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Réflexions sur la dissolution

NOTES DE LECTURE Au soir des Européennes, la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale a d’abord surpris. Quelques jours plus tard, les commentateurs ont été plus loin dans l’analyse des mécanismes qui ont conduit à la dissolution. Une analyse qui conduit à la question: le mode de scrutin majoritaire par circonscription est-il encore adapté ?

Telos

Le présent article s’appuie notamment sur plusieurs articles publiés sur Telos.  Cette revue numérique se veut un espace de réflexion et de débat. Elle publie des articles d’intellectuels (universitaires ou professionnels). Sans être affiliée à aucun parti ni institution, elle est d’inspiration réformiste.

Dissolution, une décision dangereuse

C’est le titre de l’article publié lundi 10 juin, juste après la décision d’Emmanuel Macron. Il est signé de Gérard Grunberg, politologue, directeur de recherche émérite au CNRS qui préside actuellement la revue. Il est clair qu’il n’approuve pas la décision du président :

La décision du président de dissoudre l’Assemblée nationale … est stupéfiante et dangereuse. Certes, dans cette nouvelle situation politique, gouverner serait devenu de toute manière pour lui extrêmement difficile au cours des trois années qui nous séparent de la prochaine élection présidentielle. Mais n’y avait-il pas d’autres solutions ? Celle choisie par le président me paraît en tout cas la pire possible pour notre pays comme pour l’Union européenne.

L’auteur estime qu’Emmanuel Macron a eu le tort de s’investir dans la campagne des Européennes et fait « une erreur capitale » en nationalisant le résultat. Il note que si la cohabitation entre Jacques Chirac et Lionel Jospin a pu fonctionner, c’est qu’il n’y avait pas entre eux de désaccords fondamentaux sur la politique étrangère. Cela ne serait pas le cas demain si Bardella devient Premier ministre.

Une clarification nécessaire

Quelques jours plus tard, toujours sur Telos, deux autres auteurs, Gilbert Cette et Monique Dagnaud, vont dans un sens différent, en essayant de comprendre ce qui a motivé la décision du président :

Depuis des mois, tout aura été tenté pour élargir la majorité et ce sans résultat alors que sur plusieurs textes, des compromis ont été possibles. On peine à imaginer ce qu’auraient été les trois années restantes du mandat d’Emmanuel Macron dans le chaos général qu’est devenue l’Assemblée nationale et, au-delà du débat politique, dans la rue. Ce chaos aurait été amplifié encore après les élections européennes, par un permanent procès en légitimité…

Emmanuel Macron n’avait donc pas vraiment le choix, sauf à accepter de faire du surplace, le dos rond, esquiver les coups, essuyer sans doute beaucoup de motions de censure, être mis dans l’impossibilité de voter le budget et les autres textes sans recourir encore et toujours au 49.3, avec le risque effectif d’une censure…

Pour abattre Emmanuel Macron, tous les moyens sont utilisés : la rue, le conflit permanent, l’indignation ou le n’importe quoi dans les commentaires, etc. Le retour aux urnes était la seule solution, l’expression de la volonté du peuple : telle est la noble règle des démocraties.

Les auteurs examinent ensuite les chances d’un élargissement de la majorité sortante, du côté de LR et du côté du PS. Ils notent qu’Éric Ciotti n’a pas été suivi dans son ralliement au RN et que le PS a renouvelé l’alliance avec LFI, alors que Raphaël Glücksman a martelé le contraire pendant toute sa campagne. On comprend à leur conclusion que la clarification qu’ils appellent de leurs vœux a plus de chances de venir des électeurs que des partis.

Le contexte de la dissolution

Les élections du 12 et du 19 juin 2022 débouchent sur l’absence de majorité absolue pour un camp, pour la première fois depuis 1988.

Avec 250 sièges, les partisans du président de la République et leurs apparentés sont nettement les plus nombreux, mais il leur manque 39 sièges pour avoir la majorité absolue. 

Le groupe LIOT qui compte 22 députés est un rassemblement assez hétéroclite de députés qui se regroupent pour éviter les inconvénients du statut de non-inscrit. La majorité de ses députés votent la plupart du temps avec le gouvernement, mais le groupe déposera une motion de censure en mars 2023. Il paraît impossible de conclure un accord de gouvernement stable avec ce groupe.

