« Ce dont nous avons besoin, c’est de trouver du travail ! ». Au sein de la dizaine d’Ukrainiennes que je croise ce jour-là à la Croix-Rouge, c’est le cri du cœur. Elles viennent d’assister aux Garages à un cours de français, cours donné par l’une des leurs, Victoria, professeur de français quand elle était au pays. Elles se dirigent vers le local prêté par la Croix-Rouge de Sceaux où sont entreposés des dons (principalement des vêtements et les produits d’hygiène) qui vont pouvoir les aider.
Alexandra Pillot m’avait donné rendez-vous ce jour-là. Elle est arrivée d’Ukraine en 1998 pour faire des études de droit. Installée en France à la fin de ses études, elle y a aussi trouvé un mari et habite à Sceaux depuis des années. Elle a trois enfants dont un très mignon et éveillé bébé de 4 mois qu’elle avait amené avec elle au local de la Croix Rouge de Sceaux. Elle m’avait déjà donné pas mal d’informations et elle a servi de traductrice.
Arrivées chaotiques
J’ai compris qu’il y a eu deux vagues d’arrivantes. La première correspond à celles qui ont fui l’Ukraine à cause de la guerre; elles sont venues à Sceaux parce qu’elles y avaient une attache, une personne qu’elles connaissaient plus ou moins, par un collègue ou un parent plus ou moins éloigné. Elles avaient fui les zones en guerre, notamment le Dombass et la zone autour de Kherson et Odessa, au sud. La deuxième vague est partie quand les Russes ont bombardé Kiev; elle est passée par des accueils d’urgence en Pologne avant de se diriger vers la France. Ces réfugiés n’ont aucun lien préalable ici : ce sont les familles d’accueil ou de cœur qui ont ouvert leurs portes en découvrant les annonces d’appel à l’aide sur des sites Internet.
La grande majorité de ces personnes sont des femmes avec enfant(s). Seuls les hommes de plus de 60 ans, handicapés ou ayant au moins 3 enfants pouvaient partir. Les femmes célibataires sont en majorité restées en Ukraine pour contribuer à l’effort commun. Celles avec enfants ne sont pas parties pour elles, mais pour sauver leurs enfants. Elles ne se considèrent pas comme migrantes, mais comme déplacées : elles espèrent rentrer au pays le plus vite possible. A Sceaux, il y a ainsi une vingtaine de ces déplacées avec leurs enfants, et trois hommes.
Accueil à Sceaux
Celles que j’ai vues ont insisté sur la qualité de l’accueil qu’elles ont reçu à Sceaux, plus que dans les villes voisines pour ce qu’elles en savent. L’appel de la mairie pour des dons a suscité un important afflux. Philippe Laurent et son équipe autour de Valérie Dec (DGAS), Chantal Brault ainsi que l’adjoint aux relations internationales, Christian Lancrenon, ont organisé des réunions d’urgence tous les dimanches. Puis le groupe de bénévoles s’est organisé progressivement.
Il y avait tous les jours énormément de dons pour l’Ukraine à la mairie, dont beaucoup ont été expédiés en Pologne. Mais une partie a servi ici. Alexandra et d’autres bénévoles d’origine ukrainienne, comme Iryna Zaichenko, Anne-Marie Breych sont d’abord intervenues à l’accueil de la mairie de Sceaux pour marquer les paquets de dons en ukrainien. Puis Alexandra a apporté ses compétences juridiques pour les papiers administratifs. Elle a croisé un autre bénévole qui lui a proposé de contacter la Croix-Rouge de Sceaux où elle a rencontré le président de l’unité locale de la Croix-Rouge, Jean-Michel Chaplain . Il lui a proposé d’abord d’aménager une pièce d’accueil au sein de l’Unité locale de Croix rouge, puis tout un étage. Le groupe de bénévoles avait envisagé de se constituer en association, mais il a finalement paru plus simple et plus efficace de travailler avec la Croix-Rouge.
Les Ukrainiennes qui arrivent ne parlent pas français et seul le hasard fait les rencontres. Une habitante de Sceaux a publié sur Facebook une annonce d’aide aux démarches administratives; elle voulait aider des enfants accueillis par une Ukrainienne de Sceaux.
C’était S. du club de Basket : une joueuse ukrainienne avait accueilli deux enfants et un chien. Elles ont parlé pendant une heure et S. a fini par proposer de trouver des bénévoles pour enseigner le français aux arrivantes. Maintenant il y a des cours pour toutes et la mairie fournit la salle. Alexandra précise que c’est la contribution et l’implication de chaque bénévole (même ceux d’un jour), qui contribue à l’élan commun .
