Il y a quelques semaines, la Gazette l’avait annoncé, Corinne Jager devait révéler lors d’une réunion au CSCB une surprise de l’histoire de Sceaux. La guide conférencière l’a découverte dans les archives de la ville. La Gazette ayant assisté à la réunion peut vous en dire plus aujourd’hui.
Recherches sur un cimetière
Au début de la réunion, Corinne Jager explique qu’elle fait des recherches sur le cimetière de Sceaux. Drôle d’idée dira-t-on ! Mais quand on parle de l’histoire d’une ville, son cimetière recèle souvent des richesses insoupçonnées.
Donc, dans sa recherche d’informations, Corinne Jager consulte les archives et regarde le contenu d’une boîte d’archives concernant le cimetière. Surprise, elle y trouve une pochette verte avec le titre Nouveau Cimetière aux Blagis. Et dans la pochette, un certain nombre de plans et de documents qui permettent de reconstituer un projet lancé en 1934 et abandonné en 1937.
Parmi les documents, un projet de délibération voté en conseil municipal le 26 octobre 1934. Il s’agissait d’acquérir auprès de la Société Générale Immobilière 3 parcelles de terrain situés dans le quartier des Blagis, pour une surface de 11.500 m² et un prix de 55.Frs/m². Sous condition des autorisations administratives pour l’emprunt et sur les questions sanitaires.
La pochette comprend aussi le contrat d’option entre la ville et la Société Générale Immobilière. Il est valable jusqu’au 31 août 1935.
Lieu d’implantation envisagé pour ce deuxième cimetière
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Sur ce plan, on distingue en bas (donc à l’Est), la rue de Bagneux, à gauche (au sud) la rue des Coudrais et le chemin des Aulnes, à droite (au nord) la limite avec Fontenay-aux-Roses. Au centre, la zone verdie est le terrain pour lequel il y a une option.
L’agrandissement ci-dessous montre plus précisément le terrain.
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Sur le plan, on peut lire (verticalement) l’inscription « nouveau cimetière ». La limite ouest du terrain (vers le haut du plan) correspond à peu près à ce qui est aujourd’hui la rue Marc Sangnier. Une partie de la résidence des Baas-Coudrais est construite sur le terrain projeté pour un cimetière.
Avancements positifs du projet
L’année 1935 voit se produire deux événements importants. D’abord, le 18 février 1935, un courrier du maire à l’administration en charge de la surveillance des eaux d’alimentation de Paris : il donne un certain nombre d’éléments pour justifier le projet, notamment la hausse de la population, le nombre de décès sur 10 ans et sur les ventes de concession du cimetière existant.
Le 16 octobre 1935, a lieu une enquête publique en mairie, avec comme commissaire enquêteur M. Eugène Godefroy. L’enquête a été annoncée par voie d’affiche. M. Godefroy n’ayant enregistré aucune déclaration à 17h donne un avis favorable.
Un mois de juillet de désaccords
Tout semble bien parti. Mais en 1936, tout va changer. Le 4 juillet 1936, une pétition des habitants des Blagis, ayant recueilli 74 signatures, demande de renoncer au projet de cimetière. Elle met en avant divers arguments. D’abord de santé publique : les terrains sont marécageux, ce qui entrainera des frais de drainage et le cimetière risque d’être pathogène. Ensuite, un cimetière aggraverait la situation d’un quartier déjà délaissé, avec peu de commerces. La question de la suppression des passages à niveau sur la ligne de Sceaux est également mise en avant.
Le 16 juillet 1936, un courrier de Louis Patrix accompagne la pétition. Celui-ci est ingénieur en chef au Génie rural au ministère de l’Agriculture, et auditeur au Conseil supérieur de l’hygiène publique de France. Il habite au 62 rue des Coudrais. Il évoque l’émotion des habitants apprenant le projet de cimetière, la nature argileuse qui ne permet pas la combustion des corps avec les délais normaux. Il cite une expression du quartier : « l’eau en période pluvieuse y remonte à un fer de bêche ». Cela engendrerait de longs et couteux travaux de drainage pour la ville.
