Lundi 11 avril, j’ai eu la surprise à la boulangerie de Robinson (Saines Saveurs) de me voir demander 5 centimes de plus que la veille pour ma baguette quotidienne. Une augmentation qui fait suite à celle observée l’an dernier quand la boulangerie avait rouvert.
Cette situation n’est probablement pas spécifique à mon quartier : après tout, cela fait plusieurs mois que l’Insee signale une reprise de l’inflation. La guerre en Ukraine fait monter le prix du gaz(et d’autres matières premières) et tend les cours mondiaux du blé, les deux pays en guerre en étant des exportateurs majeurs. Blé et gaz, on ne devrait pas être surpris de l’impact sur le prix du pain.
Mais l’inflation est d’autant plus ressentie qu’elle touche des produits que l’on consomme régulièrement et dont on connaît le prix. Quand les prix des produits électroniques baissent, on gagne un peu en pouvoir d’achat, mais on s’en rend peu compte, car on n’en achète que de temps en temps.
Souvenons-nous de la période du passage à l’euro : la population l’avait accusé d’une relance de l’inflation que les experts de l’Insee n’observaient pas. L’explication était pourtant simple : les prix du pain, du tabac et de l’essence, trois produits achetés régulièrement et dont les Français connaissent les prix, avaient augmenté. Le pain pour cause de mauvaise récolte de blé (donc assez provisoire), le tabac pour cause d’augmentation des taxes, et l’essence pour cause d’augmentation du prix du baril. Rien à voir avec le passage à l’euro, mais les Français restent pour la plupart convaincus que c’était la vraie cause.
En mars 2022, l’Insee estime à 4,5 % l’inflation annuelle. Depuis janvier 1991, l’inflation n’avait jamais atteint 4% : la recrudescence inflationniste est bien exceptionnelle. Même si ceux qui ont connu les inflations à 17 % au début des années 1980 peuvent relativiser !
Dans le détail, l’inflation, qui était encore à 0 en décembre 2020, a commencé à dépasser 1,5 % en août 2021. L’observation du graphique ci-contre suggère que la période Covid a fait place à un certain retour à la normale, voire à un effet de rattrapage.
Plus probablement, la reprise de l’inflation est un effet de la reprise économique. D’abord, il y a beaucoup d’argent en circulation du fait de la politique laxiste de la BCE et du soutien budgétaire à l’activité, en France comme en Europe. Surtout, on observe de nombreux goulots d’étranglement, en partie liés à la Covid (livraisons chinoises) et aux difficultés d’embauche dans certains secteurs.
La crise puis la guerre en Ukraine ont fait flamber le prix des énergies. D’autant plus que la politique de fermeture de centres de production d’électricité pilotables (on exclut ici le renouvelable lié aux aléas météorologiques) rend l’Europe de plus en plus dépendante au gaz pour éviter les black-out.
En théorie, les difficultés d’embauche poussent les salaires à la hausse ou du moins à suivre l’inflation. En pratique, il y a souvent un décalage entre l’augmentation des prix et un éventuel effet sur les salaires.
Mais depuis la disparition d’une inflation forte en France, le constat serait plutôt celui d’une évolution des salaires relativement stable dans le temps, et une évolution plus erratique des prix. Dans le détail, l’évolution des prix des services et des produits manufacturés est assez régulière. Celle de l’alimentation l’est moins du fait des saisons et des récoltes plus ou moins bonnes. Mais c’est surtout l’énergie qui varie beaucoup et vite dans les deux sens.
Résultat : les Français gagnent en moyenne en pouvoir d’achat les années où l’inflation est plus faible que la moyenne et peuvent perdre dans le cas inverse. Illustration récente : en 2020, le salaire de base moyen a augmenté de 1,7 % et les prix n’ont pas bougé (inflation 0 % sur 12 mois en décembre 2020). En 2021 le salaire de base a également augmenté de 1,7% mais les prix de 2,8 % !
Avec la Covid, la consommation d’énergie a baissé en 2020, faisant baisser les prix de l’énergie qui a compensé celle des autres services pour une inflation à 0.
En 2021 et 2022 au contraire, la reprise économique fait repartir les prix de l’énergie à la hausse, une hausse qui s’ajoute à celle des produits et services.
Il n’est pas étonnant à la lecture de ces chiffres de voir le thème du pouvoir d’achat privilégié par les Français. On comprend mieux que le gouvernement ait voulu agir rapidement, avec la ristourne, sur les carburants.
Cependant la guerre d’Ukraine est venue bousculer les plans. Début février, l’Insee estime que l’inflation va se stabiliser un peu au-dessus de 3%. Elle prévoit 3,3% sur 12 mois en mars, mais observe deux mois plus tard que ce sera 4,5%, avec une variation mensuelle de 1,4 %. En cause, les produits frais qui ont augmenté de 7,2 % sur l’année et surtout l’énergie, en hausse de 28,9 % sur 12 mois.
Cela ne consolera pas les Français, mais leur pays est le moins touché d’Europe par le phénomène. En Allemagne, l’inflation sur 12 mois est à 7,3 % en mars. Elle est de 7,5 % dans la zone euro. Le taux d’inflation annuel s’établit chez nos voisins européens à 7 % pour l’Italie, 7,6 % pour l’Allemagne, 9,3 % pour la Belgique, 9,8 % pour l’Espagne ou encore 11,9 % pour les Pays-Bas. Il est vrai qu’elle était déjà élevée en décembre 2021 (5,3% pour l’UE).
Les meilleurs résultats de la France s’expliquent en partie par les décisions du gouvernement sur les carburants, mais surtout sur la moindre dépendance au gaz, grâce au nucléaire. C’est un avantage pour les producteurs français. Mais probablement pas au point d’accélérer notablement les relocalisations de produits manufacturés, de toute manière limitées par la pénurie de main-d’œuvre industrielle qualifiée.
On ne sait pas combien de temps durera la guerre et il est difficile d’en mesurer les conséquences. Peut-être les prix baisseront-ils ultérieurement. Mais la tendance à long terme est celle d’une augmentation des prix de l’énergie pour cause de faibles investissements de production ces dernières années en Europe et dans le monde.
Peut-être une bonne nouvelle pour le climat ?