La Miviludes (mission interministérielle d’observation et d’analyse du phénomène sectaire) a été créée en 2002 et rattachée depuis 2020 au ministère de l’Intérieur. Le rapport d’activité publié le 3 novembre dernier porte sur l’année 2021. Il fait 216 pages, comprenant une introduction des responsables (la secrétaire d’État qui en a la charge, son président et sa cheffe), une première partie sur le rôle de la mission, une deuxième sur les sujets d’inquiétudes observés, une troisième sr les moyens d’agir et une quatrième comprenant des regards d’extérieur. C’est la deuxième partie qui nous intéresse ici.
Les deux premiers sujets d’inquiétude de la Miviludes sont l’Église de Scientologie et les Témoins de Jéhovah. La mission a reçu de nouvelles saisines à leur sujet.
Troisième sujet d’inquiétude moins connu du grand public : l’anthroposophie. Celle-ci, fondée par Rudolf Steiner réunit un ensemble de croyances tirées de religions traditionnelles et de mouvements ésotériques. Elle a des ramifications en médecine (avec notamment un producteur d’homéopathie), en agriculture (la biodynamie ») en éducation (Écoles Steiner-Waldorf) et dans la banque, mais ce sont surtout les prétentions médicales et scolaires qui ont attiré l’attention de la Miviludes.
Quatrième sujet, la Famille, cette communauté parisienne faite de descendants des fondateurs au XIXe siècle. Cinquième sujet, les Frères de Plymouth, présentée comme une communauté à la recherche de « pureté ».
Sixième sujet, les éco-villages, présentés comme un mode de vie autarcique et dogmatique, ayant des liens avec le complotisme et des doctrines « spirituelles ».
Septième sujet, la multiplication des pseudo-guérisseurs, présentée comme un enjeu de santé publique. Le rapport cible notamment la méthode Hammer et la médecine nouvelle germanique et pointe les dangers du jeûne. Il insiste ensuite sur ce qu’il appelle des « déthérapeutes » qui affaiblissent leurs victimes par le rejet de la médecine conventionnelle. Parmi ces derniers sont développés les cas de Thierry Casasnovas et de Jean-Jacques Crèvecoeur.
Le huitième sujet concerne les dérives observées dans certaines formations de développement personnel et de coaching. Le suivant porte sur la méditation de pleine conscience et ses possibles dévoiements.
Suivent un chapitre sur le féminin sacré (une appropriation du féminisme par les dérives sectaires), un autre sur le masculinisme, virilisme et antiféminisme (un endoctrinement violent et sexiste) et enfin le néo-chamanisme (altération de la conscience et ses dangers).
Dans son rapport 2022, l’institution présente la forte augmentation de ses saisines en 2021. Selon la Miviludes, l’ampleur de la crise sanitaire a favorisé les dérives sectaires dans divers domaines.
Le collectif No Fake Med
Le 3 mars 2018, le Figaro publiait une tribune de 124 médecins qui expliquaient que l’homéopathie, comme les autres pratiques qualifiées de « médecines alternatives », n’est en rien scientifique et que les thérapies dites « alternatives » sont inefficaces au-delà de l’effet placebo et n’en sont pas moins dangereuses.
La tribune ayant ensuite recueilli 3337 signatures, le groupe informel s’est constitué en association (notamment pour protéger ceux de ses membres qui étaient poursuivis devant l’ordre des médecins, en général pour non-confraternité) et un site a été créé. L’objet de l’association est défini en article 2 des statuts : « L’information des professionnels et du public sur la médecine, des soins, et des thérapeutiques, fondées sur les preuves scientifiques.la lutte active contre les pratiques de soins non scientifiques, déviantes, délétères, aliénantes ou sectaires. »
Une nouvelle tribune a été publiée dans le Figaro le 4 septembre 2022, cette fois autour de la périnatalité et des dérives pseudo-thérapeutiques observées. La tribune cite « Ces soi-disant thérapeutes sans aucune formation médicale, coachs, formateurs, énergéticiens, naturopathes, doulas proposent toutes sortes de « médecines alternatives » ou « naturelles » et met en cause plusieurs pratiques. D’abord l’ostéopathie : dangereuse chez le nourrisson. Puis la section du frein de langue : bien trop souvent pratiquée. Ensuite l’aromathérapie aux nombreux effets indésirables. Et enfin les colliers d’ambre : inutiles et responsables de décès.
Toutes ces pratiques ne reposent sur aucune étude scientifique prouvant leur efficacité.
Au-delà de ces deux tribunes, le site donne des explications sur toute une série de fake med, depuis la naturopathie jusqu’à la chiropraxie en passant par les Fleurs de Bach, la lithothérapie ou l’urinothérapie (!) et bien d’autres. L’imagination des charlatans ne semble pas avoir de limites.
Le collectif a obtenu un premier succès avec le déremboursement de l’homéopathie. Il reste manifestement encore beaucoup à faire.
L’association évalue aussi la perméabilité des universités françaises aux pseudosciences, à l’aide d‘un système de points. Plusieurs universités n’ont strictement aucun problème ; la plus mal notée est sans conteste l’Université de Strasbourg.
Quelques remarques
Lors de sa création, la Miviludes a remplacé la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS), créée en 1998. La MILS succédait elle-même à l’Observatoire interministériel sur les sectes, créé en 1996 à la suite du rapport rendu en 1995 par une commission d’enquête parlementaire sur les sectes, présidée par Alain Gest et dont le rapporteur est Jacques Guyard.
