Je vais raconter une histoire telle que je l’ai vécue. Elle n’est pas flatteuse pour moi ; mais je tiens à la partager pour inviter à la prudence et à la vigilance.
Un samedi matin, il y a quelques mois, je me rends à la boutique So-créatif pour récupérer les encadrements commandés qui m’avaient été annoncés prêts. Je suis monté à Sceaux en voiture, l’un d’eux étant assez encombrant. Je récupère mes cadres et, presque arrivé à ma voiture, je suis abordé par un monsieur qui se dit embarrassé. Il n’arrive pas bien à débrouiller les affaires d’un jeune homme étranger qui lui a demandé son aide pour un échange téléphonique qu’il a du mal à suivre. Il est pressé et me tend l’appareil en espérant que je puisse comprendre. Comment refuser un si simple service.
Je dépose mes cadres dans la voiture que je ferme à clé. L’étranger me parle par bribes et avec un fort accent indéfinissable mêlé d’américain. Sa voiture est en panne, il est perdu. Un dépanneur est en ligne ; il demande de le localiser. J’ai un a priori favorable pour les étrangers en peine, car c’est une expérience que j’ai déjà vécue moi-même et, merci à elles, j’ai toujours trouvé une âme charitable pour me sortir d’embarras. Dans ce cas, je deviens hypercrédule. Je pense que j’en tire une satisfaction personnelle à jouer les bons samaritains car, lorsque ça m’arrive, j’en parle volontiers autour de moi.
Je prends le téléphone qu’il me tend et j’entends une voix d’homme (du genre parisien ou banlieusard) qui m’explique qu’il a été appelé pour dépannage. Il a besoin de l’adresse. Je cherche autour de moi, je remonte la rue. Pas d’indication. Avez-vous déjà remarqué que bon nombre de rues n’ont pas de plaques ? Ou alors si cachées qu’on ne les devine pas.
Le jeune homme étranger me fait comprendre, par monosyllabes, que le plus simple est d’aller à la borne de stationnement la plus proche. Il a l’air si malheureux, je le suis. Au téléphone, celui de l’étranger, le « dépanneur » indique que le plus simple est d’aller à une borne de stationnement ce qui lui permettra de nous localiser. Mêmes discours se renforçant l’un l’autre. Pourquoi pas ? Le jeune homme me sourit, il est compris, il est soulagé. Au moins je comprends que mon étranger a vraiment besoin d’être aidé. Je le suis donc jusqu’à la borne qui est située 100 mètres plus bas. Pendant ce temps il m’apprend, moitié en anglais, moitié en français, qu’il est brésilien, qu’il comprend un peu le français. Il a séjourné au Canada, mais pas assez bien pour échanger au téléphone. Rien d’étonnant à l’écouter.
Bon. Nous voilà arrivés devant ladite borne de paiement et mon jeune Brésilien me dit ne rien comprendre à ce qui écrit à l’écran. Évidemment. Je me mets en devoir de l’aider à rentrer le numéro d’immatriculation de sa de voiture. Je lui demande par curiosité si c’est une location. Cela peut sembler une évidence, puisqu’il est étranger. C’est une façon de faire la conversation.
— Oui, oui, me dit-il sans hésiter. Mais la borne est en panne.
Je regarde et ce que je vois à l’écran m’indique au contraire qu’elle semble tout à fait en état de marche. Je lui demande alors où est la voiture pour que je puisse relever moi-même le numéro d’immatriculation.
— Ah ! mais la voiture n’est pas là, elle est dans l’autre rue.
Il semble comprendre et parler de mieux en mieux le français. Qu’à cela ne tienne. Je ne suis pas pressé, il fait beau, l’air est doux. Je le suis. Il y a quelque chose chez cet homme qui demande l’aide, qui attend d’être soutenu. C’est un rôle que je dois aimer assurer. Peut-être même que ça se lit sur mon visage. Nous remontons alors la rue du Maréchal Joffre pour prendre, à droite, la rue des Clos Saint-Marcel. Nous traversons la Coulée verte et nous nous retrouvons devant la borne de paiement située face au dojo de la salle des sports. Et voilà mon Brésilien qui ressort son téléphone, tente de reprendre une conversation interrompue quelques minutes plus tôt et l’air implorant, me le tend à nouveau. Je retrouve mon correspondant précédent qui prend les choses en main et me tient un discours dense en me disant qu’il va m’aider afin qu’il puisse localiser la borne. Mais la communication téléphonique devient rapidement très mauvaise avec ce téléphone, je le constate moi-même.
