Autodidacte, elle apprend seule la lumière et les contre-jours. Elle lit les tutos des appareils, fait des essais, travaille à tâtons, discute avec des photographes animaliers dans le parc de Sceaux. Elle trouve des aides sur internet quand elle se lance dans la photo aérienne. Elle se lance des défis, essaie les drones (« le plus souvent dans des propriétés privées, sinon c’est interdit ») pour les délaisser rapidement (le cerf-volant impose un effort, un rapport physique au vent dont elle a besoin). Elle achète un appareil photo à déclenchement programmable (avec un servomoteur) qu’elle revend peu après. Elle n’aime pas dépendre d’une électronique pour, en fait, n’avoir rien de meilleur que les surprises dues à la seule complicité du vent (encore lui).
Calendriers perpétuels
Pendant sa carrière d’institutrice, elle monte un labo photo , dans certaines classes elle apprend à développer et tirer les photos. Quand elle part à la retraite en juin 2007, les élèves offrent à leur maîtresse un Canon 400 D (qui lui reste cher). Elle passe alors les 365 premiers jours suivants dans le parc de Sceaux. Elle a en tête (et elle est entêtée) un projet de calendrier perpétuel. Elle aime l’idée d’un livre qu’on a tous les jours devant soi à chaque fois quand on passe devant. On tourne la page, une nouvelle photo apparaît.
Elle le réalise et l’édite dans une autoédition risquée. « Je n’ai pas du tout étudié le marché ni cherché des sponsors. Je ne savais pas du tout combien d’exemplaires faire imprimer. Donc j’ai fait ça au pif. » Il s’est tellement bien vendu qu’elle fait une reddition en 2009. Il y eut au début l’accueil chaleureux des parents d’élèves de l’ancienne maîtresse. Puis un bouche-à-oreille rapide.
Dès qu’elle en obtient l’autorisation (il y a une procédure à suivre), elle se lance ensuite dans la photo aérienne. La convoitise continue. La fascination pour l’altitude lui vient d’un baptême en deltaplane, cadeau d’anniversaire lorsqu’elle avait une vingtaine d’années. L’impression magique d’être un oiseau. Depuis, « j’ai toujours voulu prendre des photos en hauteur. » Elle fait ses premiers entrainements en grimpant aux arbres.
Les premières photos sont une découverte exaltante. Lors de rafales, l’appareil fait des pirouettes et ça donne des résultats complètement inattendus. Elle arpente le parc en toutes saisons, en tous sens et dans tous les coins. Il lui faut plusieurs années. Elle dépend du vent, de la lumière, de sa forme physique, « c’est dur, si j’étais trop fatiguée, je ne pouvais pas le faire. » Ce qui n’empêche qu’elle est éblouie.
Fière de son matos
La photo depuis un cerf-volant est exigeante. Lors de l’entretien, elle montre la checklist de ses instruments de photographe. Ils sont nombreux et on dirait qu’elle en est fière. Une fierté d’artisan faisant visiter son atelier. « Je suis une amatrice, dit-elle. » C’est pareil.
La nacelle est un cadre métallique où se fixe l’appareil photo. Elle est accrochée à la corde du cerf-volant. Elle emporte des gants : en cas de rafale, la ligne passe rapidement entre ses doigts, ça brûle la peau. « Avec les gants on maintient mieux la ligne. » Les lunettes de soleil sont indispensables. On a le soleil en face. Elle a un enrouleur de 600m de câble, elle appelle ça la ligne, une sorte de nylon épais ou de corde de marin en plus fin. Elle n’a besoin que de 120m à la verticale, le maximum autorisé par la législation. Si des nœuds se forment à cause du mouvement du cerf-volant, elle coupe carrément la ligne, plutôt que défaire les nœuds, ce qui prendrait un temps infini. Un petit fil assure la fixation de l’appareil photo en doublant la vis qui le tient à la nacelle. « On ne sait jamais, le vent peut être puissant. »
Attendre que passe la rafale
« Au début, je vérifie avec ma main comment le vent tire le cerf-volant. Si je vois que ça ne tire pas assez ce n’est pas la peine d’accrocher la nacelle. Si c’est bon, je fixe mon appareil, je laisse le vent emporter le tout, je laisse glisser la ligne entre mes mains, un intervallomètre déclenche les photos toutes les 2 secondes. Comme le cerf-volant vadrouille, j’ai vraiment un choix dans le cadrage. Je trie ensuite, et cela va assez vite. » Elle a l’œil, ça ne s’explique pas.
Suivant la force du vent, elle déroule plus ou moins de ligne avant d’accrocher la nacelle qui porte l’appareil. Elle fait quelques prises d’essai, descend l’appareil et vérifie les résultats, ajuste, réoriente la nacelle (qui a des articulations) pour mieux cadrer. « Au bout de 4 ou 5 fois, il faut que ce soit bon, car je n’en peux plus. » C’est dur physiquement. Parfois, elle ne peut pas redescendre le cerf-volant. Mais elle trouve presque toujours de l’aide. Sinon… elle attend que la rafale passe.
