Jean-Claude Herrenschmidt, avant-hier dans la Gazette, commentait le livre de Philippe Laurent, « Maires de toutes les batailles » et évoquait son contenu (curriculum vitae, centralisme de nos institutions politiques, ode au local) et son rôle d’appui dans la campagne menée pour la présidence de l’AMF. Les publications du maire sont assez rares pour qu’on puisse les commenter plusieurs fois.
En tant que Scéen, je ne peux que souhaiter à Philippe Laurent bonne chance ; une ville a toujours intérêt à ce que son représentant soit le plus influent possible. Se qualités liées à son expérience, son esprit centralien qui porte sans doute aux synthèses compliquées, sont certainement utiles pour saisir le tissu de contradictions qui entoure les communes.
Le livre, à travers la liste des associations d’élus (pp.100-101), donne une idée de la diversité des situations et donc des qualités nécessaires pour appréhender tant de contextes : les grandes villes, les villes moyennes, petites villes, les maires ruraux, les intercommunalités, les communes de montagne ; les communes du littoral, la FNCC (Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture), l’ANETT (association nationale des élus des territoires touristiques), l’ANDES (association nationale des élus en charge du sport) ; la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies). Peut-être y en a-t-il d’autres, mais c’est déjà pas mal.
Loin de l’image que son action locale donne de lui, Philippe Laurent a un projet politique pour la France. Gérard Larcher en introduit les principes : autonomie des collectivités territoriales qui se traduit par une subsidiarité « ascendante » qui leur permette « de prendre de nouvelles compétences ». L’esprit est à la différentiation. Par parenthèse, on s’interroge sur la façon de gérer le ressentiment permanent contre les inégalités inévitablement créées par ladite différentiation.
Ce que Philippe Laurent développe en mettant l’accent (nul ne sera surpris vu la colère qu’a suscitée chez lui la suppression de la taxe d’habitation) sur le partage de l’impôt entre l’État central et les pouvoirs locaux. Il voit dans les régions de véritables aménageurs et un échelon dans lequel négocier et résorber l’enchevêtrement de compétences qui produit tous les doublons administratifs. Le millefeuille administratif, qui résiste depuis des décennies, semble une création pure du pouvoir central et devoir se résoudre entre les mains des Régions. On demande à y croire, mais ne cachons pas que quelque chose résiste.
Il a des slogans qui claquent (p.20) : République bottom-up, revanche du micro contre le macro, cousu-main contre l’uniforme… Sonnent-ils juste ? On admet que les communes sont secouées par les efforts à les regrouper, par les constants atermoiements sur les responsabilités. Inversement, une France unie peut-elle se maintenir avec ses quelque 35.000 communes et de ses 365 fromages ? D’autant que le credo européen qui parcourt le livre fait immanquablement penser à une Europe des régions contre une Europe des nations.
Une lecture au premier degré
Philippe Laurent, dans un entretien au Parisien (6/9/2021), justifie la publication de ce livre par le fait que sa candidature pourrait ne pas aller de soi pour les Républicains et qu’il lui faut s’expliquer. Son CV, ses origines modestes, son parcours municipal aux Finances, à la Cuture, aux Affaires scolaires, ses responsabilités au sein de collectivités territoriales et à l’AMF, contribuent à situer l’homme par rapport à l’autre candidat, David Lisnard, maire (LR) de Cannes qui, d’après le Figaro (8/9/2021), forme un « attelage » avec André Laignel, maire (PS) d’Issoudun. Etrange association qui aux yeux de Philippe Laurent n’a pas grand sens, lui se situant sur un terrain apolitique au contraire du tandem bipolitique.
Pour saisir les sous-entendus de ce contexte électoral, il faut être au fait des courants qui s’affrontent au sein de l’association. Pour le vulgum pecus que je suis, c’est assez difficile. C’est pourquoi, j’ai plutôt lu Maires de toutes les batailles, au premier degré, sans autre référence que le texte lui-même, comme un pamphlet.
