En me promenant parmi les foisonnants cerisiers du parc de Sceaux, si vénérables dans la tradition japonaise du Hanami, je pensais à Yoshiko, une amie qui cette année n’a pas pu venir les admirer. Pour elle, le regard porté sur les fleurs, ce que traduit l’expression Hanami, est un temps pour penser à la vie et à la mort. C’est un moment qu’elle apprécie. Pour elle, il n’est pas triste ; il est émouvant. La chute des pétales de cerisier, les mouvements de petites taches de couleur rose, évoquent une pluie, un peu forte, ou bien des éclaboussures d’eau un jour de grand vent sur l’océan, ou encore le jet épars qui tombe d’une douche.
La période du Hanami correspond au début de l’année scolaire qui commence début avril. Les photographies d’enfants sont faites traditionnellement à ce moment-là. Elle parle des photos d’elle en uniforme d’écolière prises devant des cerisiers.
Pour les étudiants qui finissent leurs études, c’est le moment d’entrer dans la vie professionnelle, donc de la séparation, du nouveau départ, des nouvelles rencontres; c’est « la fin d’une vie ancienne« . On voit souvent dans des parcs publics des groupes de salariés d’une entreprise pour un piquenique joyeux.
Pour tous les Japonais, c’est un temps festif qui honore la volonté d’entreprendre, la hardiesse. Mais Yoshiko souligne un autre symbole fort, qu’illustre une expression japonaise qu’elle juge très significative : « kitatoki yorimo utsukushiku » (rendre cet espace plus propre que ce que tu as trouvé en arrivant). C’est une morale que l’on apprend dès la maternelle. Rien, après le repas de Hanami, ne doit rester quand on s’en va. C’est très important, dit-elle, et il ne faut pas considérer le Hanami comme isolé ; il est totalement lié au principe, qu’elle voit comme civique, de respect des lieux. . On l’entend à l’occasion des excursions scolaires, des randonnées, ou quand on utilise un local public comme une salle de réunion dans une maison de quartier.
Manger et boire sous les arbres en fleurs prennent sens lorsque intégrés dans ce principe d’éducation, qui est central au Japon. Dans une usine, chacun est responsable de la propreté et de l’ordre de son espace de travail. Les écoliers sont habitués à ranger. Quand elle était à l’école primaire ou au collège, se souvient-elle, en fin de journée, tous les jours, elle participait au nettoyage de la classe.
Dans la même logique, piqueniquer, s’amuser n’empêchent pas de porter les masques. Yoshiko imagine que cela peut paraître étrange en France. Mais elle précise que fin mars, début avril, est aussi la période des pollens de cèdres. Et il faut savoir qu’énormément de Japonais y sont allergiques. C’est une allergie sans commune mesure avec celles de France. C’est un phénomène massif, national. C’est pourquoi, bien avant la Covid, l’habitude des masques était déjà fort répandue. D’autant que pour un simple rhume, on porte le masque. On se protège mais, surtout, on protège les autres.
Si Yoshiko ne connaît pas la cause exacte de l’allergie au pollen de cèdres, elle pense que c’est lié à la politique de plantation considérable de cèdres qui a été menée dans les années 1960-1970, une époque de développement économique très intense, de construction d’immeubles, d’urbanisation des campagnes, de destruction de forêts. La plantation était peut-être une façon de compenser. En tout cas, dans les années 1980, elle se souvient qu’enfant elle est devenue allergique.
Masques donc, en même temps nappe déroulée sur l’herbe tout près des cerisiers, souci de tout laisser au plus net, pensées de la vie éphémère, rêverie devant les pétales qui tombent plutôt que devant les fleurs pleines de vitalité, moment de partage et de réjouissance, tel est le Hanami vu par Yoshiko.
Première publication le 23 avril 2021
[…] Hanami, c’est la fête des fleurs au Japon. La Gazette en a expliqué les racines japonaises dans cet article. […]
merci pour cet article qui nous fait voyager (on en a grand besoin) et entrer dans l »univers poétique si particulier du Japon. Et rendez vous avec Yoshiko pour le prochain Hanami du Parc de Sceaux !
Bel article sur cette tradition au combien importante pour les japonais. Cet article m’aura un peu transporté au Japon faute de pouvoir pour le moment m’y rendre .