignants sont partis là-dessus.

Beaucoup d’élèves étaient très émus de ce qui s’était passé. C’était l’occasion pour les professeurs de dire en quoi ces assassinats étaient insupportables et de dire aux élèves qu’ils étaient là pour eux.

Pour Samuel Paty, Robert Badinter avait fait une vidéo de 3 minutes qu’Étienne Recoing a lue aux élèves. L’ancien ministre , homme d’une grande hauteur intellectuelle a la capacité de rendre compréhensibles des choses très complexes et de les transmettre à des personnes très diverses.

Quelle éducation ?

En faisant avec la Gazette un retour sur son parcours très riche, Étienne Recoing note qu’il a eu la chance de rencontrer des gens tout à fait exceptionnels, avec qui il a beaucoup aimé travailler.

En quatre décennies, la société a évolué. Une évolution qui rend de plus en plus difficile pour les parents de trouver le bon positionnement. Il en est de même pour l’Éducation nationale qui n’est plus « au centre du village », mais qui doit composer avec de nombreux fournisseurs de connaissances. Il y a des youtubeurs qui font de super cours de mathématiques, pourquoi aller en cours ?

L’autorité parentale est concurrencée de la même manière. C’est particulier et cela demande d’être vigilant.

Il y a de plus en plus de parents qui n’osent pas rentrer en conflit avec leurs enfants, qui sont dans une espèce de recherche du consensus mou. Il y a aussi des parents qui prennent pour parole d’or ce que disent leurs enfants (c’est ce qui s’est passé avec Samuel Paty). La confiance n’exclut pas le contrôle.

« Je dis aux parents : s’il y a un problème, venez chercher les informations auprès du lycée « . On est en coresponsabilité éducative avec les parents et les jeunes peuvent se retrouver en conflit de loyauté entre leurs parents et le lycée. 

« Le plus important, c’est d’éduquer ses enfants à l’exercice de la liberté, qu’il aboutisse à l’épanouissement. »

Dans une lettre aux élèves et aux parents à la fin de l’année scolaire, Étienne Recoing a fait un bilan des années passées à Marie-Curie.

A lire aussi : Avec le proviseur de Marie-Curie et Regards sur Marie-Curie avec son proviseur

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