A gauche, ni le PS ni les écologistes ne sont assez suffisamment nombreux seuls pour apporter au gouvernement les députés nécessaires à une majorité absolue. Ils le sont ensemble avec 52 élus. Mais ils ont été élus dans le cadre de la NUPES : leur position est beaucoup trop fragile pour qu’ils prennent le risque de s’allier avec le gouvernement…si tant est qu’ils en aient jamais eu l’intention !

Reste les Républicains : ils sont 61, suffisamment pour assurer une majorité nette en cas d’alliance. De plus, leur place prééminente au Sénat faciliterait largement le vote des lois.

Pour diverses raisons, le groupe refuse une telle alliance. Il est probable que ses membres sont divisés sur le sujet. A contrario, leur élection est fragile et ils ne tiennent pas vraiment à de nouvelles élections prématurées. Ils ne votent donc pas (du moins la majorité d’entre eux) les différentes motions de censure engendrées par les 49.3 que la situation oblige le gouvernement à utiliser. Mais les compromis nécessaires entre la majorité et les Républicains ne se font qu’assez peu à l’Assemblée nationale. Plutôt dans les allers-retours entre l’Assemble nationale et le Sénat.

Tout cela réinterroge le mode de scrutin actuel, majoritaire à deux tours par circonscription.  On reproche à celui-ci de ne pas bien représenter le peuple, contrairement à la proportionnelle. Mais il a permis, depuis l’instauration de la Vème République, d’assurer à la fois l’alternance (entre les deux blocs de droite et de gauche) et de donner au gagnant les moyens de gouverner. La question de la proportionnelle reste malgré tout posée.

Oui à la proportionnelle, mais laquelle?

C’est le titre d’un article écrit par Gérard Grunberg et publié le 10 mai. Il retoque d’abord une proposition issue de Renaissance d’intégrer une part de proportionnelle au scrutin, avant d’expliquer :

La qualité traditionnellement reconnue au mode de scrutin majoritaire à deux tours comme garantissant la stabilité gouvernementale doit être réexaminée dans la situation actuelle… Depuis le début de la Ve République, ce mode de scrutin a toujours produit des majorités absolues à l’Assemblée à la seule exception de la période 1988-1995. Aux élections de 2022, il n’a pas produit une telle majorité, le gouvernement étant continument placé sous la menace d’une motion de censure…

Le mode de scrutin majoritaire à deux tours n’a pu produire jadis des majorités parlementaires stables que parce que la bipolarisation politique lui donnait son efficacité et permettait l’alternance de la droite et de la gauche au pouvoir. L’éclatement du système partisan bipolarisé en 2017 et son remplacement par un système multipolaire empêchant dans la situation actuelle toute formation de coalitions partisanes lui a ôté les qualités qu’il possédait depuis le début de la Ve République…

Il nous faut donc revenir à … un scrutin proportionnel intégral. Dans la situation actuelle caractérisée par la fragmentation du système partisan, il …redonnerait aux partis politiques une pleine autonomie stratégique. Celle-ci leur permettrait d’échapper à la dure loi du système majoritaire qui les pousse, pour faire élire des députés, à s’allier avec des partis avec lesquels ils ont des désaccords suffisamment importants pour les empêcher de gouverner dans la durée. Ce mode de scrutin leur permettait de faire campagne sur leur propre programme, puis, en fonction des résultats des élections, d’entamer des discussions avec d’autres organisations qui ne seraient plus d’abord centrées sur la répartition des candidatures, mais sur la formation de coalitions gouvernementales, les compromis passés étant publics.

On comprend que cela remettrait en cause la manière dont la fonction présidentielle est vécue dans la Vème République.

Et demain ?

En attendant un éventuel changement du mode de scrutin, les législatives de 2024 peuvent déboucher sur une cohabitation difficile (si le RN ou le Nouveau Front Populaire l’emportent), une victoire du centre (qui serait une surprise au regard du résultat des européennes) ou sur une Assemblée sans majorité claire…

A lire : Quelques réflexions politiques

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