Personnellement, les superlatifs utilisés dans la joute politique ne me convainquent jamais (au plan national comme à Sceaux) et je préfère rester moqueur que de me prendre à ce jeu. Si les propositions du maire, de même que sa biographie, m’ont intéressé, ses attaques répétées m’ont laissé pour le moins distant.
Le pamphlet, donc, est dirigé vers trois cibles. Emmanuel Macron en particulier, la haute fonction publique en général, le gaullisme comme référence.
Commençons par le premier. Philippe Laurent taille au président de la République un costume pour l’hiver. S’il fait remonter l’hypocrisie décentralisatrice à plusieurs décennies (on devrait donc retrouver au bal des hypocrites patentés, Chirac, Sarkozy Hollande), c’est à Macron qu’est décerné le pompon. Il est arrogant, insultant, incapable de faire confiance, déconnecté du monde réel. Pire, il s’est tragiquement discrédité par sa gestion de la crise sanitaire (p.111)….. Bigre, on n’avait pas observé que le France s’en sortait tragiquement plus mal que ses voisins. Mais il a fait pire encore : « il insulte notre intelligence d’élu » (p.98). Avec tout ça, le président est habillé.
La deuxième cible du jeu de fléchettes : les hauts-fonctionnaires. Ils méprisent les communes et au fil des pages on comprend qu’ils passent leur temps à les mépriser et à attaquer les libertés locales. Ce sont des sortes de mépriseurs professionnels. Des communes, ils ne voient qu’un folklore national avec lequel il faut composer (p.116). Le rouleau compresseur de l’État ne s’arrête pas là : il a au contraire concocté « l’intercommunalité qui contribue à écraser les initiatives et la vitalité locale » (p.84). Mais qu’on ne méprenne pas, dit-il, cela ne procède pas d’une déclaration de guerre à l’État et à son chef. Ouf ! ces amicales remontrances dénoncent gentiment l’incohérence et l’arrogance de l’exécutif, la faillite de l’État centralisé. Qu’est-ce que ça aurait été sinon ?
Par rapport au gaullisme, il n’y va pas par quatre chemins. Il chante les louanges de la IVe République, dont chacun sait combien elle est honnie par les disciples du Général. L’âge d’or de la décentralisation, il le situe dans les années 1980-1990. Pompidou est mort depuis 16 ans. Giscard, envers qui Philippe Laurent éprouve une affection réaffirmée, a exercé pendant sept ans. Mitterrand arrive et déroule une vaste régionalisation. Qu’on n’espère pas apprendre du livre le moindre inconvénient de la décentralisation si ardemment souhaitée. Apparemment, il n’y en a pas. Il faut en conclure que l’esprit centralisateur de la Ve est une simple mystification. Le soutien de Gérard Larcher, gaulliste de longue date, semble indiquer le contraire. J’avoue mes limites.
D’une façon générale, l’arrogance, le mépris, l’écrasement, ne sont jamais illustrés d’exemples précis, peut-être clairs pour les maires, mais pas pour les autres, du moins ceux qui se méfient du scénario convenu de la victimisation. Car c’est devenu une systématique de la protestation politique que d’associer tout désaccord à du mépris. Le désaccord est du domaine de la raison, le mépris du domaine du physique, de l’émotion. A relier sans doute à la légitimité de la « colère » qui se suffit à elle-même. Inutile de dire que n’est jamais évoqué ce que les communes doivent à l’Etat.
Retour à la ville
Mais plutôt que de persévérer dans ces observations qui, pour être vraiment fondées, réclameraient une expertise des politiques des territoires, on préférera relever deux idées évoquées dans le livre, certes très marginales par rapport à ses objectifs, mais qui touchent le cœur d’un citoyen lambda. A Berrwiller, commune d’Alsace, à l’initiative du maire, chacun donne une journée pour accomplir une tâche d’intérêt collectif. La deuxième est liée à l’aspiration européenne que Philippe Laurent situe au cœur de sa sensibilité. On est partant. Pourquoi pas une journée citoyenne à Sceaux ? Pourquoi pas un beau projet européen ?