— Il doit y avoir des interférences, propose-t-il.
On est facilement convaincu. Les interférences, ça me connaît, ce ne serait pas la première fois. Pas de problème, utilisons mon téléphone. Le cœur sur la main. Je lui donne mon numéro sans hésiter afin qu’il me rappelle. La communication redevient bonne. De proche en proche, je comprends que mon Brésilien n’a pas d’argent. Le solidaire qui s’éveille à nouveau en moi me dicte de faire la BA d’usage. J’ouvre mon sac, je sors mon portefeuille, prends ma carte bancaire, la mets dans la fente de la machine. En même temps, coïncidence, les tickets de métro que je case dans mon portefeuille glissent et tombent. Je les ramasse, aidé de mon Brésilien très serviable. Je me relève et commence à entrer au clavier un temps de stationnement minimum. Solidaire mais parcimonieux. Je ne vais quand même pas lui payer deux heures de stationnement, non mais ! -, …
« La borne doit être activée pour être localisée, dit l’homme au téléphone. » Une longue explication suit sur les caractéristiques des bornes connectées et des bornes déconnectées, sur les procédures d’activation et de désactivation. Au bout d’un certain temps, il m’assure d’une voix experte que la borne est maintenant activée et qu’il va pouvoir la localiser. L’étourderie est un vilain défaut. Je m’apprête à entrer le code de la ma carte bancaire… Tiens ! Elle n’est plus dans la fente de la machine… Elle n’est plus dans la machine !! Déconcerté, je commence à réfléchir à ce qui m’arrive… À ce qui est arrivé…
— La machine a avalé la carte, la machine a avalé la carte, crie le Brésilien avec un ton de grande surprise.
— Ah ! monsieur, continue le technicien au téléphone, vous avez attendu trop longtemps avant de faire le code. La machine a avalé la carte.
Temps d’hésitation. Et l’autre, le Brésilien prend l’air ennuyé et me dit qu’il va chercher sa femme en attendant. Je lui demande de rester, mais il prend l’air très ennuyé : « Ma femme m’attend ! » Je sens qu’il va me laisser en plan, mais ce qui m’importe maintenant c’est de récupérer ma carte. L’homme au téléphone a saisi la situation. Il me met à l’aise. Il va m’aider à la récupérer.
Au bout de quelques instants, « Ah, ça ne marche pas, me dit-il, il faut réinitialiser la borne. » Me voilà bien. Je suis devenu partie prenante de l’aventure du Brésilien. J’ai le sentiment de devoir aller jusqu’au bout. « Et ça peut durer plusieurs minutes, ajoute-t-il. » Heureusement, il fait beau et chaud et j’ai toujours du temps devant moi. « Juste une vérification. Vous êtes bien Monsieur Ermemchitt ? » J’ai l’habitude de ces fautes de prononciation. Avec mon nom !
— Euh… Oui, oui.
— Et votre banque est bien la Banque populaire… Rives de Paris ?
— Oui, oui !
Ouf ! Je suis rassuré. Au moins ma carte est bien dans la borne. Il n’a pas pu deviner tout ça.
— Bon. C’est bien votre carte qui est dans la machine. Je vais lancer la réinitialisation de la borne. Je vous dirai l’avancement du processus régulièrement.
— D’accord.
Je n’ai pas trop le choix si je veux récupérer ma carte. Et puis, il a une voix rassurante. Commence alors une conversation entrecoupée de silences. « J’ai d’autres clients, réalise-t-il tout à coup. Il faut que je m’en occupe. Ils attendent aussi ! Vous en êtes à 25 % … À 35 %… À 45%… »
Histoire de le retenir tant que le processus n’est pas terminé, je fais un peu de conversation.
— Ce ne serait pas une arnaque, des fois, votre truc ? lui dis-je avec un petit rire gêné.
[…] Herrenschmidt publia il y a quelque temps une histoire qui racontait le parti qu’on peut tirer d’une bonté crédule. Un faux étranger a besoin d’aide. Un […]
[…] reprends mon histoire commencée ici. La première partie se terminait quand il apparaît que la petite aide qu’on me demandait se […]