Le Parisien dans son édition du 18 novembre 2023 consacrait un dossier au sort des piétons à Paris. Si la capitale par maints aspects est unique, la question de la sécurité des piétons reste fondamentalement la même que dans des villes de taille plus modeste. Quels risques pèsent sur la marche à pied en ville et quelle place lui réserve-t-on dans un contexte où vélos et voitures sont le plus souvent priorisés ? Pauline Darvey et Cécile Beaulieu ont choisi pour leur article un titre éloquent : Et si maintenant on s’occupait des piétons ?
Redonner priorité à la marche en ville
Les deux journalistes dressent un tableau plutôt maussade de l’attractivité pédestre de Paris. Dans « un classement réalisé par le collectif Place aux piétons, les 1.298 personnes interrogées à Paris sur sa marchabilité lui donnaient 6,5 sur 20 en sentiment général ». Parmi les raisons de ce ressenti négatif, se trouve en bonne position la relation avec les cyclistes. Leur nombre a explosé en peu d’années et les pratiques peu civiles envers les piétons se sont multipliées : non-respect des feux rouges, circulation sur les trottoirs ou dans les zones piétonnes. A tel point que Paris a budgété un plan piéton conséquent pour « remettre le piéton au centre de la ville. » C’est dire.
Mais le rapport aux cyclistes n’est pas le seul facteur d’insécurité. L’article cite Christian Machu, secrétaire général de 60 millions de piétons qui mentionne 1099 piétons blessés à Paris en 2022 (*), essentiellement par des voitures. On obtient un contexte particulièrement anxiogène et, du moins, bien éloigné de l’apaisement qu’on pourrait souhaiter pour la marche à pied.
Le site de 60 millions de piétons rappelle qu’une aire piétonne est par définition … réservée aux piétons ! L’association réclame que les vélos et les EDPM (Engin de Déplacement Personnel Motorisé) y circulent au pas. Ce qui revient pour elle à mettre pied à terre. Elle observe que trop souvent on y roule à 20km/h et au-delà.
Ces problèmes de cohabitation vélos-piétons ne sont pas seulement relevés par des associations comme 60 millions de piétons. Dans le même numéro du Parisien, un entretien avec David Belliard, adjoint aux Transports de la ville de Paris, montre que le problème est bien identifié. L’explosion depuis 10 ans de la pratique cycliste a créé des conditions nouvelles. « C’est la raison pour laquelle nous avons fait voter un Code de la rue, avec 50 mesures pour améliorer la sécurité et le respect de la priorité due aux piétons. Nous nous sommes aussi engagés dans ce cadre à renforcer le contrôle et la verbalisation des contrevenants. » Il faudra bien mettre un peu d’ordre. Logique.
Place De Gaulle à Sceaux
Mais ne nous cachons pas qu’il y a souvent compétition. La voirie est une ressource limitée et les candidats sont multiples. Prenons l’exemple de la ville de Sceaux et de son projet de refonte de la place Charles de Gaulle. Celle-ci est dans la continuité d’une rue piétonne très achalandée et très fréquentée. Le projet se propose d’étendre la qualité piétonne sur la place, de marquer l’ensemble du sceau de la marche à pied. Réduction de l’espace pour les véhicules, application évidemment du 30km/h et extension très significative des trottoirs.
On ne s’étonnera pas de voir ce choix contesté par des associations de vélo qui le voient comme inacceptable. Le développement de la pratique du vélo réclame à leurs yeux des pistes réservées. On aurait donc sur cette place, en fait sur le rond-point, des flux voitures, des flux vélos séparés et un espace piéton. Ce seraient trois flux qui se jouxtent et s’entrecroisent dans un lieu historique qui n’a pas été conçu pour. C’est compliqué.
L’intérêt du point de vue vélo est de prendre place dans le paysage urbain et, mieux, sur une départementale à fort débit. Au contraire, le projet municipal consiste à étendre le profil piétonnier qui fait aujourd’hui l’attractivité de la rue Houdan. Les deux visions s’opposent en ce sens que la première (le vélo) est orientée trafic, flux, tandis que la seconde est orientée déambulation. La première s’inscrit dans le « multimodal » avec une part accrue du vélo dans la mobilité, la seconde voudrait étendre l’attractivité de la ville.
Si la pratique du vélo ne s’oppose absolument pas à celle de la marche, on voit bien que ce type de choix a partie liée avec le regard que l’on porte sur un lieu, son rôle, son inscription dans un quartier.
La place centrale des quartiers
La transition vers la « ville bas carbone » s’est imposée comme une nécessité face au changement de contexte climatique. La question est dès lors d’adapter la ville aux nouvelles exigences. Le soutien à la voiture a créé des dépendances et « des comportements collectifs qui ne correspondent plus à nos ressources. […] Si la mobilité individuelle motorisée bénéficie encore de peu d’alternatives dans les zones d’habitat dispersé, il est possible, a contrario, dans les secteurs plus denses, de développer d’autres modes de vie et de déplacement moins consommateurs d’espace et de ressources. »
C’est en ces termes que s’exprime Rue de l’Avenir, une association qui intervient auprès des pouvoirs publics pour défendre et aider à concevoir une ville pour le bien-être de tous, disponible pour la pratique des mobilités actives et le renforcement des transports collectifs, réduire les pollutions et nuisances. Un document en ligne, Ville apaisée, quartiers à vivre, affiche une conviction (parmi d’autres) : le rôle central des quartiers.