Il donne des exemples techniques de systèmes de drainage et étanchéité des caveaux, mentionne le Conseil supérieur d’hygiène et la surveillance des pollutions des cours d’eau, le ru de la Fontaine du Moulin, le risque de germes pathogènes du cimetière. Il se met à la disposition de la commune pour chercher une alternative.
Le 28 juillet 1936, le même Louis Patrix écrit au maire à propos de la demande d’autorisation pour l’emprunt. Il note que le prix des terrains a été fixé à 55Frs/m2 alors que la Société Générale Immobilière a acheté les parcelles entre 1926 et 1929 à un prix inférieur à 20Frs pour un lotissement qui n’a pas été entrepris. Il explique que la pétition des habitants aurait pu figurer au dossier de l’enquête publique si les habitants avaient été informés de la tenue de cette enquête.
Le 29 juillet 1936, le maire adresse un courrier à un conseiller municipal d’opposition, M. Michel, en réponse au courrier du même jour. Il y précise que l’option sur les terrains ne sera pas levée si les terrains ne peuvent pas être affectés au cimetière, que l’option est une mesure conservatoire et qu’elle a été proposée à l’ancien conseil municipal. Il note que l’emplacement choisi parait maintenant soulever des objections, et que la question sera soumise au nouveau conseil municipal.
Le 30 juillet 1936, le maire répond à Louis Patrix. Il explique que le cimetière ne pourra être envisagé qu’avec une autorisation préfectorale et que celle-ci n’a pas été sollicitée. Il objecte au sous-entendu de M. Patrix que les habitants de Sceaux ont bien été informés de la tenue de l’enquête publique (12 avis au public, dont 3/4 dans le quartier des Blagis + 1 insertion dans la Rive-Gauche et Paris-Demain).
On y regarde à deux fois
Le 31 juillet 1936, le préfet de la Seine indique au maire qu’il a reçu copie de la lettre de M. Patrix du 16 juillet mentionnant la pétition. Il demande des renseignements sur cette affaire et les réponses apportées aux réclamations.
Le 11 août 1936, le préfet de la Seine informe le maire que le ministre de l’Agriculture signale qu’il a été saisi d’une pétition des habitants du quartier des Blagis. Que celle-ci évoque un déversement éventuel d’eaux polluées dans le ru de la Fontaine du Moulin venant du cimetière projeté et qu’il fait donc procéder à une enquête.
Le 19 octobre 1936, le préfet de la Seine écrit au maire à propos de l’autorisation pour l’emprunt. Il signale que, d’après le bureau de l’enregistrement, la valeur du terrain dans le quartier se situe entre 35Frs et 45Frs le m2. Il en conclut que ce prix doit servir l’instruction de demande d’emprunt, et que c’est au conseil municipal d’envisager de faire baisser le prix auprès de la Société Générale Immobilière.
Le 6 février 1937, au vu des objections soulevées par les services de l’Administration supérieure, la commission plénière renonce au projet. Les conseillers municipaux Depreux et Michel précisent que des dépenses supplémentaires (200.000 Frs) auraient été nécessaires pour acquérir les terrains autour des 3 parcelles.
Le conseil décide donc de poursuivre le projet d’extension du cimetière existant sur les espaces qui lui sont contigus rue Houdan.
Rendre le quartier plus vivant
La trentaine de personnes présentes ne se sont pas laissé aller à imaginer ce que seraient les Blagis si le projet avait abouti. On l’a vu : il aurait empêché la construction de la résidence des Bas-Coudrais à son emplacement actuel. La discussion s’est au contraire tournée vers l’avenir avec une question qui préoccupait les présents : comment animer ce quartier ? On sent qu’il y a des bonnes volontés. Faut-il les regrouper et si oui dans quels objectifs et comment ?
Nota : Cet article doit beaucoup aux notes communiquées à la Gazette par Corinne Jager.