La ville organisait le 28 janvier, en soirée, une visioconférence sur le thème controversé de la 5G, le nouveau standard de télécommunication mobile. La technologie suscite craintes voire angoisses d’un côté, tandis que de l’autre elle répond aux utilisateurs de smartphones toujours plus demandeurs de services. Florence Presson, initiatrice de l’événement, a sollicité des représentants de l’Agence nationale des fréquences (ANFR), Pascal Pagnoux, Jean-Benoît Agnani et pour la Fédération française des télécoms (FFT), Michel Combot.
C’est le point de vue technologique qui a été privilégié pour cette première rencontre. On a eu le sentiment qu’il s’agissait de définir la chose, de camper le « quoi » avant d’aller plus loin dans l’implication de la ville. Du coup, les aspects sanitaires n’ont pas été directement abordés, sauf par les interventions d’un homme particulièrement inquiet.
Des spécialistes du genre
L’ANFR gère l’allocation des fréquences radioélectriques, lesquelles vont bien au-delà des communications mobiles, dont la 5G fait partie. Il y a la radio, la télévision, le GPS, les radars, les satellites, les communications aéronautiques et maritimes, pour ne citer que ces exemples. Autant d’émissions d’ondes si différentes demandent une régulation. A cette fin, forte d’environ 300 agents, l’agence est un établissement public administratif qui « propose la planification et la répartition du spectre, organise les procédures appropriées pour une bonne cohabitation des utilisateurs, contrôle l’utilisation des fréquences et le respect des règles. »[1]
La FFT réunit quinze opérateurs de communications électroniques et les représente auprès « des pouvoirs publics, la société civile, les entreprises et les élus ». C’est un lieu d’échange entre expertises dont les travaux débouchent sur des recommandations d’actions, des positions communes. Ce sont tous les aspects des télécoms qui sont pris en compte, depuis les contraintes industrielles et environnementales, les intérêts économiques du secteur et la valorisation de l’image de ses membres.
Il va de soi que les deux organisations ne sont pas neutres par rapport au développement de la 5G. Elles sont partie prenante de l’essor de la profession et des technologies. Ce qui ne retire rien à l’intérêt de les écouter.
Des champs sous contrôle
C’est Pascal Pagnoux et Jean-Benoît Agnani qui commencent et exposent les contours du « bain » d’ondes électromagnétiques[2] dans lequel nous évoluons. C’est une présentation sur les fréquences électromagnétiques. Les curieux pourront se référer à ce document de l’ANFR.
Tout ce qui émet avec une puissance supérieure à 5W est soumis à autorisation de l’ANFR qui vérifie les niveaux d’exposition du public aux champs. Des valeurs limites d’exposition sont définies pour chaque type d’équipements en Volts par mètre : radio (28V/m), télévision (31 à 39V/m), mobile (36 à 61V/m), téléphone sans fil (59V/m), Wi-Fi / four micro-ondes (61V/m), Compteur communicant Linky (87V/m). Et c’est l’ensemble des émissions que contrôle l’agence lors de ses campagnes de mesure.
Dire que toutes les explications sont passées comme une lettre à la poste serait excessif. Les considérations sur les champs et les puissances laissaient perplexe, surtout quand il était question de seuils de dangerosité. Tantôt champ, tantôt puissance, il est difficile de savoir quels seuils d’exposition ont des conséquences sanitaires et quelles sont ces conséquences. Il est vrai que les intervenants ont rappelé plusieurs fois qu’ils ne sont pas médecins. Mais du coup, on n’a pas vraiment compris quelles situations pouvaient être à risque.
Que les amateurs de transparence sachent que les choses n’ont pas été pour autant cachées. Les normes ont été mentionnées. Il faut juste de bons maxillaires pour attaquer le casse-croûte.
- Normes en termes d’installation radioélectrique et de terminaux : une comparaison entre les approches de différents pays européens (puis non-européens).
- La loi Abeille de 2015, qui tire son nom de son initiatrice, Mme Laurence Abeille, et qui concerne, entre autres, la concertation lors de l’implantation d’installations radioélectriques.