La mobilité est intimement liée à la proximité des services et, d’une façon générale, on repère un quartier par le fait qu’on y trouve de quoi satisfaire une grande part des besoins quotidiens. Encore fait-il que les parcours soient aisés et sûrs.
Pour Rue de l’Avenir, « l’attention doit être portée aux carrefours et aux stations de transport collectif où chacun doit bénéficier du même confort et de la même sécurité. » Dans une approche semblable du bien-être, « des espaces publics [doivent être] plantés chaque fois que c’est possible pour lutter contre le changement climatique et anticiper ses effets. » La vision est complétée de recommandations d’ombrage par des objets architecturaux (arcades, auvents, ombrières) et de sols perméables pour alimenter les nappes phréatiques.
Surtout peut-être, car symbolique en peu de mots de ce que devrait être un quartier « apaisé », est la Rue aux enfants. « Des rues où on est en sécurité, où on peut laisser les enfants aller seuls à l’école à pied ou à vélo, où on met en place des actions spécifiques pour leur appropriation de l’espace public et augmenter leur activité physique (rue scolaire, rue aux enfants, rue libre, jeux, terrains de sports, etc.). » Ça fait rêver. Des progrès vont dans ce sens. A Bourg-la-Reine, à Sceaux, dans sûrement d’autres villes, on voit s’affirmer ce besoin de libération de la rue vis-à-vis des menaces d’accident. Avec l’espoir d’en faire un lieu de rencontre autour, justement, de la présence des enfants.
Le sort des piétons est plus que solidaire du sort des quartiers.
(*) Pour des statistiques précises sur les accidents, on pourra consulter l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière.
Un peu courte ma première réaction.
Cette réflexion sur la coexistence des piétons et des cyclistes est pertinente. Surtout pour les piétons. Elle vaut la peine de s’y attarder.
Je désire mettre l’accent sur la situation des piétons parmi lesquels se trouvent désormais de très nombreuses vieilles personnes dont les performances physiques se dégradent de jour en jour. Moins d’équilibre, muscles lents et moins nerveux, difficultés à se rattraper en cas d’écart involontaire, etc. Tous ceux qui vivent ces difficultés s’y reconnaîtront. Au train ou va l’espérance de vie, les plus jeunes qui font le monde à l’aune de leurs envies les vivront sans doute plus tard.
Ces piétonnes et piétons, dont je fais partie, doivent dire leur crainte d’aller dans ces espaces partagés où plus aucun lieu ne leur paraît sûr. Marcher sur un trottoir demande une attention de tous les instants, traverser une rue – même dans les passages prévus à cette fin – est une aventure où la peur s’installe jusqu’à devenir obsessionnelle. Ne croyez pas, lecteurs encore jeunes, que je me laisse submerger ici par une vague de paranoïa incontrôlée. Ou alors, c’est le cas de tous les vieux qui m’entourent. Non, non. C’est une angoisse quotidienne qu’il nous faut affronter.
On m’en parle.
Certaine vous dira même qu’elle est terrorisée : « Si je tombe, je suis morte ! »
Qui dit terreur dit terroriste. Un peu trop fort par ces temps de grande violence ?
Merci pour cette analyse.
Hélène Loup
Merci Gerard pour cet article qui expose bien la difficulté des piétons quand les pistes cyclables indépendantes ne sont pas réalisées pour les protéger.
Deux remarques:
Concernant la place de Gaulle. La où profitant du réaménagement de cet espace, il aurait été possible d’élargir la voirie pour permettre de faire des pistes cyclables sécurisées protégeant tous les usagers, c’est un autre choix qui a été fait par la ville. Ces choix n’ont pas été guidés par des contraintes patrimoniales puisque tous les anciens bâtiments, seront démolis sur la rue Houdan.
La réduction de la voirie telle que l’on peut déjà l’observer sur l’aménagement « transitoire » du carrefour se fait au détriment des pistes cyclables et par conséquent des piétons, au profit d’une densification sur l’espace libéré par la destruction de ces bâtiments et l’acquisition auprès du département, de surfaces de voirie. Ce dernier point n’est pas acquis, le département bloquant la vente du terrain au promoteur en ne cédant pas ces surfaces de voirie, possiblement parce que ce projet contrevient à la continuité cyclable voulue par le département et à la loi LOM, qui oblige de réaliser des pistes cyclables lorsque la voirie est modifiée.
Un autre choix d’aménagement aurait pu (du) être fait, prolongation de la rue Houdan piétonne, moindre densification, meilleure végétalisation et création de pistes cyclables sécurisées sur un carrefour où passent plus de 10000 véhicules jour dans les 2 sens.
Concernant la première « rue école » ou « dispositif Mobili’kids » sur l’allée de Trévise jouxtant l’école du Petit-Chambord. Il s’agit de limiter la circulation automobile pour permettre aux enfants de se rendre à l’école de manière autonome dans un environnement pacifié, en privilégiant les mobilités douces, marche, vélo, trottinette…
Cette expérimentation n’a de sens que si les enfants, encouragés à circuler à vélo, peuvent également le faire sur des axes cyclables sécurisés de leurs domiciles à la rue de Trévise.
C’est donc une vraie politique d’aménagement cyclable de la ville qui doit être élaborée pour sécuriser chaque usager quelque soit son mode de déplacement.
C’est Maurice le rédacteur de cet article !