Après un article général sur la décarbonation et un autre sur les actions dans l’industrie, le présent article va aborder les émissions de méthane (CH4). Celui-ci est responsable d’environ un tiers du réchauffement climatique. Une initiative occidentale vise à en diminuer de 30% les émissions à l’échelle mondiale d’ici 2030. La COP 28 a aussi été l’occasion d’engagements des entreprises pétrolières sur le sujet.
De quoi parle-t-on ?
Le méthane est un gaz à effet de serre plus puissant que le CO2. Pour une même quantité, son effet est 28 fois plus élevé. Il est en général précisé « sur un horizon de 100 ans ».
Pourquoi cette précision ? Parce que le méthane disparait naturellement dans l’atmosphère. Il se transforme par réaction avec le radical 0H. Naturellement mais lentement : on considère qu’il a entièrement disparu en 100 ans. Son effet est donc majeur les premières années de son émission, puis diminue progressivement. Sur 20 ans, le potentiel de réchauffement planétaire du méthane sur 20 ans est 84 fois celui du CO2.
On a là une différence majeure avec le CO2. Si les émissions nettes de CO2 deviennent nulles, la température mondiale ne baissera pas, parce que la concentration dans l’atmosphère persistera au niveau atteint. Si les émissions nettes de CH4 deviennent nulles, la température mondiale baissera, parce que la concentration dans l’atmosphère du CH4 diminuera.
Les concentrations mondiales de méthane ont été multipliées par 2,6 depuis l’époque préindustrielle. Elles sont passées de 722 parties par milliard (ppb)vers 1700 à 1895 ppb en 2021 (Wikipedia), et 1912 ppb en 2022.
Charte de décarbonation entre les pétroliers
On l’a vu dans l’article précédent, la production et la distribution de pétrole et de gaz s’accompagnent d’émissions importantes de GES. Les producteurs de gaz et de pétrole l’ont bien compris. La population fermera les yeux sur les émissions du scope 3, pour lesquelles elle a une responsabilité majeure. Pas sur les émissions des scopes 1 et 2 qui sont uniquement de la responsabilité des pétroliers et gaaziers. La COP 28 se déroulant à Dubaï, la présidence de la COP28 et le Royaume d’Arabie Saoudite ont proposé aux compagnies pétrolières une charte de décarbonation des activités de pétrole et de gaz. Celle vise les émissions des scopes 1 et 2. Les signataires se sont engagés à atteindre des opérations nettes zéro d’ici 2050 au plus tard, à mettre fin au torchage de routine d’ici 2030 et à des émissions de méthane en amont proches de zéro.
Le cas de Total
Total n’avait pas attendu cette charte pour agir. Dans son rapport sur l’année 2022, on pouvait lire :
TotalEnergies a rendu public début 2019 son objectif de réduction en 2030 d’au moins 40 % par rapport à 2015 des émissions nettes Scope 1+2 de ses activités opérées. Au périmètre de 2015 relatifs à nos activités pétrolières et gazières, les émissions de nos actifs opérés ont baissé de plus de 29 % par rapport à 2015, passant de 46 à 33 Mt CO2e en 2022. En 2022, la concrétisation de plus de 110 projets de réduction d’émissions de GES a permis une diminution de 0,8 Mt CO2e sur nos actifs opérés.
Le résultat de 2022 a dû sembler trop faible :
« En septembre 2022, la Compagnie a décidé de lancer un plan d’un milliard de dollars US d’accélération de nos efforts en matière d’efficacité énergétique sur deux ans dont l’objectif est d’économiser près de 2 Mt CO2e essentiellement sur le périmètre pétrolier et gazier. »
Rappelons que les émissions de scope 1 et 2 sont celles liées au processus sous le contrôle de Total. La référence change en 2023.Dans le communiqué du 7 février 2024, l’année de référence devient 2020. Compte tenu des progrès réalisés entre 2015 et 2020, l’objectif devient plus ambitieux. Il s’agit de diminuer de 40 % les émissions entre 2020 et 2030. Il est vrai que les résultats constatés pour 2023 autorisent cette ambition. Les émissions scope 1+2 ont en effet baissé en 1 an de 13% (et même de 22% sur le seul 4e trimestre), soit une baisse de 7,2Mt de CO2e sur un an (pour une activité mondiale, il faut le rappeler).