- Le guide public DR 17 définit les règles pratiques d’installation des sites radioélectriques. Il s’adresse aux exploitants de réseaux, mais aussi aux associations de consommateurs et de protection de l’environnement.
- Le décret 2002 775 du 3/5/2002 donne les valeurs limites d’exposition.
- Un site utile pour comprendre les impacts des équipements : http://www.radiofrequences.gouv.fr
- L’ANFR a lancé OpenBarres : l’application permet de faire un diagnostic de votre réseau mobile en temps réel.
Atouts de la 5G
Tout ça pour quoi ? Quels sont les bénéfices attendus de la 5G ? Michel Combot les résume d’une « règle de trois » : débit, latence, densité, très orientée opérateurs. Ce qui est logique de la part du directeur général de la FFT. Les opérateurs doivent faire face à une augmentation continue de la demande ; celle du trafic en téléphonie mobile est éclatante avec des +30 à +50% par an.
Or, explique-t-il, là où la 4G est saturée, augmenter ses débits ne serait pas écolo. Cette technologie n’est guère efficace. Ce que confirme le message d’un participant citant Ericsson, un éminent constructeur suédois de téléphonie[3] : offrir une qualité de service 5G sur des réseaux antérieurs (4G ou 3G) conduirait à une très forte (et dissuasive) consommation d’énergie.
Il détaille des possibilités offertes par le nouveau standard. Commençons par celles qui ne convainquaient guère. La modernisation des industries, le contrôle et le pilotage des machines : par vocation, elles sont fixes et on ne voit pas ce que des télécoms mobiles pourraient y apporter ; sauf à penser intéressant d’intervenir sur les machines depuis la rase campagne. On doute qu’un marché soit là. De même, les usages récréatifs dans les foyers, le suivi de consommations des équipements de maison devraient se satisfaire parfaitement de réseaux fixes ; sauf bien entendu pour les nomades. Là encore, est-ce un marché ?
En revanche, Michel Combot persuade quand il évoque les traitements d’images drones pour les pompiers, chargement des conteneurs de verre par capteur de remplissage et optimisation des parcours des camions, plus généralement les applications urbaines dites « smart city » qui peuvent utiliser et gérer des équipements répartis en n’importe quel point de la commune ; enfin quand il évoque la télémédecine, on pense immanquablement au secours d’urgence et aux aides qu’apporteraient des applications haut débit.
En même temps, il ne manque pas d’appeler à des usages responsables comme l’utilisation du fixe chez soi, la consommation raisonnable de vidéos, le retour des terminaux anciens chez les opérateurs qui sont centre de collecte, d’éviter les conversations trop longues, de privilégier les messages (sms), de choisir un téléphone ayant un DAS faible (Débit d’absorption spécifique).[4] Des conseils, somme toute, de bon aloi.
Pendant ce temps
Le chat étant à la visioconférence ce que la mayonnaise est aux bulots, les messages n’ont pas cessé d’arriver pendant les interventions. Ce qui est une manière d’interactivité qui permet de poser des questions, mais aussi de se plaindre. Ainsi un opposant farouche, extrêmement inquiet pour les corps, cerveaux inclus, a enrichi (ou abreuvé selon le point de vue) la rencontre de sombres alertes qu’il étayait de références à de « nombreux » quelque chose.
Ainsi, nombreuses, dit-il, sont les études qui montrent les dangers de l’exposition dans les CEM (champs électromagnétiques, Ndlr), nombreux sont les appels des scientifiques qui appellent à la prudence. De nombreuses nouvelles antennes seront nécessaires et la mise en œuvre à grande échelle se traduira par des antennes toutes les 10 à 12 maisons dans les zones urbaines, augmentant ainsi massivement l’exposition obligatoire aux CEM…
Il poursuit en évoquant une partie croissante de la population européenne (on veut la croire nombreuse) qui est affectée par des symptômes de santé néfastes qui sont liés depuis de nombreuses années à l’exposition aux CEM et aux rayonnements sans fil. Dixit.