Un vent trop fort, c’est du stress. « Une fois, je n’avais pas pris mes gants et je voulais vraiment voler (sic). À un moment, j’ai dû faire une fausse manip, la corde s’est enroulée autour d’un doigt, le vent s’est levé, je ne pouvais pas enlever mon doigt, je le voyais commencer à bleuir, j’ai eu peur de le perdre. Je me suis mise à courir dans le sens du vent pour donner un peu de mou à la corde, j’étais paniquée, heureusement ça a assoupli un peu la ligne et j’ai réussi à retirer mon doigt. »
Elle participe à deux livres de la collection L’esprit des lieux publiés par Jacques de Givry un photographe éditeur. Le parc de Sceaux sort en 2013 et La Vallée aux loups en 2015. Puis elle se lance dans un nouveau projet avec l’autre mamie de ses petits-enfants, Francine Mykita, historienne de l’art, qui écrit les textes : Le domaine de Sceaux au gré d’un cerf-volant. Insolite et poétique, il donne à voir les grandes perspectives de Le Nôtre, dont elle se demande comment il a pu concevoir tout ça alors qu’il ne voyait pas du ciel. « Ce livre a cartonné, on me demande même de le rééditer ».
En 2018, elle sort (en autoédition encore) un nouveau calendrier perpétuel sur le domaine de Sceaux. Puis en 2019, elle s’investit beaucoup (parmi bien d’autres) dans le projet de Nathalie Banaigs, Une année dans la vie de Sceaux. Le principe était d’associer les habitants de la ville à une initiative communautaire et de « capturer des moments, des portraits ou des lieux. » L’ensemble rassembla 365 photos.
À ras du sol
Après la covid, une nouvelle perspective s’impose à elle, avec de nouveaux enjeux techniques, de nouvelles recherches esthétiques. Elle passe aux reflets, les flaques d’eau l’inspirent. Elle travaille avec son smartphone. Elle place les objectifs au ras de l’eau, « ça fait faire du sport parce qu’il faut se baisser, et en plus il faut vérifier ce qu’il y a dans le reflet. » Avoir de « belles flaques », c’est avoir de beaux reflets. Ceux qui rendent magique la rencontre de l’eau et de la lumière. Cela dépend beaucoup de la météo. Tout ressort mieux après la pluie. Le défi pour elle est de dépasser la symétrie entre le réel et l’image. Elle cherche des cadrages qui accentuent les proportions des reflets.
Florence Arnaud ne saurait s’arrêter là. Elle « court » ensuite après les oiseaux et les paysages, sur les mêmes lieux… Banal ? Peut-être. Pas le goût de se démarquer de ce qui se fait. Pour quoi faire ? Elle est du côté nature. Du côté des ciels et des beaux nuages dont les beaux gris sont denses. Elle aime les ciels d’orage, « les ciels bleus sont vides. »
Elle a rencontré les oiseaux grâce à Roger, figure de la MJC (il y anime des cours de gymnastique). Figure également du parc de Sceaux où il observe infatigablement la gent ailée et renseigne les amateurs. La Gazette lui a consacré un article. « Il m’a appris énormément de choses sur les faucons, dit Florence Arnaud. À croire qu’il a été adopté par eux. Un jour, tandis qu’on parlait, un faucon est venu près de nous, et ne s’est pas effarouché. J’ai pu prendre des photos incroyables. Il y a quelques jours, poursuit-elle, il m’a indiqué le secteur de passage d’un passereau migrateur : le tarin des aulnes. J’ai eu l’impression de participer à une chasse au trésor en cherchant l’oiseau. Et j’ai été récompensée. »
Hors les mots
On peut trouver ces émotions conventionnelles. Logique, elle aime montrer ce qui est à notre porte, elle aime comprendre les oiseaux, s’émerveiller d’eux. « Je guette, j’observe, je reste concentrée, j’écoute les oiseaux avant de les photographier. » Avec la photo aérienne, elle regarde les verts, les dégradés de couleur, les automnes, les grandes masses boisées. Elle regarde d’en haut le simple quotidien des gens, quelqu‘un qui fait des pompes, une femme avec un bébé… Les silhouettes portent une universalité à la fois éloquente et anonyme. Pas ce problème de droit à l’image qui l’agace parfois.
Que ce soit dans les flaques et les reflets, dans la faune et la flore, le plaisir de la photo chez Florence Arnaud est de dire, hors les mots, ce qu’elle ressent. « La couleur et les contrastes me font du bien. » Mais la photo c’est aussi relever le défi d’apprendre. Apprendre pas à pas. Quand ça lui paraît hors de sa portée. Comme apprendre la musique. Essayer. Besoin d’aller au bout, trouver la confiance en soi et la construire. Se défier et pouvoir y arriver. Y croire. Se donner la peine d’essayer et à la clé s’approprier du réel.
« Quand le givre recouvre le paysage et qu’on sait qu’il ne durera qu’une heure ou 2, on veut s’en saisir, dit-elle. » Figer l’éphémère, c’est avoir été partout, par tous les temps, s’emparer du temps. Mais aussi se demander : « étais-je là au bon moment, j’aurais dû aller là, j’aurais vu ça. » C’est toujours dans l’inassouvi que se forme le désir.
Pour en savoir plus
On les trouve dans les librairies de Sceaux et des communes limitrophes, Bourg-la-Reine, Antony, Châtenay-Malabry, Fontenay.
À la maison du tourisme de Sceaux. À la boutique du parc de Sceaux.
La Gazette a consacré un article à une exposition de Florence Arnaud et Bernard Simonnet.
Quelle aventure. Quel talent. Quelle persévérance.
Quelle personne.
Respect.
Bon vent !