Le candidat Macron propose de porter à 65 ans l’âge légal de départ en retraite, en repoussant celui-ci de 4 mois par an, donc en 9 ans. Et aussitôt des voix s’élèvent contre cette proposition. On peut contester la proposition, proposer d’autres modalités. Mais certains arguments me scandalisent.
Certains feignent de croire qu’il n’y a aucune raison d’agir, comme si la baisse du ratio actifs/ retraités à législation inchangée n’était pas inscrite depuis longtemps dans la pyramide des âges. Le rapport Charpin n’a en effet été publié qu’il y a 24 ans, en 1998 et ils n’ont probablement pas encore trouvé le temps de lire, par exemple, cette phrase page 27 : « D’ici à 2040, le nombre de personnes de plus de 60 ans va augmenter de près de dix millions tandis que le nombre d’actifs baisserait, selon ces projections, d’environ un million »
Depuis1998, des réformes ont été faites, le prix du point Agirc Arrco a été bloqué de 2013 à 2017, permettant un fragile équilibre. Mais nous avons toujours devant nous une baisse du ratio actifs/retraités à législation constante.
D’autres (ou les mêmes) affirment que le report de l’âge de la retraite va mettre au chômage des millions de seniors (et des millions de jeunes aussi, ne soyons pas mesquins), prouvant ainsi leur médiocre connaissance d’un mécanisme économique de base : l’emploi augmente avec le nombre d’actifs. Apparemment, que ce ne soit pas ce qui s’est passé depuis les différentes réformes de retraite ne semble pas les déranger.
Je crois que la palme de l’indignité est pour cet économiste qui essaie de nous faire pleurer sur le fait que la durée de vie en retraite risque de passer en dessous de 25 ans avec une telle réforme. J’imagine que le même sera prêt à faire grève le jour où on n’aura plus le droit de reprendre plus de 8 fois des frites à la cantine.
Pas un mot sur le fait que les dizaines de milliards que nous dépensons de plus que nos voisins pour les retraites ne sont pas disponibles pour l’éducation, la santé ou la justice.
D’autres utilisent un argument de justice sociale en évoquant « les plus pauvres, dont ¼ sont déjà morts à 62 ans ». Techniquement, c’est un argument pourri : les plus pauvres en question ont un niveau de vie mensuel moyen de 500 €, aides sociales comprises : la plupart sont dans cette situation faute de pouvoir travailler, la question de la retraite ne se pose pas vraiment.
Mais surtout, cela consiste à utiliser la situation des 5 % les plus pauvres pour refuser tout changement pour les 95 % restants. C’est simplement indigne.
Oui, l’espérance de vie augmente avec le revenu. Et donc, si tout le monde part en retraite au même âge, ce sont les plus riches qui ont l’espérance de vie en retraite la plus longue.
Il faut rappeler ici que pour pouvoir partir en retraite « à taux plein », il faut respecter deux critères : celui de l’âge (62 ans dans le régime général, avec des exceptions pour ceux qui ont commencé à travailler avant l’âge de 20 ans) et celui du nombre de trimestres validés. Jusque 1993, le critère de trimestre était généralement respecté avant celui de l’âge. Les différentes réformes menées depuis, en augmentant le nombre de trimestres exigés, ont changé les choses : c’est souvent le critère d’âge qui est atteint en premier. Si on reporte de 3 ans l’âge de départ sans toucher au nombre de trimestres, cela risque de changer de nouveau.
Le fait que le critère de trimestres soit le plus important en pratique va plutôt dans le sens de la justice sociale : les plus bas revenus ont souvent commencé plus tôt leur carrière. Une augmentation du seul âge légal affecterait au contraire tous ceux qui ont commencé à travailler tôt, pas ceux qui ont fait des études longues et doivent déjà attendre 65 ans pour partir en retraite.
Cela ne réglera pas le problème des 5 % les plus pauvres, qui n’ont pas forcément cotisé beaucoup, et sont souvent sans emploi : leur cas procède d’autres démarches.
Étonnamment, je n’entends guère les (ir)responsables politiques de gauche évoquer cette solution et exiger qu’on augmente la durée de cotisation plutôt que l’âge légal minimal de départ. S’ils croyaient vraiment à la justice sociale dont ils parlent à longueur de meeting, ne serait-ce pas pourtant leur priorité ? Il est vrai qu’ils se mettent la tête dans le sable sur ce sujet depuis des décennies, préférant apparemment que la droite le traite. À sa façon.
En 2003, la CFDT a obtenu que la réforme Fillon qui alignait (quel scandale !) le nombre d’années de cotisation du public sur le privé intègre une reconnaissance des carrières longues ! Nos bonnes âmes de gauche ont alors crié « haro » sur la CFDT, montrant bien qu’elles n’en avaient en fait rien à faire de ceux et celles qui avaient commencé tôt à travailler.
À force d’évoquer hypocritement les conditions de vie des plus pauvres pour en réalité défendre l’intérêt des professions intermédiaires et supérieures, la gauche a perdu le vote ouvrier : c’est Marine Le Pen qui est en tête dans cette catégorie de la population.
Avec des décennies de tels comportements indignes, faut-il s’étonner que les sondages donnent actuellement moins de 25 % des voix à l’ensemble des 6 candidats de gauche ?
Mon cardiologue m’a fait remarquer qu’on ne voit pas beaucoup de statistiques établissant les relations entre la prolongation de l’âge de départ à la retraite, et le coût induit sur la dégradation de l’état de santé lié à cette dégradation.
Cette analyse mériterait d’être faite sur le coût global de ces choix.
Car, si l’augmentation de l’âge de départ à la retraite se traduit par une augmentation des dépenses de santé, et que celles-ci sont supérieures à l’accroissement des cotisations sociales liées à ce décalage, ou est l’avantage comptable de l’opération ?
Mauvaise humeur !
[…] Le système de retraite ne peut pas à lui seul répondre à cette grande différence de situations, mais il ne doit pas accentuer les inégalités constatées. À cet égard, donner la primauté à la durée de cotisation comme critère de départ est certainement plus satisfaisant que de s’appuyer sur l’âge légal. Mais se cacher derrière les problèmes de santé des autres pour maintenir un système favorable est simplement indigne […]