Et puis… De nombreuses publications montrent que les CEM affectent tous les organismes vivants… Encore : des preuves évidentes, toujours plus nombreuses, montrent les effets néfastes des ondes sur TOUS les végétaux et les animaux. On le comprend. C’est particulièrement injuste, car les bêtes n’ont fait de mal à personne.
Un peu de rab’ : Un grand nombre de rapports scientifiques évalués par des pairs démontrent des dommages causés à la santé humaine par les CEM. Enfin, il termine par des doutes appuyés par de nombreuses études, et achève, conclut, s’envole avec « Nous qui rêvions d’autre chose que la colonisation spatiale et des implants cérébraux. » Evidemment, vu sous cet angle.
Peut-être trouvera-t-il un petit réconfort en apprenant que des rapports d’instituts de recherche et d’autorités sanitaires des Etats-Unis, du Royaume-Uni, d’Allemagne, d’Espagne, d’Italie, des Pays-Bas, de Suisse, de Suède n’ont pas perçu[5] la menace dont il s’effraie. Espérons (prudemment cependant) que le baume apaisera quelque peu la plaie.
Et Sceaux dans tout ça ?
Le déploiement est commencé dans la ville. Si la décision est nationale, le maire conserve une marge d’intervention. Il valide les niveaux d’exposition (ceux mesurés récemment ont été présentés comme faibles). Il peut émettre des demandes de réalisation de mesures. Il veille au respect des normes. La loi Abeille impose aux opérateurs de transmettre aux communes un dossier d’information auprès du maire (DIM) en amont de la demande de permis de construire ou de la déclaration préalable. On a pourtant l’impression qu’il n’est pas du pouvoir du maire de s’opposer au déploiement lui-même.
Des questions sur la ville ont été posées dans le chat. Parmi celles-ci : ne faudrait-il pas isoler certaines zones des ondes 4G ou 5G comme les écoles, les crèches, les parcs, les EHPAD…? (Ce qui suppose un risque à définir). Combien d’antennes 5G supplémentaires sont nécessaires et prévues quand ?
Y répondre demandera sans doute à voir du côté de l’Anses (Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale) et de ses recommandations sur l’exposition des enfants aux radiofréquences. D’autre part, Florence Presson a conclu en informant que le CCT a créé un groupe de travail pour réfléchir aux nouvelles technologies, dont la 5G.
Espérons que ce sera un espace utile à la compréhension des enjeux et qu’une suite, orientée sanitaire, sera donnée à l’intéressante initiative du 28 janvier.
[1] https://www.anfr.fr/l-anfr/qui-sommes-nous/
[2] Les détenteurs des bandes de fréquences sont des ministères (Défense, Intérieur, Recherche) ; des administrations (Aviation civile, Ports et navigation maritime, Météorologie) ; Haut-Commissaire de la République dans les COM ; Télécommunications dans les territoires d’Outre-Mer ; des organismes (ARCEP, CSA, CNES).
[3] Le participant a envoyé le texte suivant : Energy consumption is set to increase dramatically if 5G is deployed in the same way as 3G and 4G were. This is an important issue to address. Some communications service providers have even estimated a doubling of their energy consumption to meet increasing traffic demands while improving their network and rolling out 5G. This is not sustainable from a cost or environmental perspective.
Les anciens de Marie Curie ou de Lakanal y trouveront matière à réviser leur anglais.
[4] Le DAS quantifie l’exposition du corps humain aux ondes émises par le téléphone mobile. En France, le DAS doit être inférieur à 2W/kg.
[5] http://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2020/Deploiement_5G_France_et_monde_aspects_techniques_et_sanitaires.pdf, pp 50-51
L’image en tête d »article est très parlante. On voit que plus on monte dans les fréquences, plus le rayonnement est dangereux. Avec une partie de l’ultra violet, on aborde les rayonnements ionisants, capables de transformer les atomes qu’ils traversent en ions. https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Nucleaire_et_societe/education-radioprotection/bases_radioactivite/Pages/8-rayonnement-ionisant.aspx
En revanche, on note que les ondes utilisées pour les communications (radio fréquences) sont très éloignées dans le spectre de ces rayonnements ionisants