Je me souviens très bien du moment où j’ai compris qu’on ne pouvait accorder aucune confiance à la plupart des anti-nucléaires, même s’ils se prétendaient écologistes. C’était au printemps 1976. Je venais de commencer ma carrière d’ingénieur d’exploitation au fond de la mine, dans les Houillères du Nord Pas de Calais.
L’entreprise était sur une trajectoire de fermeture, commencée environ 15 ans plus tôt et qui se terminera 15 ans plus tard. On ne ferme pas d’un claquement de doigt une entreprise qui emploie 200 000 personnes sur un territoire de 3000 km2. Le gisement charbonnier était tourmenté, donc difficile à exploiter. Les conditions de travail étaient très dures. La silicose avait frappé durement pendant des décennies, un coup de grisou avait fait 42 morts moins de 2 ans auparavant. La mine, c’étaient aussi des doigts amputés, des dos cassés, des blessures fréquentes…
Il y avait eu, avec l’utilisation du charbon, le grand Smog de Londres de décembre 1952, qui avait fait au moins 5000 morts. Pour la même raison, au moins 60 morts sont constatés dans la Meuse en 1930 (ce qui allait conduire à la loi Morizet). On ne disait pas encore que les émissions de poussières des centrales au charbon provoquent des dizaines de milliers de morts chaque année en Europe.
Donc, ce jour-là, je passais dans le centre social de ma ville, au moment où se finissait un débat sur le nucléaire et j’ai discuté cinq minutes avec deux intervenants qui plaidaient pour l’arrêt du nucléaire. Je leur ai demandé comment ils allaient remplacer les centrales nucléaires existantes ou en cours de construction. Réponse : relancer la production charbonnière. Notamment ici, dans le bassin du Nord.
Pour eux les risques supposées du nucléaire étaient beaucoup plus graves que les dangers réels de la mine. Ceux-là, ils ne voulaient pas les voir.
Pourquoi parler de ce vieux souvenir aujourd’hui ? Parce que les partis belges qui se sont enfin mis d’accord pour un gouvernement ont décidé de fermer les centrales nucléaires d’ici là. En théorie, on devra à terme les remplacer par des éoliennes, du solaire, en plus des économies d’énergies. Mais en attendant, il faudra également faire appel aux centrales thermiques au gaz, reconnait la ministre de l’énergie.
La lutte contre le réchauffement climatique attendra.
Aujourd’hui, des prétendus écologistes montrent tous les jours que pour eux les dangers du nucléaire sont beaucoup plus importants que les dangers du réchauffement climatique. L’attitude n’a pas bougé d’un iota.
Les années 50 et 60 ont en effet été celles de la prise de conscience de l’horreur occasionnées par les bombes de Nagasaki et Hiroshima. A cela s’ajoutait la crainte qu’un conflit Est/ Ouest conduise à une guerre nucléaire dont on pouvait imaginer qu’elle détruirait toute vie sur la surface du globe. Des militants sont passés d’un rejet du nucléaire militaire (et de ses essais) à un rejet du nucléaire civil, en imaginant que le risque était le même. Cela a été le cas de Greenpeace et je me demande parfois s’ils ne sont pas restés sur cette idée. En tous cas, ils pensent que le nucléaire civil est la porte ouverte au nucléaire militaire (ce que rien ne prouve).
Il y a aussi l’idée très fréquente que la radioactivité est nuisible quelque soit la dose (même inférieure à la radioactivité naturelle). Je me souviens dans les années 70 de dessins qui imaginaient que les habitants autour des centrales auraient trois bras ou d’autres déformations génétiques. Et aussi l’idée qu’un accident nucléaire dans une centrale était semblable et avait les mêmes effets que l’explosion d’une bombe atomique (et je crois que beaucoup le pensent encore, même après Fukushima)
Il faut cependant bien convenir que les premières luttes anti-nucléaires qui datent de la première moitié des années 70 s’opposaient aux premières (pas les toutes premières mais quand même) centrales et étaient mâtinées d’anti-militarisme. Le nucléaire c’était la bombe à ce moment là. Le refus du nucléaire c’était le refus de la bombe et des technostructures qui décidaient sans rendre de comptes et sans considérer un seul instant qu’elles auraient pu en rendre ! La question des substitutions entre les sources d’énergie n’était pas réellement posée en termes globaux.