La Miviludes a été rattachée en 2020 au ministère de l’Intérieur, ce qui a fait craindre pour sa survie, d’autant plus que ses effectifs, déjà maigres, sont passés de 14 à 8 salariés.
Il est frappant de constater que la création du collectif No Fake Med part d’une logique très différente : c’est une initiative privée, quand la Miviludes est une institution D’État.
La création du collectif résulte de l’analyse que l’ordre des médecins ne fait pas son travail et laisse prospérer en son sein des praticiens qui mettent en avant des disciplines de charlatans, comme la lithothérapie ou l’homéopathie. Le cas de l’homéopathie est éloquent : la France et la Suisse sont alors les seuls pays où la Sécurité sociale rembourse (en partie) les produits homéopathiques ; le budget de R et D de Boiron est ridicule, quand les entreprises de pharmacie y consacrent souvent entre 10 et 20% de leur chiffre d’affaires.
Le refus de l’ordre des médecins d’Ile-de-France de condamner Christian Péronne qui n’a cessé de propager des fakes sur le Covid montre que les charlatans sont implantés jusqu’au cœur du système de santé. On avait vu précédemment diverses instances de l’ordre condamner pour non-confraternité des médecins qui se contentaient de rappeler les données scientifiques.
Le collectif a atteint son premier objectif, avec la fin du remboursement des produits homéopathiques.
Si l’existence du collectif No Fake Med souligne les manques de l’ordre des médecins, on peut se demander si l’existence de la Miviludes ne souligne pas les manquements de la justice. En réalité, le but de celle-ci n’est pas de se substituer à la justice, mais de donner des outils aux victimes de pratiques sectaires et d’informer tous ceux qui pourraient être ciblés par les sectes. En 1993, la justice (Cour de cassation) avait condamné l’Église de Scientologie pour « escroquerie en bande organisée ».
Plus récemment, la justice a tranché dans le procès intenté par la Fédération des écoles Steiner-Waldorf en France et une enseignante de celle de Verrières-le-Buisson pour diffamation contre Grégoire Perra. Le tribunal d’appel a confirmé le jugement de première instance au profit de ce dernier.
Le rapport de la Miviludes et l’action du collectif No Fake Med montrent une fois de plus que beaucoup de gourous auto proclamés sont prêts à profiter de la naïveté et des fragilités qui nous affectent par périodes.
On ne peut que regretter le peu de place que les médias accordent aux compétences qui pourraient les aider à débusquer les fausses informations. Trop peu de journalistes ont une formation scientifique. Le choix des invités à s’exprimer sur un sujet donné laisse souvent rêveur : les experts réels du sujet sont rarement présents. On l’a vu avec l’épidémie de Covid, la priorité semble plus celle de faire de l’audience que d’informer ceux qui suivent le média. Quand il y a un consensus scientifique sur un sujet, la présentation impartiale ne consiste pas à donner le même temps de parole à ceux qui ne sont pas d’accord avec ce qu’exprime ce consensus.
A la fin, on se retrouve avec 4 Français sur 5 qui croient à au moins une théorie du complot comme l’avait montré en 2018 une enquête de l’IFOP. Par exemple, l’enquête montrait que 55% des personnes interrogées adhèrent à l’idée selon laquelle « le ministère de la Santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité sur la nocivité des vaccins. » On ne sera pas surpris des difficultés observées ensuite pour la vaccination Covid. Mais qui informe sur les procédures très fouillées menées avant d’autoriser un médicament ?
La défiance de la population envers la médecine est d’autant plus étonnante que celle-ci a largement contribué à multiplier l’espérance de vie par 3 en trois siècles.
[…] filiation les écoles Steiner, la biodynamie en agriculture et une entreprise homéopathique. Le dernier rapport de la Milivudes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives […]
Je deviens perplexe quand je rapproche ce que je lis dans le texte à deux endroits différents :
• Le refus de l’ordre des médecins d’Île-de-France de condamner Christian Péronne qui n’a cessé de propager des fakes sur le Covid montre que les charlatans sont implantés jusqu’au cœur du système de santé…, d’une part,
et
• …l’enquête montrait que 55 % des personnes interrogées adhèrent à l’idée selon laquelle « le ministère de la Santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité sur la nocivité des vaccins. »
N’est-ce pas un peu la même chose qui est suggérée dans un cas comme dans l’autre ?
Selon Wikipédia, l’ordre des médecins est un organisme professionnel, administratif et juridictionnel de défense et de régulation de la profession médicale. Ses conseillers sont élus par leurs pairs. Ils sont sensés entre autres défendre la déontologie de la profession. Représentants de fait des médecins libéraux, les conseillers ont tendance à défendre la liberté de prescription même quand elle est contraire aux données scientifiques. Il faut noter que la même instance disciplinaire d’Ile de France qui a refusé de condamner Péronne avait condamné 10 médecins signataire de l’appel des 124 pour « non-confraternité », mais que le Conseil National de l’Ordre avait fait appel
La charge est lourde. Mais pas inutile car bien argumentée.
À lire dans Le Monde du 23 novembre 2022 l’article de Céline Béraud « Les scandales sexuels dans l’Église font bouger les lignes au sein du catholicisme français » et, sur la même page 33, la lettre de Jean l’Hour « Chers frères Évêques de l’Église de France, votre parole n’est plus audible, écoutez vos prêtres », je me demande si l’Église catholique de France ne devrait pas aussi faire partie des sujets d’inquiétude de la Miviludes.
Encore faudrait-il qu’elle en soit saisie !