Le 10 mai a donné lieu, y compris dans ces colonnes, à des exercices de nostalgie. L’espoir suscité par l’élection de François Mitterrand est revisité avec la langueur que laisse une exaltation de jeunesse promise ensuite à la désillusion. Evidemment ne sont concernés que les anciens, ceux du moins qui en 1981 pouvaient s’enthousiasmer politiquement, donc nés au plus tôt au début des années 1960. Ils ont aujourd’hui la soixantaine au moins et le regret de la fraîcheur des jeunes années joue très certainement un rôle.
De sorte que l’utopie du « changer la vie » prend la forme d’un désir nécessaire et légitime (puisque Rimbaud est dans le coup) d’une génération qui croit en l’avenir. Elle a hérité de 1968 la passion de la transformation, en a fait une aspiration majoritaire ; elle se propose de mettre ces idées-là en œuvre.
Deux ans plus tard, c’est le revirement, avec la rigueur qui renonce aux promesses tenues pendant la campagne électorale. On devine que le tournant est négocié à contrecœur et qu’il est conséquence de contraintes économiques auxquelles l’Etat et le gouvernement ne pensent pas pouvoir échapper. Pour « le peuple de gauche » ce réalisme n’en est pas un et relève de la trahison, son mantra étant qu’en dépossédant les riches, tous les autres connaîtront l’abondance et le moindre travail.
L’hommage rendu à l’arrivée au pouvoir d’un président de gauche n’est pas, en général, assorti d’une révision des principes qui l’animaient. Les promesses étaient fondées, seul leur abandon ne l’est pas. Les exigences économiques, à moins d’être généreuses, n’expriment qu’une oppression, celle du capital. Rien ne saurait restreindre par principe la croissance de la prospérité. Et si, parvenus au pouvoir, les choses résistent quelque peu, pas d’aggiornamento. C’est douleur et déprime.
Eh oui ! Quoi de mieux fait, de plus habillé que « Demandez l’impossible ! » que d’exprimer l’envie de rêve pour tous. Rêver ensemble. Se libérer ensemble. Libérer une énergie collective en éradiquant ce qui la bride : devinez quoi ? D’ailleurs les publicistes qui sentent l’esprit du temps aiment les délivrances sous toutes leurs formes : celles qui font oser la couleur, le bio et les trucs responsables. C’est la preuve que c’est du solide.
De ce point de vue, Sceaux fut-il hors de son temps ? Le score sans appel de 1981 que l’article récent rappelle, à savoir Giscard d’Estaing, 56,77%, et Mitterrand, 43,23%, montre combien on y fut peu sensible à la « force tranquille » et à sa capacité libératrice. Ce qui, semble-t-il, la préserve et continue de la préserver du sentiment de trouble quand elle songe à son passé.