L’Union européenne (UE) a décidé il y a quelque temps d’appuyer sur l’accélérateur dans la lutte contre le réchauffement climatique, en accordant des moyens financiers importants aux énergies vertes (Green Deal). Si la proposition fait l’objet d’un vaste consensus, les choses se corsent quand il faut définir la liste des énergies considérées comme vertes.
Ainsi le gaz est défendu par des pays grands utilisateurs de charbon comme la Pologne et l’Allemagne, parce qu’il est considéré comme un moyen transitoire pour réduire les émissions de CO2. Par ailleurs, le nucléaire fait l’objet d’âpres débats.
Le Technical Expert Group (TEG) de la Commission européenne, a observé que l’énergie nucléaire a des émissions de gaz à effet de serre proches de zéro dans la phase de production d’énergie. Mais il émettait des réserves en raison de ses impacts potentiels sur l’environnement, en particulier à cause des sites de stockage de déchets fortement radioactifs. Il a recommandé d’aller plus loin dans l’étude
Un groupe d’experts interne à l’UE, le Centre commun de Recherche (CCR) a été chargé de l’investigation et ses résultats (un rapport de 300 pages) viennent d’être rendus publics.
Dans son évaluation de ce qui est « vert », le rapport retient bien sûr comme premier critère d’apporter une contribution substantielle aux objectifs d’atténuation ou d’adaptation au changement climatique. Mais, plus largement, il attend des énergies d’éviter de nuire aux quatre objectifs :
- Utilisation durable et protection de l’eau et des ressources marines ;
- Transition vers une économie circulaire
- Contrôle de la prévention de la pollution
- Protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes.
Cette notion de « ne pas nuire » utilisée par le CCR provient d’une méthodologie DNSH (Do no Significant Harm ou, en français, Ne pas nuire significativement). Il a mené son évaluation de la production d’énergie nucléaire en prenant en compte l’ensemble du cycle de vie de l’énergie nucléaire. Il a étudié les impacts environnementaux (existants et potentiels) par rapport aux quatre objectifs. Il a mis l’accent sur les gestions des déchets nucléaires et radioactifs.
Les conclusions s’appuient sur la littérature scientifique disponible pour chacun des points étudiés.
Les risques environnementaux « classiques », hors spécificité nucléaire
Une première partie du rapport établit des comparaisons entre les impacts environnementaux de diverses technologies de production d’électricité sur la santé humaine et l’environnement. Elle présente les principales conclusions suivantes : l’énergie nucléaire se classe au niveau des autres sources d’énergies vertes (et parfois mieux) dans tous les domaines étudiés :
- Émissions de gaz à effets de serre (sur l’ensemble du cycle de vie)
- Émissions de NOx (oxydes nitreux), de SO2 (dioxyde de soufre), de PM (particules) et de COVNM (composés organiques volatils non méthaniques).
- Potentiels d’acidification et d’eutrophisation,
- Écotoxicité des eaux douces et marines, appauvrissement de la couche d’ozone et POCP (potentiel de création d’oxydants photochimique)
- Occupation des terres pour la production d’énergie nucléaire (nettement plus petite que l’énergie éolienne ou solaire PV).
- Consommation d’eau.
Les risques environnementaux liés à la radioactivité
Une deuxième partie du rapport aborde les aspects plus spécifiques du nucléaire : les effets de la radioactivité et la question des déchets, avec des points qui sont souvent ignorés du grand public. Pour prendre trois exemples, citons l’exposition annuelle moyenne à la radioactivité due à la production nucléaire civile qui est dix mille fois moins que la dose annuelle moyenne due au rayonnement de fond naturel.
Les taux de mortalité par accident grave (y compris bien sûr ceux de Tchernobyl et Fukushima) sont bien inférieurs à ce qu’on observe pour la production d’électricité à partir de combustibles fossiles, comparable à ceux de l’hydroélectricité dans les pays de l’OCDE et à l’énergie éolienne (seule l’énergie solaire a un taux de mortalité significativement plus faible).
La nouvelle génération de réacteurs a été conçue en tenant compte des enseignements des accidents graves (Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima). Les taux de mortalité caractérisant ces centrales nucléaires de pointe de génération III sont les plus bas de toutes les technologies de production d’électricité.
En ce qui concerne les moyens de réduire les déchets, des études ont été menées en vue d’une utilisation plus complète du combustible et d’une moindre production d’actinides mineurs, qui sont des déchets à vie longue. Réalisées en laboratoire, elles n’ont pas encore atteint pour l’instant le stade industriel.
Les risques environnementaux liés aux déchets
Les déchets sont classés en fonction de leur activité et de leur durée de vie. Des solutions sont déjà en œuvre pour les déchets à faible durée de vie ou à fiable activité.
Pour les déchets hautement radioactifs et le combustible usé, il existe un large consensus parmi les communautés scientifiques, technologiques et réglementaires, selon lequel le stockage final dans des dépôts géologiques profonds est la solution la plus efficace et la plus sûre qui puisse garantir qu’aucun dommage significatif ne soit causé à l’homme, la vie et l’environnement pendant la durée requise.
Au regard du délai nécessaire à une réduction suffisante de la radioactivité, l’efficacité de ce stockage ne peut reposer sur une intervention humaine. Il a donc été prévu un système à barrières multiples (artificielles et naturelles) dans une formation géologique stable à plusieurs centaines de mètres sous le niveau du sol. La sûreté du stockage pendant la phase post-fermeture est démontrée par un processus robuste et fiable qui confirme que la dose ou le risque pour le public sont maintenus en dessous des limites établies en toutes circonstances.
Les critères d’évaluation de la sureté de l’efficacité de ce système reposent sur trois éléments :
- Le caractère multiple des barrières utilisées (artificielles et naturelles) dans une formation géologique stable à plusieurs centaines de mètres sous le niveau du sol. La configuration à barrières multiples du dépôt empêche les espèces radioactives d’atteindre la biosphère pendant la durée requise.
- L’existence de réacteurs nucléaires naturels vieux de deux milliards d’années, dont les déchets n’ont pas bougé de plus que quelques centimètres depuis ce temps (le choix de certaines formations géologiques pour le stockage s’appuie entre autres sur ce constat).
- De nombreuses études approfondies et modélisations (Les modèles et les calculs représentent l’état de l’art des connaissances générées par plusieurs décennies d’étude et de recherche sur toutes les propriétés et mécanismes pertinents qui affectent l’ensemble du système de stockage).
Et demain ?
Le rapport est maintenant dans les mains des politiques des différentes instances européennes. Les associations pronucléaires et antinucléaires ont déjà réagi, avec évidemment des avis opposés. Les anti nucléaires ont remis en cause l’indépendance de l’instance en charge du rapport. Il n’empêche que les résultats sont sans ambiguïté : quel que soit le critère examiné, le nucléaire peut être rangé dans la catégorie des énergies vertes, et il est souvent la meilleure d’entre elles.
Vous trouverez sur ce lien des commentaires détaillés du rapport par un pronucléaire, syndicaliste chez EDF et titulaire d’un doctorat, sa thèse ayant porté sur une partie du sujet abordé.