Emmanuelle Wargon s’attendait-elle au tollé qui a suivi ses propos contre la maison individuelle, prononcés lors de la clôture de la démarche qu’elle a menée sur « l’habitat de demain » ? Sans doute pas, car elle a dû intervenir très vite pour « préciser ses propos ».
Non-sens écologique ?
Il est vrai qu’affirmer que « la maison individuelle est un non-sens écologique, économique et social » était prendre le risque de déplaire à une forte majorité de Français qui rêvent d’une maison individuelle (ou qui veulent garder la leur). Mais, comme le note le Progrès du 15 octobre 2021, ce sont d’abord les professionnels de l’habitat qui ont réagi à ses propos :
Suite à ce discours, le pôle Habitat de la Fédération française du bâtiment (FFB) a « déploré la stigmatisation persistante de l’habitat individuel, à contresens des aspirations des Français » sur Twitter, tandis que la Fédération des constructeurs de maisons individuelles s’est dite « révoltée contre de tels propos tenus par une élite parisienne dite écologique et pourtant très loin des territoires, des habitants et de leurs préoccupations »
On notera que ces professionnels ne disent pas que les propos de la ministre sont faux, mais que cela ne correspond pas aux attentes des Français.
Il est vrai qu’à l’heure où on s’interroge sur la manière de réduire l’artificialisation des sols et où le chauffage résidentiel représente avec le transport environ la moitié des émissions de CO2, la maison individuelle peut être considérée comme une solution beaucoup moins pertinente que le collectif.
France Stratégie a publié le 18 octobre 2019 une étude sur l’augmentation permanente de la superficie de sols artificialisés et sur les moyens de la stopper. Il pointe notamment la logique consistant à s’éloigner de terrains en centre-ville trop chers. Construire loin du centre conduit à la fois à grignoter sur les terrains agricoles ou naturels (d’autant plus s’il s’agit de zones pavillonnaires) et à induire des besoins importants de transports individuels. La comparaison avec nos voisins montre que la France a plutôt artificialisé une part plus faible de son sol, du fait de sa plus faible densité, mais artificialise plus par habitant. Le graphique ci-dessous montre la part des sols artificialisés. A noter que ceux-ci ne comprennent pas que le bâti, mais aussi des sols revêtus autour ou pour y accéder. Au passage, le rapport pointe l’augmentation du nombre de logements vacants depuis 20 ans : on peut probablement diminuer aujourd’hui le rythme de construction.
Les maisons individuelles sont plus souvent des passoires thermiques (à hauteur de 18,4%, contre 14,7% des logements collectifs). Elles sont généralement anciennes, la majorité des passoires thermiques ayant été construites avant 1949.
Les propositions de la ministre
On trouve sur le site du ministère des pages consacrées à l’opération « Habiter la France demain », avec notamment un enregistrement des interventions lors de cette manifestation et une liste de 10 propositions d’actions, autour d’un titre général : Faire de la qualité la contrepartie de la densité
On ne retiendra ici que la première, parce qu’elle porte sur le sujet de cet article :
Gagner la bataille culturelle, sortir du rêve pavillonnaire, redorer l’image du collectif
Il faut gagner la bataille culturelle qui consiste à faire préférer l’intense à l’étalement, le collectif à l’individuel, la sobriété foncière à l’artificialisation des terres naturelles.
Il s’agit de mettre en place une grande campagne de sensibilisation du public aux enjeux de la construction et de l’habitat durables, de la lutte contre l’artificialisation des sols et à l’intérêt de constructions plus denses.
Quel avenir pour les maisons, en France et à Sceaux ?
En France, il y a très peu de destruction de logements. Depuis 50 ans, les maisons individuelles représentent plus de la moitié des logements neufs. La question n’est donc pas de détruire les maisons individuelles, mais de savoir si on va continuer à en construire. Le rythme de construction constaté depuis 20 ans autour de 400 000 logements par an n’est plus nécessaire au regard du parc de logements vacants : celui-ci est globalement suffisant dans la plupart des zones. Le gouvernement visant une reprise de la construction par les bailleurs sociaux, on peut penser que la part de la maison individuelle dans cette construction devrait nettement baisser. Mais il parait irréaliste d’envisager que cette part devienne très minoritaire, et encore moins nulle, au moins dans un avenir proche.
La situation est très différente à Sceaux, comme dans l’ensemble de la métropole du Grand Paris. La densité de population est telle que le foncier est rare et que la construction de collectifs est largement privilégiée, sans que pour autant la construction de pavillon soit nulle. A Sceaux, la construction de pavillon, largement dominante avant la guerre, représentait environ 10 % du total entre 1991 et 2005, et 20 % de 2005 à 2015 (avec, il est vrai, un rythme de construction total très ralenti). Mais en Ile-de-France, le processus dominant consiste plutôt à détruire de vieux pavillons et construire du collectif à la place. Ce sera en particulier ce qui va se passer aux alentours des futures gares du Grand Paris Express. L’INSEE nous fournit obligeamment l’ancienneté du parc selon les deux types de logement, pour la ville de Sceaux et pour la France entière.
Si on raisonne sur plusieurs décennies, la réalité scéenne, visible sur le graphique, est celle d’un net ralentissement récent de la construction totale, qu’il s’agisse de collectif ou d’individuel.
Mais ce visuel est partiellement trompeur, car les périodes considérées sont d’inégales durées. En nombre de nouveaux logements en moyenne par an, on a les résultats suivants :
1919 à 1945 : 18
De 1946 à 1970 : 150
De 1971 à 1990 : 94
De 1991 à 2005 : 80
De 2006 à 2015 : 23
On notera que ce net ralentissement n’est pas observé au niveau de l’ensemble du territoire. Il est lié à la réduction du foncier accessible en proche couronne.
La maison individuelle a encore de beaux jours
La contradiction entre des exigences collectives (écologiques) et des exigences individuelles (le pavillon privilégié) bien-être domestique) a été pointé par la ministre. La démarche est claire : les Français préfèrent la maison individuelle, les contraintes du pays (surfaces disponibles, changement climatique) conduisent à une orientation opposée, la solution de sortie est d’améliorer la qualité du collectif pour que les Français y adhérent. Logique ? Oui ! Réaliste ? A voir dans la durée, mais on croira plus à l’influence d’une vraie qualité du collectif qu’aux effets d’une « grande campagne de sensibilisation » …