Les émissions de méthane sont en baisse de 19% sur les installations opérées (celles où Total est responsable opérationnel). Elles sont passées de 42 à 34 kt de CH4.
On parle ici en kt et non plus en Mt. Cela peut paraitre faible si on oublie que le méthane a un effet de serre 28 fois plus élevé que le CO2.
Ce que Total est en train de faire, d’autres pétroliers et gaziers peuvent le faire.
D’où vient le méthane émis ?
On a tendance à penser élevage quand on parle des émissions de méthane, mais en 2023 les émissions liées aux activités « pétrole et gaz » ont émis un peu plus de méthane (1723 vs 1626 Mt CO2e) que l’ensemble du biogaz, qui comprend les émissions liées au bétail, aux autres activités agricoles dont le riz, aux décharges et aux eaux usées.
La plupart des solutions à bas coût pour réduire les émissions de méthane se trouvent dans les industries extractives, comme la réparation des fuites des canalisations de gaz, la limitation des torchères des puits de pétrole et des mines de charbon ou encore l’installation de dispositifs de capture du méthane permettant sa revente ou une utilisation ultérieure.
L’AIE estime qu’environ 70% des émissions de CH4 liées aux activités du secteur de l’énergie pourraient être réduites. En effet, la réduction des émissions de CH4 dans l’industrie pétrolière et gazière a un très bon rapport coût-efficacité. Sur la base du prix moyen du gaz naturel sur la période 2017-2021, environ 40% des émissions de CH4 de ce secteur pourraient être évitées à un coût net nul car le coût de la mise en œuvre des mesures de réduction est plus faible que la valeur marchande du gaz supplémentaire récupéré des fuites.
Initiative méthane globale
En 2004, les pays européens et les États-Unis ont lancé la Global Méthane Initiative (GMI). Celle-ci compte aujourd’hui 155 pays.
Le site avance aujourd’hui qu’une « action rapide sur le méthane pour maintenir un avenir à 1,5°C est à portée de main ».
L’objectif est de réduire de 30% les émissions mondiales de méthane à l’horizon 2030. La page du site détaille les financements et engagements qui devraient permettre ce résultat.
Le programme vise les émissions liées à la production de gaz, de pétrole, de charbon ainsi que le biogaz.
Une autre initiative contribue à l’objectif de réduction des émissions. Elle vient cette fois des Nations Unies. Il s’agit de l’observatoire international des émissions de méthane. S’appuyant sur trois satellites, il fournit en temps réel des données précieuses sur les fuites de méthane.
Le site affiche ainsi comment, en Argentine, une fuite a été stoppée après une observation par satellite.
L’avenir dira si les objectifs ambitieux affichés aujourd’hui seront atteints.
Le prochain article traitera un autre aspect de la lutte contre les émissions des GES: la moindre consommation d’énergie vue sous l’angle de l’isolation des bâtiments.
Merci pour le lien vers ce beau reportage.
D’où vient le méthane émis ?
Il semblerait, aux dernières nouvelles qu’il faudrait considérer, en toute première urgence, la fonte du pergélisol (ou encore permafrost chez les Anglo-Saxons).
Cela était déjà signalé en 2021 (https://www.insu.cnrs.fr/fr/pergelisol-et-changement-climatique), le GIEC ne faisant part que d’une inquiétude modérée à cette date.
Depuis, les scientifiques ont continué à faire des mesures et leurs conclusions sont en train d’évoluer.
Une belle vidéo du CNRS sur le pergélisol et sa fonte en Alaska
https://lejournal.cnrs.fr/videos/alaska-le-sol-se-derobe