Un soutien psychologique dans un groupe de parole est animé chaque semaine par Anne-Marie Breych, psychologue d’origine ukrainienne. Alexandra, Iryna et Stéphanie organisent l’accueil à la Croix-Rouge trois matinées par semaine et de nouveaux bénévoles se sont joints à elles depuis. Marina propose des cours de yoga, Hélène des ateliers de desseins pour les enfants…
« Quand on a démarré la distribution, on avait les vêtements emballés. Elles en prenaient un ou deux seulement parce qu’elles pensaient repartir très vite. Dans leur tête elles n’étaient venues que pour une semaine. D’ailleurs, leur seul souhait c’est de rentrer, ce ne sont pas des réfugiées mais des déplacées. Leur choix de quitter leur pays, c’est pour sauver leurs enfants, pas leur vie personnelle. Je ne pensais pas que mon peuple serait capable d’un tel courage pour sauver notre patrie. Quand la guerre a commencé, mon frère était au ski et une semaine après il m’envoyait des photos de lui en uniforme. Elles ont toutes un parent au combat. »
Il a fallu entre un mois et un mois et demi pour régler le problème des papiers des enfants. Des solutions ont été trouvées pour les scolariser : à l’école élémentaire des Blagis (une classe a été créée) et à Marie-Curie (qui dispose d’une classe de russe). Mais les jeunes continuent à suivre des cours d’ukrainien en plus, en ligne.
Un exemple d’aide locale : la boulangerie « Maison Tillard et Fils » qui donne tous les soirs ses invendus aux Ukrainiennes dans leurs boutiques à Sceaux et à Plessis-Robinson, le poissonnier « ACB » au marché de Sceaux fait le don de colis de poissons à quatre familles par semaine, le salon de coiffure « Jacques Dessange » qui a fourni les cartons de rangement . La visite gratuite d’un ophtalmologue et des lunettes également gratuites. Une sortie au zoo et un accrobranche pour les enfants pendant les vacances de Pâques. Un rassemblement organisé par la mairie de Sceaux à l’occasion de Pâques orthodoxes… La distribution des aliments a été organisée avec la Croix-Rouge et est assurée par le Secours catholique de Sceaux.
La plus grande aide vient bien entendu des familles françaises qui les ont accueillis chez elles et qui ne pourront évidemment pas le faire indéfiniment : il va falloir trouver des relais, très rapidement pour certaines.
L’État verse aussi une allocation.
Quelques témoignages
Une des Ukrainiennes est arrivée enceinte, avec sa mère. Elle avait fui, dans un train bondé, sans place pour prendre ne serait-ce qu’une valise. Elle n’avait qu’une robe, Alexandra (qui venait d’accoucher) a pu lui donner les siennes. L’enfant, du nom d’Émilie, est née à Clamart le 25 avril, mais elle ne pesait que 1,3kg (née prématurée, probablement en raison du traumatisme de la mère). Elle vient de sortir de l’hôpital. Le logement qu’occupe Émilie avec sa mère et sa grand-mère doit être rendu fin août. Le père est à Kiev. La grand-mère continue en télétravail son travail de manager en assurances.
Quand Marina est arrivée à Sceaux, elle ne souriait pas et parlait très peu. Elle a progressivement repris courage et le sourire grâce à la qualité de l’accueil. Elle a un garçon de 10 ans et une fille de 12 ans. Elle tenait un magasin de vêtements là-bas.
Svetlana est là avec son mari et ses trois enfants de 4, 8 et 10 ans. Elle doit rendre fin juin l’appartement où loge sa famille. Elle était éducatrice en crèche et a été 6 ans designer. Son mari est logisticien et cherche désespérément un travail. Elle me donne leurs numéros de téléphone pour qu’on puisse les contacter.
Une autre femme annonce une nouvelle dont elle est très contente : son fils de 14 ans, en classe à Lakanal, vient d’être accepté dans un club de karaté (il semble avoir un bon niveau).
La recherche de travail est l’obsession de chacune, elles ne souhaitent pas rester à la charge de la collectivité. L’absence de maîtrise de la langue est une barrière importante. La plupart de ces Ukrainiennes ont fait des études supérieures. Des bénévoles font du porte-à-porte pour essayer de leur trouver du travail.
Chers lecteurs, si vous avez des pistes, contactez la Gazette qui transmettra.
Nota : la photo en tête d’article a été prise en Pologne